De la Jalousie et de l’Envie
De la Jalousie et de l’Envie Cyprien de Carthage

Présentation de l’auteur

Cyprien de Carthage, de son vrai nom Thascius Caecilius Cyprianus, né vers 200 et mort en martyr le 14 septembre 258 sous la persécution de Valérien, est un Berbère converti au christianisme, évêque de Carthage et Père de l’Église. Il est, après saint Augustin, l’un des plus grands témoins de la doctrine de l’Église latine des premiers siècles.

De la Jalousie et de l’Envie

Être jaloux du bien que nous voyons, porter envie à ceux qui valent mieux que nous paraît, à certaines personnes, une faute légère ; d’où il suit qu’on ne la craint pas, qu’on la méprise, qu’on dédaigne de l’éviter et qu’elle devient, pour les âmes imprévoyantes, une cause secrète de ruine spirituelle. Pourtant. le Seigneur nous ordonne d’être prudent, de veiller sans relâche, de peur que l’ennemi, qui veille de son côté et nous dresse de continuelles embûches, ne se glisse dans notre cœur. Là, il lui sera facile de transformer en incendie les étincelles du péché, de faire découler des plus petites causes les résultats les plus terribles, de communiquer à ce souffle enchanteur, dont il berce notre mollesse, la fureur de la tempête et d’engloutir, dans un commun naufrage, notre foi, notre salut et notre vie.

Nous devons donc veiller, mes frères bien-aimés, et travailler de toutes nos forces, pour résister à cet ennemi qui, dans sa fureur, lance ses traits sur les parties vulnérables de notre corps. C’est le conseil de l’apôtre Pierre : Soyez sobres et vigilants, car le démon, votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer (I Pet., V). Oui, il tourne sans cesse, et, semblable à l’ennemi qui assiège une ville, il explore les murs, cherchant un endroit faible pour pénétrer dans la place. Il offre aux yeux des formes séduisantes et des voluptés faciles, afin de détruire la chasteté par la vue. Il flatte les oreilles par les accords de la musique, afin d’amollir la vigueur chrétienne par des chants efféminés. Il provoque la langue par l’injure ; il pousse la main au meurtre par la provocation ; il entraîne l’homme à la fraude en lui offrant des profits injustes. Pour perdre une âme, au moyen de l’argent, il lui souffle des calculs frauduleux. Il promet les honneurs de la terre pour enlever ceux du Ciel ; il montre l’erreur pour ravir la vérité. Quand il ne peut tromper en secret, il menace ouvertement et suscite contre nous les fureurs de la persécution. Ainsi, il fait toujours la guerre aux serviteurs de Dieu, artificieux dans la paix, violent dans la guerre.

C’est pour cela, mes frères bien-aimés, que nous devons toujours être armés, soit contre les embûches secrètes, soit contre les menaces ouvertes de l’ennemi. Il est toujours prêt à attaquer : soyons donc toujours prêts à résister. Comme la plupart de ses traits glissent dans l’ombre et que les attaques de ce genre font d’autant plus de blessures qu’elles sont moins remarquées, étudions la nature des armes et veillons à les repousser.

Au nombre de ces armes sont la jalousie et l’envie. Si on les examine attentivement, on verra qu’un chrétien doit surtout se tenir en garde contre elles ; car, s’il se laissait prendre dans les pièges du démon, si, cédant aux suggestions de l’envie, il tournait sa haine contre son frère, il se donnerait à lui-même le coup mortel.

