La Vérité Humaine – II. Quel homme je suis

2.2 — Du caractère religieux de l’action obligatoire, et de la divinité de son auteur.

Jusqu’ici donc l’accord est complet entre les caractères constitutifs du phénomène obligatoire et ceux du phénomène religieux. Toutes nos inférences nous ont conduit à l’identification de ces phénomènes. Mais avant de nous prononcer définitivement sur ce point, nous avons à nous demander si l’action transcendante qui, dans l’obligation, impressionne l’instinct moral de l’homme peut être qualifiée d’action divine ? si elle est capable de justifier et de susciter l’adoration religieuse ? si son Auteur s’y manifeste de telle sorte qu’il légitime l’adoration ? s’il est, en effet, l’unique et seul Dieu devant lequel, à travers la diversité de ses cultes et de ses credos, l’humanité se soit jamais prosternée ?

A notre sens, la réponse ne saurait être douteuse, et elle est affirmative. Il suffit pour s’en convaincre, de rassembler en une image unique les traits épars que l’action obligatoire (celle qui crée en nous le sentiment d’obligation) nous a déjà révélés.

Cette action est universelle et actuelle, c’est-à-dire à la fois historique et intemporelle ; elle pénètre dans le temps sans appartenir au temps, puisque, incessamment actuelle, elle ne se résout jamais en un fait passé, ou en un fait local ; c’est une action perpétuelle, irréductible à l’espace et au temps bien qu’elle y entre ; donc une action éternelle, donc une action transcendante. Transcendance qui se confirme et s’accentue encore par la manière dont elle nous atteint ; elle nous atteint, en effet, d’une manière involontaire ; son expérience n’est ni fortuite ni accidentelle, mais essentielle et imposée ; ce n’est pas à proprement parler une expérience que nous faisons, car notre initiative n’y est pour rien, c’est une expérience que nous recevons ; et nous la recevons sous un mode absolu, ce dont témoigne irrésistiblement l’impératif qui en procède et qui est un impératif catégorique.

A ce premier caractère d’universalité, d’actualité, de transcendance, d’absoluité, qui accuse son origine métaphysique, il faut ajouter son caractère personnel, qui transforme le rapport métaphysique en un rapport religieux. Je dis qu’elle est personnelle ; cela résulte directement de ce qu’elle oblige ; une volonté seule oblige ; une volonté ne procède que d’une personne. Nous voici en face de l’absolu personnel, c’est-à-dire de la personnalité divine. Et cette personnalité absolue est encore une personnalité vivante puisqu’elle agit, puisque son action est initiatrice, puisqu’elle est venue à moi, puisqu’elle m’a cherché, trouvé, saisi, avant que je fusse moi-même. Le Dieu de l’obligation de conscience n’est pas le moteur immobile de l’univers, c’est un Dieu vivant, une divinité historique, capable d’entrer dans l’histoire, dont l’initiative historique est le ressort même de l’histoire et le principe de toute évolution comme de tout progrès.

Mais il y a plus encore. Non seulement le Dieu de l’obligation est un Dieu personnel et vivant ; il est encore un Dieu spirituel et moral. Remarquez, en effet, que la volonté obligeante qui pose au dedans de nous et devant nous l’action universelle, permanente, initiatrice et transcendante, fait preuve d’une intention, puisque cette volonté ne nous a pas pour témoins seulement, mais qu’elle nous a pour objet direct et pour unique objet ; qu’elle ne nous demande rien sinon nous-même à nous-même ; qu’elle nous vise personnellement ; qu’elle nous atteint dans le centre et le principe même de notre être, et qu’elle n’exige autre chose, mais qu’elle exige impérieusement le libre aveu de notre dépendance, l’hommage volontaire de notre liberté ; qu’elle n’a pour but que d’obtenir notre obéissance consentie, mais notre entière obéissance, et que ce but, elle le poursuit avec une persévérance, une fermeté, une rigueur qui indiquent clairement un immuable dessein, une intention d’amour et de sainteté.

