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Bible de Jérusalem

1 Samuel 1-2

PREMIER LIVRE DE SAMUEL

Introduction aux livres de Samuel

I. Samuel

1. LES ENFANCES DE SAMUELa

Le pèlerinage de Silo.

1 Il y avait un homme de Ramatayim-Çophim,b de la montagne d’Éphraïm, qui s’appelait Elqana, fils de Yeroham, fils d’Élihu, fils de Tohu, fils de Çuph, un Éphratéen.

a Les chap. 1-3 sont une composition littéraire unifiée ; on peut y découvrir une tradition silonite qui gravite autour de trois éléments : 1° naissance de Samuel et son entrée au sanctuaire de Silo ; 2° les fils d’Éli ; 3° la révélation de Yahvé à Samuel. Seuls le premier et le troisième concernent la personne de Samuel. La faute des fils d’Éli domine le deuxième élément, fait contraste avec la fidélité de Samuel et appelle le châtiment divin. Ce récit est ancien et conserve de bons souvenirs historiques.

b Appelée plus loin Rama (1.19 ; 2.11), cette ville était habitée par un groupe qui se réclamait d’un ancêtre Çuph. On ne doit pas la confondre avec Rama de Benjamin (Jos 18.25 ; 1 R 15.17, 21-22).

2 Il avait deux femmes : l’une s’appelait Anne, l’autre Peninna ; mais alors que Peninna avait des enfants, Anne n’en avait point. 3 Chaque année, cet homme montait de sa ville pour adorer et pour sacrifier à Yahvé Sabaotc à Silod — là se trouvaient les deux fils d’Éli, Hophni et Pinhas, prêtres de Yahvé.

c L’interprétation « Yahvé des armées » (qu’il s’agisse des armées d’Israël ou des armées célestes, astres, anges, ou de toutes les forces cosmiques) n’est pas assurée. Le titre apparaît pour la première fois ici et il est lié au culte de Silo ; l’expression « Yahvé Sabaot qui siège sur les chérubins » se rencontrera pour la première fois en 4.4, à propos de l’arche amenée de Silo. Ce titre est resté attaché au rituel de l’arche et est entré avec celle-ci à Jérusalem, 2 S 6.2, 18 ; 7.8, 27. Il a été repris par les grands prophètes (sauf Ézéchiel), par les prophètes post-exiliques (surtout Zacharie) et dans les Psaumes.

d Aujourd’hui Seilûn, env. 20 km au sud de Naplouse. L’arche y fut installée au temps des Juges, peut-être déjà sous Josué, cf. Jos 18.1, dans un sanctuaire qui fut détruit, cf. Jr 7.12 ; 26.6, 9 ; Ps 78.60, probablement par les Philistins après la défaite racontée à 4. Le pèlerinage annuel est celui de la fête des Tentes.

4 Le jour où Elqana sacrifiait, il donnait des parts à sa femme Peninna et à tous ses fils et filles, 5 à Anne il donnait une seule part d’honneur, car c’est Anne qu’il aimait, mais Yahvé avait fermé son sein. 6 Sa rivale ne cessait de lui faire des affronts pour la mettre en colère, car Yahvé avait fermé son sein. 7 Ainsi faisait Elqana chaque année, chaque fois qu’ils montaient au temple de Yahvé ;e ainsi Peninna l’irritait. Anne pleura et ne mangea pas.

e Le sanctuaire de Silo est considéré comme un bâtiment qui se présente sur le modèle de celui de Jérusalem, cf. 1.9 ; 3.3.

8 Alors son mari Elqana lui dit : « Anne, pourquoi pleures-tu et ne manges-tu pas ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Est-ce que je ne vaux pas pour toi mieux que dix fils ? »

La prière d’Anne.

9 Anne se leva après qu’on eut mangé et après qu’on eut bu. Le prêtre Éli était assis sur son siège, contre le montant de la porte du sanctuaire de Yahvé. 10 Elle était pleine d’amertume ; elle pria Yahvé et elle pleura beaucoup. 11 Elle fit un vœu et dit : « Yahvé Sabaot ! Si tu voulais bien voir la misère de ta servante, te souvenir de moi, ne pas oublier ta servante et lui donner un petit d’homme, alors je le donnerai à Yahvé pour toute sa vie et le rasoir ne passera pas sur sa tête. »f

f Samuel sera le fils accordé par Dieu à une mère stérile, comme Isaac, Samson, Jean-Baptiste. L’enfant à naître est voué par sa mère à Yahvé, comme serviteur du sanctuaire. Les cheveux longs seront le signe de cette consécration, comme pour Samson. Mais il n’est pas dit expressément de Samuel qu’il sera nazîr, cf. Nb 6.1, comme il est dit de Samson, Jg 13.5.