1° Pour mieux comprendre cette vérité, remontons à l’origine de l’envie ; on évite plus facilement un fléau quand on sait d’où il vient et quels ravages il cause. Dès l’origine du monde, l’envie perdit le démon et le porta à perdre l’homme. Il avait longtemps brillé parmi les chœurs angéliques, il avait longtemps joui de l’amitié de Dieu ; mais, un jour, l’envie le précipita du faîte de sa gloire. Lorsqu’il vit l’homme créé à l’image de Dieu, sa jalousie s’enflamma de nouveau. Ainsi, déchu lui-même, il entraîna l’homme dans sa déchéance ; captif, il lui fit partager sa captivité et l’enveloppa dans sa ruine. Quel mal, mes frères bien-aimés, que celui qui a causé la chute d’un ange ; qui a porté le désordre dans la nature la plus noble sortie des mains du Créateur ; qui a égaré le séducteur du genre humain ! L’envie se perpétue dans le monde par la malice de ces hommes qui veulent imiter la conduite du démon et marcher sur ses traces ; mais ils seront punis les premiers, car, dit l’Écriture : La mort est entrée dans ce monde par l’envie du démon (Sap., II).

Les envieux sont donc les imitateurs du démon. Voilà l’origine de cette haine qui, dès les premiers jours du monde, arma Caïn contre son frère. Il fut tellement aveuglé par la jalousie, qu’il oublia à la fois et l’amour fraternel, et la grandeur du forfait, et la crainte de Dieu, et le châtiment suspendu sur sa tête. Ainsi le premier d’entre les justes fut injustement mis à mort ; celui qui ignorait la haine périt victime de la haine et, lorsque le sang coulait de ses plaies béantes, il ne repoussait pas même le bras de son meurtrier.

Quel motif excita l’inimitié d’Esaü contre Jacob son frère ? l’envie. Jacob avait reçu la bénédiction paternelle ; Esaü résolut de s’en venger, et devint pour lui un persécuteur. Pourquoi Joseph fut-il vendu par ses frères ? parce qu’ils étaient jaloux.

Il leur avait raconté, avec la simplicité d’un frère qui parle à des frères, des visions qui annonçaient son élévation future, et eux conspirèrent sa perte. Pourquoi Saül haïssait-il David ? pourquoi voulait-il l’assassiner malgré son innocence, sa douceur, sa miséricorde, sa patience inaltérable ? c’est qu’il lui portait envie. David, avec l’aide de la puissance divine, avait tué Goliath, et le peuple, délivré d’un ennemi si terrible, courait à sa rencontre en chantant ses louanges. Dès lors, Saül sentit s’agiter dans son sein toutes les fureurs de l’envie. Sans nous arrêter à tant d’exemples, fixons nos regards sur la ruine d’un grand peuple. Est-ce que les Juifs ne périrent pas parce qu’ils préférèrent porter envie au Christ que croire à sa parole ? Toujours ils furent opposés à ses prodiges, et leurs yeux, aveuglés par la haine, ne purent voir sa divinité. Instruits par tant de leçons, veillons, mes frères bien-aimés, et affermissons, contre ce fléau, nos âmes qui appartiennent à Dieu. Que la perte des autres contribue à notre salut, et que le châtiment des insensés nous serve de remède.

2° Ne croyez pas que l’envie se présente sous une forme unique et que ses effets soient restreints ; non : ce fléau est aussi multiple que fécond en désastres. L’envie est la racine de tous les maux ; elle est une source de calamités, une semence inépuisable de crimes et d’erreurs. C’est d’elle que naissent et la haine et l’animosité. Elle enflamme l’avarice : comment se contenter de ce qu’on possède, quand un autre est plus riche ? Elle excite l’ambition : comment conserver l’empire sur soi-même, en présence d’un homme plus honoré que nous ? Ainsi on oublie la crainte de Dieu et les enseignements du Christ, et on ne pense pas au jour du jugement. De là l’orgueil avec ses folies, la perfidie avec ses prévarications, la cruauté, l’impatience, la discorde, la colère avec leurs emportements et leurs fureurs. Comment se contenir ou se diriger, quand on se trouve sous l’empire d’une puissance étrangère ? aussi les liens de la paix se brisent ; la charité disparaît ; la vérité s’efface ; l’unité se déchire ; on se jette dans l’hérésie et dans le schisme. Pourquoi ? Parce qu’on résiste aux prêtres ; qu’on porte envie aux évêques ; que les clercs se plaignent-ou de n’avoir pas été ordonnés plus tôt, ou de trouver un supérieur dans celui qui était autrefois un égal. L’envie, telle est la cause de toutes ces résistances et de toutes ces rébellions ; ce n’est pas à l’homme qu’on en veut, mais à l’honneur dont il est revêtu.