L’ensemble de ces traits, que l’analyse antérieure du phénomène obligatoire nous avait déjà fournis, mais que nous venons de rassembler, de réunir et de fondre en une seule image, dénonce évidemment une volonté divine. Car quel nom donner à la volonté personnelle absolue, si ce n’est le nom de Dieu ? L’auteur de l’obligation de conscience au dedans de nous est donc l’être qu’on n’approche qu’à genoux, l’être dont on n’obtient l’expérience que dans la silencieuse obéissance de l’adoration. Cet être, c’est Dieu. L’autorité dont témoigne en nous l’obligation de conscience est donc une autorité divine ; celle du seul Dieu que nous puissions jamais connaître ; le Dieu souverain, le Seigneur de ma liberté ; Celui qui seul a le droit de prétendre à l’entière soumission de ma volonté, parce que seul aussi il en est le Créateur.

Cela est si vrai, l’affirmation à laquelle une lente et minutieuse analyse vient de nous faire parvenir est à ce point juste et sûre, que nous le savions en quelque sorte bien avant de le savoir, je veux dire de le réfléchir intellectuellement. Avant d’être une connaissance de notre pensée, c’était une attitude instinctive, spontanée, de notre être lui-même. Bien avant de nommer Dieu de nos lèvres, nous avions pris la position, la posture de l’adoration et du prosternement. Ce n’est pas une spéculation, c’est un fait, que l’homme adore avant de nommer celui qu’il adore. Il est religieux avant de connaître Dieu. Ce n’est point parce qu’il a connu Dieu, ce n’est point à cause de la connaissance qu’il a de Dieu qu’il se prosterne. C’est parce qu’il se prosterne, c’est parce qu’il est obligé d’adorer, c’est parce qu’il est religieux, qu’il cherche à connaître Dieu.

[Preuve psychologique de ce fait : le petit enfant, — nous-mêmes. Peut-on dire que nous connaissons le Dieu que nous adorons, même celui de l’Évangile ? … Ce n’est donc pas parce que nous le connaissons que nous l’adorons, mais c’est parce nous l’adorons avant de le connaître que nous cherchons à le connaître. — Preuve historique : l’autel au Dieu inconnu dans Athènes, dernier terme de toute l’évolution du paganisme ancien. Pourquoi l’autel est-il dressé, mais vide ? C’est parce que l’attitude intérieure de la volonté humaine, l’adoration religieuse, se reconnaissait supérieure à tous les objets divins qu’elle s’était donnés, et qu’après les avoir tous épuisés, elle se reconnaissait plus grande encore. L’humanité adorant le Dieu inconnu ! Qu’est-ce à dire ? sinon que son adoration précède en elle la connaissance de l’objet de son adoration.]

Et, en effet, puisque Dieu ne se prouve pas démonstrativement, sur quoi pourrait bien reposer la prédication religieuse, sinon sur une attitude d’adoration préalable, à laquelle la prédication religieuse n’a pas autre chose à faire qu’à révéler son objet ? — Or cette attitude préalable, d’où pourrait-elle venir à l’homme puisque (nous l’avons vu) ce n’est ni la sensibilité, ni la pensée, ni la volonté pure, qui peuvent la créer ? Elle ne saurait lui venir que de l’obligation. Ce n’est donc point assez de dire, comme nous l’avions fait jusqu’ici, que le principe de sa volonté arrive à l’homme impressionné par l’empreinte ineffaçable et souveraine de l’action obligatoire ; il lui arrive déjà prosterné devant l’auteur de cette action. Et c’est parce que son instinct moral lui arrive déjà prosterné que l’homme conscient, l’individualité réfléchie, se prosterne à son tour, et cherche désormais le Dieu de son adoration instinctive. — C’est là, c’est-à-dire dans le principe même de son être, que l’homme réalise cette attitude d’attente, d’abandon, de silencieuse et d’entière remise de soi-même à Dieu qui est l’essence du phénomène religieux ; cette absolue soumission, cette « dépendance absolue » dont parlait Schleiermacher, — qui caractérise la religion. Mais tandis que Schleiermacher l’attribuait directement à l’homme conscient, annulait ainsi toute liberté et par conséquent excluait toute moralité de la religion ; nous attribuons l’absolue dépendance au principe encore inconscient de la volonté humaine, nous faisons un devoir à la volonté consciente de la réfléchir et de la consentir librement. Nous laissons donc place à la liberté dans la religion. Loin d’exclure la morale de la religion, nous faisons de l’adoration religieuse elle-même le premier des devoirs moraux, expliquant ainsi l’intime connexion du phénomène religieux et du phénomène moral, soit dans leur exercice ultérieur, soit dans leur origine première, et consacrant du même coup la priorité du premier (religieux) sur le second (moral).