12 Comme elle prolongeait sa prière devant Yahvé, Éli observait sa bouche.

13 Anne parlait tout bas : ses lèvres remuaient mais on n’entendait pas sa voix, et Éli pensa qu’elle était ivre.g

g On priait normalement à haute voix ; et les fêtes donnaient lieu parfois à des excès de boisson, Isa 22.13 ; Am 2.8. D’où la méprise d’Éli.

14 Alors Éli lui dit : « Jusques à quand vas-tu rester ivre ? Fais passer ton vin ! » 15 Mais Anne répondit ainsi : « Non, Monseigneur, je ne suis qu’une femme éprouvée,h je n’ai bu ni vin ni boisson fermentée, j’épanche mon âme devant Yahvé.

h Littéralement « dure d’esprit ». L’expression peut traduire l’obstination, mais aussi l’affliction.

16 Ne juge pas ta servante comme une vaurienne : c’est par excès de peine et d’affronts que j’ai parlé jusqu’à maintenant. » 17 Éli lui répondit : « Va en paix et que le Dieu d’Israël t’accorde ce que tu lui as demandé. » 18 Elle dit : « Puisse ta servante trouver grâce à tes yeux », et la femme alla son chemin ; elle mangea et son visage ne fut plus le même.

Naissance et consécration de Samuel.

19 Ils se levèrent de bon matin et, après s’être prosternés devant Yahvé, ils s’en retournèrent et arrivèrent chez eux, à Rama. Elqana connut Anne sa femme, et Yahvé se souvint d’elle. 20 Anne conçut et, au temps révolu, elle mit au monde un fils, qu’elle nomma Samuel, « car, dit-elle, je l’ai demandé à Yahvé. »i

i Cette explication par la racine sha ’al, « demander », devrait conduire au nom de sha ’ul, « Saül ». L’étymologie biblique se contente ici d’une vague assonance. « Samuel » s’explique plutôt par Shem-El, « le Nom de Dieu » ou « le Nom (de Dieu) est El ».

21 Le mari Elqana monta, avec toute sa famille, pour offrir à Yahvé le sacrifice annuel et accomplir son vœu. 22 Mais Anne ne monta pas, car elle dit à son mari : « Pas avant que l’enfant ne soit sevré !j Alors je le conduirai ; il sera présenté devant Yahvé et il restera là pour toujours. »

j Les enfants étaient sevrés tard.

23 Elqana, son mari, lui répondit : « Fais comme il te plaît et attends de l’avoir sevré. Que seulement Yahvé réalise sa parole ! »k La femme resta donc et allaita l’enfant jusqu’à son sevrage.

k Les versions et Qumrân ont « ta parole », mais le souhait d’Elqana ne fait que prolonger celui d’Éli (v. 17).

24 Lorsqu’elle l’eut sevré, elle le fit monter avec elle, en même temps qu’un taureau de trois ans,l une mesure de farine et une outre de vin, et elle le fit entrer dans le temple de Yahvé à Silo ; l’enfant était tout jeune.

l « un taureau de trois ans » grec, syr. ; « trois taureaux » hébr. ; mais cf. v. 25.

25 Ils immolèrent le taureau et ils conduisirent l’enfant à Éli. 26 Elle dit : « S’il te plaît, Monseigneur ! Aussi vrai que tu vis, Monseigneur, je suis la femme qui se tenait près de toi ici, priant Yahvé. 27 C’est pour cet enfant que je priais et Yahvé m’a accordé la demande que je lui ai faite. 28 À mon tour, je le cède à Yahvé tous les jours de sa vie : il est cédé à Yahvé. » Et, là, il se prosterna devant Yahvé.m

m Le verbe est au masc. sing. sans sujet exprimé. Celui-ci peut-être soit Éli à qui Anne vient de s’adresser (v 26-28a), soit Samuel.

Cantique d’Anne.n

2 Anne pria et dit :

« Mon cœur exulte en Yahvé,
ma corne s’élève en Yahvé,
ma bouche est large ouverte contre mes ennemis,
car je me réjouis en ton secours.

n Ce cantique a été appelé « le prototype du Magnificat », mais l’accent du Magnificat est beaucoup plus personnel. C’est un psaume de l’époque monarchique qui traduit l’espérance des « pauvres », cf. So 2.3, et se termine par l’évocation du Roi-Messie. Il a été mis dans la bouche d’Anne à cause de l’allusion du v. 5 à la « femme stérile ». — Texte corrigé aux vv. 1, 3, 5, 10.