3° Or, mes frères, quel ver rongeur pour l’âme, quel ulcère pour le cœur ! envier dans un autre ou la vertu ou le bonheur, c’est-à-dire haïr en lui ou ses mérites ou les bienfaits divins ; faire de la félicité d’autrui un tourment pour soi-même ; trouver son châtiment et son supplice dans la prospérité et dans la gloire des autres ; attacher à son cœur, à ses sens, à ses pensées comme des bourreaux qui fouillent, déchirent et torturent sans pitié ; non, cette existence n’est pas possible. Dans cet état, la nourriture devient insipide ; le temps s’écoule dans les soupirs, dans les gémissements ; dans la souffrance ; et, comme on est obligé, de renfermer le fatal secret au fond de son cœur, il se venge de sa captivité en déchirant jour et nuit sa prison.

Les autres fautes ont un terme : quand l’action coupable est consommée, tout est fini. Dans l’adultère, le crime cesse avec l’assouvissement de la passion ; le voleur s’arrête après avoir frappé sa victime ; la cupidité du ravisseur s’éteint quand il est maître de sa proie ; le faussaire voit triompher sa ruse et se tient pour satisfait. Mais l’envie ne connaît pas de bornes : c’est un mal permanent, un péché sans fin. Plus un adversaire réussit, plus l’envieux sent brûler dans son sein la flamme qui le dévore. Voyez-vous ce visage menaçant, ces yeux hagards, cette face livide, ces lèvres tremblantes, ces dents qui s’entrechoquent, cette bouche pleine de malédictions et d’injures, ces mains qui se lèvent pour frapper ? En ce moment, elles ne portent pas de glaive, c’est vrai ; mais elles n’en sont pas moins les instruments d’une aveugle fureur. C’est pour cela que l’Esprit-Saint nous dit dans les Psaumes : Ne portez pas envie à celui qui marche dans la droite voie. Et ailleurs : Le pécheur observe le juste ; il grince les dents contre lui ; mais le Seigneur se rit de ses projets, car il sait que son jour est proche (Psal., XXXVI). L’apôtre saint Paul parle des envieux en ces termes : Leurs lèvres distillent le venin des aspics ; leur bouche est pleine de malédiction et d’amertume ; leurs pieds sont prompts à répandre le sang ; ils laissent sur leur passage le malheur et la ruine ; ils ne connaissent pas la voie de la paix, et la crainte de Dieu est bien loin d’eux (Rom., III).

Les blessures du glaive sont moins graves et moins dangereuses que celles de l’envie. Quand on voit une plaie, il est facile d’y apporter un remède et de la guérir ; mais les blessures de l’envie sont secrètes ; le remède ne peut les atteindre, puisqu’elles se cachent dans les profondeurs de la conscience. Vous donc, qui vous abandonnez aux fureurs de l’envie, poursuivez votre prochain de vos artifices, de vos persécutions, de vos fureurs, vous ne serez jamais l’ennemi de personne autant que de vous-même. Celui qui excite vos jalousies pourra toujours vous éviter ; mais sous, vous ne pouvez vous fuir vous-même. Partout votre ennemi est avec vous ; vous le portez dans votre poitrine : c’est là qu’il exerce sa domination ; il vous ravit votre liberté ; il vous charge de chaînes, comme un captif, et ne vous laisse aucun repos. Porter envie à un homme que Dieu a placé au nombre de ses enfants est un supplice de tous les jours ; haïr un homme heureux est un malheur sans remède. Aussi, mes frères bien-aimés, le Seigneur nous tient en garde contre un semblable danger. Un jour ses disciples lui demandaient quel était parmi eux le plus grand : Le plus petit d’entre vous, répondit-il, sera le plus grand (Luc, IX). Par cette réponse, il anéantit toute émulation ; il enlève tout aliment à la dent vorace de l’envie. Le zèle est permis au disciple du Christ, mais non l’envie. Entre nous, il ne peut être question de supériorité : c’est l’humilité qui nous élève ; c’est elle qui nous rend agréables à Dieu. L’apôtre saint Paul nous exhorte aussi à fuir les ténèbres pour marcher sous les rayons lumineux du soleil de justice : La nuit est passée, dit-il, voici le jour ; rejetons donc les œuvres des ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière ; marchons avec honneur, comme en plein jour. Plus de débauche ni d’ivrognerie ; plus d’impuretés ni de dissolutions ; plus de querelles ni de jalousies (Rom., XIII). Si les ténèbres ont quitté votre cœur, si la nuit qui l’enveloppait s’est dissipée, sans laisser d’obscurité, si la splendeur du jour illumine vos sens, si vous êtes devenu homme de lumière, accomplissez les œuvres du Christ, car le Christ est pour nous et le jour et la lumière.