Nous nous résumons en disant : que l’expérience ou la relation dont l’instinct moral de l’homme est l’objet par l’obligation de conscience, est une relation et une expérience religieuse ; que la volonté humaine en sort prosternée dans une attitude de dépendance et d’adoration religieuse ; que cette attitude se légitime pleinement par ce que nous pouvons connaître des caractères de l’action qui la provoque et de son auteur ; que cette action étant celle d’une volonté transcendante, souveraine, personnelle, spirituelle et morale, l’homme y reconnaît l’autorité, y rencontre la présence du seul être qui ait droit à son entière soumission religieuse, et auquel il ait droit de se rendre absolument : le créateur de son être, et le Seigneur de sa liberté.

Remarque I. — Ce que nous venons de dire nous permet de répondre à l’objection (déjà citée) de M. Henri Bois. M. Bois défend de rattacher l’obligation à Dieu comme à sa cause au nom des arguments suivants : 1° Ou bien l’obligation vient de Dieu, et nous sommes tenus d’y obéir, parce que Dieu est le plus fort et que nous sommes les plus faibles ; parce que Dieu est maître et nous serviteurs. Dès lors le rapport qui nous unit à Dieu est un rapport de grossière subordination. C’est la force qui crée le droit du côté de Dieu, du côté de l’homme c’est l’intérêt qui crée la reconnaissance du droit. Or l’intérêt d’une part, la force ou la contrainte de l’autre, c’est le contraire de l’obligation. Ne parlez donc plus d’obligation ; parlez d’utilitarisme et de contrainte. Mais en parlant de la sorte, ne dissimulez pas que vous avez anéanti le caractère spécifique de l’obligation à laquelle vous prétendez vous rattacher. — 2° Ou bien l’obligation n’est pas un rapport de contrainte et d’intérêt, mais un rapport moral ; elle est un droit ; un droit que Dieu a le droit d’exercer sur nous. Dans ce cas le caractère spécifique de l’obligation est respecté, mais elle ne saurait plus avoir Dieu pour auteur. Car Dieu n’a le droit de nous obliger de la sorte que parce que sa volonté est bonne et ses commandements saints ; en d’autres termes : parce qu’il est lui-même préalablement soumis à la loi morale. L’obligation, s’imposant à Dieu lui-même, ne peut donc nous être imposée par Dieu. Elle est une loi souveraine qui s’impose à Dieu et à nous ; à nous certainement ; à Dieu s’il existe, car elle cesse désormais de témoigner de l’existence de Dieu.