2 Point de Saint comme Yahvé
(car il n’y a personne excepté toi),
point de Rocher comme notre Dieu.
3 Ne multipliez pas les paroles hautaines,
que l’arrogance ne sorte pas de votre bouche.
car Yahvé est un Dieu plein de savoir
et par lui les actions sont pesées.
4 L’arc des puissants est brisé,
mais les défaillants se ceignent de force.
5 Les rassasiés s’embauchent pour du pain,
mais les affamés cessent de travailler.o
La femme stérile enfante sept fois,
mais celle qui a de nombreux fils se flétrit.

o « De travailler » (`abod) conj. ; « jusqu’à » (`ad) hébr.

6 C’est Yahvé qui fait mourir et vivre,
qui fait descendre au shéol et en remonter.
7 C’est Yahvé qui appauvrit et qui enrichit,
qui abaisse et aussi qui élève.
8 Il retire de la poussière le faible,
du fumier il relève le pauvre,
pour les faire asseoir avec les nobles
et leur assigner un siège d’honneur ;
car à Yahvé sont les piliers de la terre,
sur eux il a posé le monde.
9 Il garde les pas de ses fidèles,
mais les méchants disparaissent dans les ténèbres
(car ce n’est pas par la force que l’homme triomphe).
10 Yahvé, ses ennemis sont brisés,
le Très-Hautp tonne dans les cieux.
Yahvé juge les confins de la terre,
il donne la force à son Roi,
il élève la corne de son Oint. »

p « Le Très Haut » (`elyôn) conj. ; « contre lui » (’alaw) hébr.

11 Elqana partit pour Rama, dans sa maison, mais l’enfant était au service de Yahvé, en présence du prêtre Éli.

Les fils d’Éli.

12 Or les fils d’Éli étaient des vauriens ; ils ne connaissaient pas Yahvé. 13 Tel était le droit des prêtres à l’égard du peuple :q si quelqu’un offrait un sacrifice, le ser vant du prêtre venait pendant qu’on cuisait la viande, tenant une fourchette à trois dents,

q Les fils d’Éli ne tiennent pas compte des règles qui fixaient la part des prêtres, cf. Lv 7.28s ; Nb 18.8s ; Dt 18.35.

14 il piquait dans le chaudron ou dans la marmite ou dans la terrine ou dans le pot, et le prêtre s’attribuait tout ce que ramenait la fourchette ; on agissait ainsi avec tous les Israélites qui venaient là, à Silo. 15 Et même, on n’avait pas encore fait fumer la graisse que le servant du prêtre venait et disait à celui qui sacrifiait : « Donne de la viande à rôtir pour le prêtre, il n’acceptera pas de toi de la viande bouillie, seulement de la viande crue. » 16 Et si cet homme lui disait : « Qu’on fasse d’abord fumer la graisse, puis prends pour toi à ta guise », il répondait : « Non, c’est maintenant que tu dois donner, sinon je prends de force. » 17 Le péché des jeunes gens était très grand devant Yahvé, car les hommesr méprisaient l’offrande faite à Yahvé.

r Le blâme s’étend à l’ensemble des Israélites qui acceptent la situation créée par les fils d’Éli.

Samuel à Silo.

18 Samuel était au service de la face de Dieu,s servant revêtu de l’éphod de lin.

s La formule est proche de celle de 2.11, mais souligne déjà le lien entre Yahvé et Samuel. L’éphod de lin est normalement un vêtement sacerdotal, cf. 22.18 ; 2 S 6.14. Le texte voudrait-il laisser entendre que Samuel était prêtre ? La suite du texte ne le dit pas. C’est sans doute une autre manière de dire que Samuel l’emporte sur Éli et ses fils.

19 Sa mère lui faisait un petit manteau qu’elle lui apportait chaque année, lorsqu’elle montait avec son mari pour offrir le sacrifice annuel. 20 Éli bénissait Elqana et sa femme et disait : « Que Yahvé t’accorde une descendance de cette femme en vertu de la demande que l’on a faite pour Yahvé »,t et ils s’en allaient chez eux.

t Littéralement « à la place de la demande ». Le vieux prêtre ratifie au nom de Dieu la demande d’Anne.

21 Yahvé visita Anne, elle conçut et elle mit au monde trois fils et deux filles ; le jeune Samuel grandissait avec Yahvé.

Encore les fils d’Éli.

22 Éli était très âgé, mais il entendait parler de tout ce que ses fils faisaient envers Israëlu et qu’ils couchaient avec les femmes qui se tenaient à l’entrée de la tente de la rencontre.

u Le second reproche accable un peu plus le sacerdoce de Silo en reprenant une expression d’Ex 38.8, mais il est absent du grec.