4° Pourquoi vous précipiter dans les ténèbres de l’envie ? Pourquoi, au sein de ces vapeurs malsaines, éteignez-vous le flambeau de la paix et de la charité ? Pourquoi rentrer dans les liens du démon, après les avoir brisés, et devenir semblable à Caïn ? Jean, dans ses épîtres, déclare homicide quiconque hait son frère, et vous savez, ajoute-t-il, que l’homicide est privé de la vie spirituelle. Celui qui hait son frère, dit-il encore, a beau dire qu’il est dans la lumière, les ténèbres l’environnent de toutes parts ; il marche et il ne sait où il va, car la nuit obscurcit ses yeux (I Joan., III). Où va-t-il donc, mes frères ? Il va dans l’enfer, sans le savoir ; il se précipite, les yeux fermés, dans les supplices éternels, car il s’éloigne de celui qui a dit : Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la clarté de la vie (Joan., VIII).

Pour suivre le Christ, il faut s’attacher à ses préceptes, suivre ses enseignements, marcher sur ses traces, imiter ses actions ; c’est ce que nous apprend Pierre : Le Christ a souffert pour nous ; mais il vous a laissé son exemple, afin que vous le suiviez (I Pet., II). Rappelons-nous le nom que le Christ donne à son peuple. Il nous appelle ses brebis, parce que la douceur chrétienne doit être celle de la brebis ; il nous appelle ses agneaux, parce que notre simplicité doit être celle de l’agneau. Eh quoi donc ! un loup se cacherait sous la toison de la brebis ! un faux frère attirerait l’infamie et la honte sur le troupeau du Christ ! Porter le nom du Christ et ne pas suivre la route qu’il nous a tracée est-ce autre chose que forfaire à sa vocation et abandonner le chemin du salut ?

Le Seigneur nous dit que, pour arriver à la vie éternelle, nous devons observer ses commandements ; il nous dit encore que le vrai sage est celui qui entend ses paroles et les met en pratique ; il ajoute que le docteur le plus grand dans le royaume du Ciel est celui qui accomplit d’abord la loi et l’enseigne ensuite. Nous devons comprendre par-là que la prédication n’est utile à celui qui la fait qu’autant qu’il met en pratique les leçons qui sortent de sa bouche. Or, quel est le précepte que Jésus-Christ a renouvelé le plus souvent et avec le plus d’insistance ? n’est-ce pas celui de la charité ? Il veut que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés lui-même. Mais comment conservera-t-il ce dépôt sacré, celui qui, en proie aux fureurs de l’envie, ne peut avoir ni la paix ni la charité ?