Cette argumentation, forte et plausible au premier aspect, est affectée d’un vice de forme qui la ruine tout entière, et ce vice de forme n’est autre chose que l’incurable intellectualisme dont reste affligé le néo-criticisme français. Il se manifeste de deux manières :

1° Il y a intellectualisme d’abord dans la manière de concevoir la naissance du phénomène religieux. La prémisse implicite de M. Bois est que la connaissance intellectuelle de Dieu détermine seule l’adoration religieuse. Avant d’adorer Dieu, il faut savoir qui est Dieu, et ce qu’est Dieu. — Or nous venons de voir précisément que c’est l’inverse qui se produit. L’homme adore, l’homme est religieux avant de connaître Dieu (parce qu’il se trouve déjà prosterné — devant Dieu — lorsqu’il prend conscience de lui-même). Et c’est parce qu’il est ainsi prosterné, parce qu’il est ainsi religieux dans le principe inconscient de sa volonté, qu’il cherche à connaître Dieu, qu’il veut l’adorer dans sa volonté réfléchie. Ce n’est pas l’idée qui précède l’expérience, mais l’expérience qui précède l’idée ; or l’expérience étant ici celle même de l’obligation, toutes les objections de M. Bois tombent par là même.

[« S’il est une chose dont je sois sûr au milieu de tant de sujets de doute, écrivait Robertson, c’est la réalité de la vie divine dans l’âme de l’homme. Je suis certain qu’il y a quelqu’un qui nous cherche, quelqu’un qui se fait trouver des âmes sincères, et que, du moment où cette recherche sera réciproque, la communion avec Lui peut devenir l’objet d’une expérience personnelle et immédiate. Ce n’est pas par l’intelligence, mais par l’esprit que l’homme trouve Dieu. Les Juifs demandaient un miracle, c’est-à-dire une manifestation sensible de Dieu ; les Grecs cherchaient la sagesse, c’est-à-dire qu’ils s’efforçaient de percevoir le divin par la raison et l’effort intellectuel ; mais la conviction de saint Paul était que l’homme spirituel, c’est-à-dire celui qui cherche par le moyen de l’esprit, peut seul comprendre les choses de Dieu. Je suppose que par esprit, il entend la partie de notre être qui est en rapport avec Dieu, et qui se manifeste, non par l’habileté et la promptitude de la compréhension, mais par la soumission du cœur, la douceur, l’humilité et l’amour. » (Comp. Stopford Brooke : F.-W. Robertson, sa vie et ses lettres, traduit et abrégé de l’anglais par Mme J. Monod) On sait que Robertson, après une crise où il avait tout perdu, sauf la sainteté du bien, est revenu à la foi par la vie et l’expérience. La valeur de telles expériences ne saurait être négligée en psychologie.]