23 Il leur dit :

« Pourquoi faites-vous de pareilles choses, de mauvaises chosesv dont j’entends parler par tout le peuple ?

v La précision « de mauvaises choses » est propre à l’hébr. qui porte ainsi un jugement sur la conduite des fils d’Éli et se présente comme une glose.

24 Non, mes fils, elle n’est pas belle la rumeur que j’entends le peuple de Yahvé colporter. 25 Si un homme pèche contre un autre homme, Dieu sera l’arbitre, mais si c’est contre Yahvé que pèche un homme, qui intercédera pour lui ? » Cependant ils n’écoutèrent pas la voix de leur père. C’est qu’il avait plu à Yahvé de les faire mourir.w

w Comme ailleurs dans la Bible, Ex 4.21 ; Jos 11.20 ; Isa 6.9-10, etc., l’endurcissement du pécheur est rapporté à Yahvé comme à la cause première. Mais cette manière de parler ne prétend nullement nier la liberté humaine.

26 Quant au jeune Samuel, il progressait en taille et en beauté tant auprès de Yahvé qu’auprès des hommes.

Annonce du châtiment.x

27 Un homme de Dieu vint chez Éli et lui dit : « Ainsi parle Yahvé. Me suis-je vraiment révélé à la maison de ton père quand ils étaient en Égypte, appartenant à la maison de Pharaon ?

x Cet épisode est une insertion tardive, il fait double emploi avec 3.11-14. La mort d’Hophni et de Pinhas, 4.11, ne sera que le « présage », v. 34, des malheurs futurs annoncés au v. 33 massacre des prêtres de Nob, descendants d’Éli, 22.18-19, sauf Ébyatar, 22.22-23, qui sera destitué par Salomon, 1 R 2.27 ; au v. 35, substitution de la famille de Sadoq qui, à partir de Salomon, gardera la faveur du roi, « l’oint du Seigneur »; mais le v. 36 ne correspond pas à la situation décrite en 2 R 23.9 et la composition pourrait être antérieure au règne de Josias.

28 L’ai-je choisie parmi toutes les tribus d’Israël pour devenir mon prêtre, pour monter à mon autel, pour faire fumer l’encens et pour porter l’éphody devant moi ? J’ai donné à la maison de ton père tous les mets consumés des Israélites.

y Ce n’est pas un vêtement qu’on ceint, comme l’éphod du v. 18, c’est un objet qu’on « porte » ou qu’on « apporte », 14.3 ; 23.6 ; 30.7, et qui contient les sorts sacrés par lesquels on consulte Yahvé, 14.18s ; 23.9s ; 30.8, voir 14.41. Il apparaît à l’époque des Juges, Jg 17.5 ; 18.14s (l’éphod de Gédéon, Jg 8.26s, sera condamné comme un symbole idolâtrique) et il n’est plus mentionné dans les récits postérieurs à David (une allusion en Os 3.4).

29 Pourquoi piétinez-vous mon sacrifice et mon offrande que j’ai prescrits dans la Demeure ?z Pourquoi honores-tu tes fils plus que moi, en vous engraissant du meilleur de toutes les offrandes d’Israël, mon peuple ?

z Terme dépourvu de préposition qui semble être une désignation poétique du sanctuaire de Jérusalem, cf. Ps 26.8 ; 68.6.

30 C’est pourquoi — oracle de Yahvé, Dieu d’Israël — j’avais bien dit que ta maison et la maison de ton père marcheraient en ma présence pour toujours,a mais maintenant — oracle de Yahvé — je m’en garderai ! Car j’honore ceux qui m’honorent et ceux qui me méprisent sont déconsidérés.

a La promesse de Dieu est ici mise en question par le péché des prêtres de Silo.

31 Voici que des jours viennent où j’abattrai ton bras et le bras de la maison de ton père, en sorte qu’il n’y ait pas de vieillard dans ta maison. 32 Tu regarderas un rival dans la Demeure, ainsi que tout le bien qu’il fera à Israël, et il n’y aura pas de vieillard dans ta maison, à jamais. 33 Près de mon autel je maintiendrai l’un des tiens, pour que ses yeux se consument et que tu sois affligé,b mais tout l’ensemble de ta maison mourra à l’âge adulte.

b Littéralement « ta vie te consumera ».

34 Tel sera pour toi le signe : ce qui arrivera à tes deux fils, Hophni et Pinhas ; le même jour, ils mourront tous deux. 35 Je me susciterai un prêtre fidèle, qui agira selon mon cœur et mon désir, je lui bâtirai une maison stable et il marchera toujours en présence de mon oint. 36 Alors quiconque subsistera de ta maison viendra se prosterner devant lui pour avoir une piécette d’argent et une galette de pain, et dira : « Je t’en prie, attache-moi à une fonction sacerdotale, pour que j’aie un morceau de pain à manger. » »