 

C’est pourquoi l’apôtre saint Paul, faisant ressortir le mérite de la paix et de la charité, nous apprend que ni la foi, ni l’aumône, ni même le martyre ne peuvent servir, si on ne conserve dans leur inviolable intégrité les liens de la charité. Puis il ajoute : la charité est magnanime, bienveillante, exemple de jalousie (I Corint., XIII). D’après ces paroles, pour arriver à la charité, il faut la grandeur d’âme, la bienveillance, mais surtout l’exemption de la jalousie et de l’envie. Le même apôtre exhorte ceux qui, par la régénération spirituelle, sont devenus les enfants de Dieu à ne plus rechercher que les choses divines : Pour moi, mes frères, je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants que j’ai engendrés dans le Christ. Je vous ai donné du lait et non une nourriture solide ; car vous n’auriez pu la supporter : Vous ne le pouvez même pas encore, puisque vous êtes charnels. Je vois parmi vous des jalousies, des disputes, des dissensions : n’est-ce pas parce que vous écoutez les inspirations de la chair et que vous marchez selon les vues humaines (I Corint., III) ? Étouffez, mes frères bien-aimés, les vices et les péchés de la chair ; armez-vous de la vigueur spirituelle pour fouler aux pieds les convoitises d’un corps né de la terre, de peur, qu’en reprenant les habitudes du vieil homme, vous ne tombiez dans un piège mortel. C’est d’ailleurs le conseil de l’apôtre : Mes frères, dit-il, ne vivez pas selon la chair : si vous voulez satisfaire ses convoitises, vous mourrez ; si, à l’aide de l’esprit, vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez ; car ceux qui se laissent diriger par l’esprit de Dieu sont fils de Dieu (Rom., VIII). Si nous sommes les fils et les temples de Dieu, si, après avoir reçu l’Esprit-Saint, nous vivons selon ses lumières, si nos regards se portent de la terre au ciel, si nous élevons vers les régions éternelles un cœur plein de Dieu et du Christ, que toutes nos actions soient dignes et de Dieu et du Christ. Si vous êtes ressuscités en Jésus-Christ, dit l’apôtre, cherchez les choses d’en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; ayez du goût pour les choses du ciel et non pour celles de la terre, car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Mais quand le Christ, votre vie, apparaîtra de nouveau, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (Col., III). Nous donc qui sommes morts et qui avons été ensevelis dans le baptême, par suite du péché du premier homme, nous qui sommes sortis de la piscine céleste ressuscités en Jésus-Christ, pénétrons-nous de ses maximes et cherchons à les mettre en pratique. Le premier homme, dit encore l’apôtre, est né du limon de la terre, le second du ciel. Les hommes terrestres, ressemblent au premier, les hommes célestes au second. De même que nous avons porté l’image de l’homme de la terre, portons maintenant l’image de l’homme du ciel (I Corint., XV). Cette image, nous ne pouvons la porter, si notre vie ne reproduit celle du Christ.

Commencez donc une vie nouvelle, si vous voulez que l’homme divin resplendisse en vous ; que vos mœurs répondent à la sainteté de votre Père céleste ; que Dieu se manifeste par la pureté et la gloire de vos actions. La récompense ne se fera pas attendre : Je glorifierai ceux qui me glorifient, dit le Seigneur, et celui qui me méprise sera méprisé.

C’est pour réaliser en nous cette glorieuse ressemblance avec Dieu le père, que Jésus nous dit : Vous savez qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain et vous haïrez votre ennemi ; et moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être les fils de votre Père céleste qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber sa pluie sur les justes et les pécheurs (Mat., V). Si c’est pour les hommes une joie et une gloire d’avoir des fils qui leur ressemblent, si un père est heureux d’avoir mis au monde un enfant qui reproduise ses traits, combien plus grande est la joie de Dieu le père, lorsqu’un de ses enfants reproduit dans ses actes sa bonté inépuisable ! Quelle palme, quelle couronne est réservée à cet enfant ! Dieu ne dira plus : J’ai engendré des fils, je les ai élevés, et ils m’ont méprisé (Is., I) ; mais il le comblera d’éloges et il l’invitera à la récompense par ces paroles : Venez les bénis de mon Père, prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde (Mat., XXV)

5° Que ces méditations fortifient nos âmes, mes frères bien-aimés ; qu’elles soient comme un exercice où notre esprit se forme à la lutte contre le démon. Occupons nos yeux à la lecture de la sainte Écriture, nos mains aux bonnes œuvres, notre esprit à la pensée de Dieu. Que notre prière soit continuelle. Travaillons constamment à notre salut. Occupons-nous sans cesse aux œuvres de la grâce, afin que, si l’ennemi s’approche et renouvelle ses attaques, il trouve notre cœur fermé et prêt à la résistance. Pour le chrétien, il n’y a pas seulement la couronne de la persécution : la paix a aussi ses couronnes ; mais, pour les mériter, il faut avoir, dans de nombreux combats, terrassé l’ennemi du salut. Domptez les passions impures, et vous recevrez la palme de la continence. Résistez à la colère pardonnez les injures, et vous mériterez-la couronne de la patience. Méprisez l’argent, et vous triompherez de l’avarice. Supportez les adversités de la vie par l’espérance des biens à venir, et votre foi aura droit à nos louanges. Évitez l’orgueil dans la prospérité, et votre humilité vous couvrira de gloire. Soyez miséricordieux envers les pauvres, et vous vous préparerez un trésor dans le ciel. Évitez la jalousie ; aimez vos frères ; ne formez avec eux qu’un cœur et qu’une âme, et vous aurez droit à la couronne de la paix et de la charité.

Chaque jour, nous courons dans ce stade des vertus chrétiennes ; chaque jour, nous pouvons recueillir les palmes et les couronnes de la sainteté. Si vous les désirez, vous qui naguère étiez dominé par l’envie et la jalousie, rentrez dans la route qui conduit à la vie éternelle. Arrachez de votre cœur les ronces et les épines, afin que la semence divine y croisse en liberté et vous enrichisse d’une abondante moisson. Rejetez le fiel de la haine, le poison de la discorde. Purifiez -cette âme que la malice du serpent avait infectée ; adoucissez-en l’amertume par la charité du Christ. Puisque le sacrifice de la Croix vous sert de nourriture et de breuvage, rappelez-vous que, près de Mara, il existait un arbre qui adoucissait l’amertume des eaux. Vous possédez l’arbre véritable, dont celui de Mara n’était que la figure : que la croix du Christ rende à votre âme la charité et la douceur. La guérison ne se fera pas attendre et le remède naîtra de la blessure.

Aimez ceux que vous haïssiez naguère. Hier, vous les poursuiviez de votre jalousie et de vos injures : aujourd’hui, n’ayez pour eux que de la charité. Imitez les bons, si vous le pouvez. Si vous êtes trop faibles pour les suivre, soyez heureux de les voir meilleurs que vous. La charité, en vous unissant à eux, vous fera partager leurs mérites et vous donnera droit à la récompense qui leur est promise. Vos péchés seront pardonnés, quand vous aurez pardonné vous-mêmes ; vos sacrifices seront acceptés, quand vous les offrirez à Dieu avec l’esprit de charité ; Dieu se chargera de diriger vos pensées et vos actes, lorsque la justice et la grâce auront pris possession de votre esprit. Que le cœur de l’homme, dit la sainte Écriture, s’occupe de choses justes, afin que ses pas soient dirigés par le Seigneur (Prov., XVI).

Or, les pensées salutaires ne vous manqueront pas. Pensez au paradis d’où fut exclu Cain qui, par jalousie, avait assassiné son frère. Pensez au royaume céleste, où le Seigneur n’admet que ceux qui ont persévéré, avec leurs frères, dans les liens de la concorde et de la charité. Pensez que Dieu ne reconnaît pour ses enfants que ceux qui aiment la paix, ceux qui, régénérés par le baptême, sont unis à leurs frères comme le Christ l’est à son Père. Pensez que nous sommes sous l’œil de Dieu, que nous parcourons en sa présence la carrière de la vie, que, pour jouir de lui, nous devons par nos actes consoler son cœur paternel et nous montrer dignes de sa miséricorde et de son pardon. Puisque nous voulons jouir de lui dans le royaume céleste, cherchons à lui plaire pendant cette vie.

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