2° Elles tombent d’autant plus complètement que la conception de M. Bois est affectée d’intellectualisme, je ne dis pas dans la représentation objective de la divinité (laquelle ne saurait être qu’intellectuelle), mais dans les conditions qu’il impose à cette représentation. Ces conditions intellectuelles sont celles d’un anthropomorphisme absolu. — Je n’ai rien à dire contre un certain anthropomorphisme inévitable et d’ailleurs légitime, qui découle de la nécessité où nous sommes de nous représenter la personnalité morale de Dieu conformément à la personnalité humaine, et qui se justifie par la parenté morale de l’homme et de Dieu. C’est l’anthropomorphisme biblique et chrétien, hors duquel il n’y a pas de théisme véritable. Mais tout autre chose est l’anthropomorphisme du néo-criticisme, que représente M. Bois. Tandis que le précédent est moral et ne porte que sur le caractère moral de Dieu, celui-ci est intellectualiste et porte sur Dieu lui-même et sur Dieu tout entier. Il contient la négation de l’absoluité et de l’infinité divine, c’est-à-dire de la souveraineté de Dieu, c’est-à-dire encore du caractère essentiel de Dieu, du seul précisément qui explique, légitime et justifie le phénomène d’adoration religieuse. Pour Renouvier, pour Pillon et pour M. Bois, il n’y a ni infini, ni absolu ; Dieu n’est pas l’être infini et absolu. Dieu est seulement plus grand que l’homme ; indéfiniment, considérablement plus grand que l’homme ; mais il n’est qu’un homme, un homme parfait, indéfiniment agrandi. Soumis à toutes les lois qui gouvernent l’homme, il n’en est pas le créateur ; il est dans le temps et il est dans l’espace comme l’homme lui-même. Bref c’est un anthropomorphisme conséquent et absolu. Or sur quoi cet anthropomorphisme se fonde-t-il ? sur la négation du nombre infini. Parce qu’il n’y a pas de nombre infini (et en effet il n’y en a pas), parce que la pensée ne pense pas l’infini, l’infini n’existe pas ? C’est du Descartes à rebours, mais du Descartes tout pur, c’est-à-dire du pur intellectualisme. Descartes partait de la pensée pour affirmer l’absoluité divine ; le néo-criticisme part de la pensée (de la dialectique, des lois mathématiques) pour le nier. Et sans doute que si la vérité était dans la pensée, dans la dialectique, dans les mathématiques, nous donnerions raison à Renouvier. Mais la vérité n’est pas dans la pensée ; elle est dans l’expérience. Il nous importe assez peu que la pensée soit incapable de penser l’infini, si la volonté est capable de percevoir l’absolu. Car si l’absolu est perçu, et s’il est perçu sous forme expérimentale, c’est qu’il existe, et si l’absolu existe, l’infini (qui n’est que la transposition intellectuelle du sentiment moral de l’absolu) existe également. Si la pensée n’en possède pas la notion c’est qu’elle en est incapable, ce n’est point qu’il n’existe pas. Et si la pensée en est incapable c’est pour une raison bien simple : elle n’est point en nous l’organe du phénomène religieux (nous l’avons surabondamment démontré), ni par conséquent de la connaissance métaphysique. Elle n’est qu’un organe de connaissance contingente, relative, temporelle et spatiale. Mais si sa nature, sa fonction et sa destination même l’empêchent de penser l’infini, c’est-à-dire de penser Dieu (Dieu est impensable), n’est-ce pas une contradiction flagrante et gratuite que de faire des conditions de la pensée, la condition de la représentation objective de Dieu ? Et après avoir répudié la compétence de la pensée en métaphysique, comme fait le néo-criticisme, n’est-ce pas une faute de méthode que d’appliquer les limites de la pensée en religion ? — Nous repoussons donc l’anthropomorphisme criticiste (celui qui fait de Dieu un homme soumis au temps, à l’espace et à l’obligation) comme entaché d’intellectualisme ; et sans exclure tout anthropomorphisme quelconque, nous statuons Dieu absolu, infini et souverain, en vertu de l’expérience que nous en acquérons par l’obligation de conscience.

Et ceci nous permet de répondre aux objections de M. Bois. Nous lui disons que l’obligation imposée par Dieu à l’homme n’est pas, comme il le pense, une simple relation du plus fort au plus faible ; elle n’implique point contrainte de la part de Dieu, utilitarisme ou servilité de la part de l’homme. Elle est une relation souveraine d’où les rapports quantitatifs sont exclus, et d’où ne procèdent que des rapports de qualité, c’est-à-dire un rapport moral. Nous lui disons surtout que Dieu n’est pas avec nous dans une relation de maître à serviteurs, mais dans une relation génétique, de créateur à créatures, mieux encore de Père à enfants. Dieu est l’auteur, et l’auteur absolu, de notre être. Dès lors, les questions de droit que soulève M. Bois : question du droit de Dieu à nous imposer son autorité, question du droit de l’homme à s’y soumettre, ces questions ne se posent plus et ne peuvent plus se poser. Dieu étant l’auteur souverain de notre être a sur nous tous les droits qu’il lui a plu d’avoir. Et c’est précisément l’essence du sentiment religieux que de les lui reconnaître. L’homme étant souverainement dépendant de Dieu, n’a point de droits vis-à-vis de Dieu, et c’est précisément l’essence de la religion que de le confesser. Dans ses rapports avec Dieu, l’homme vit de grâce et non de droits. Tout lui est objet d’action de grâce, et rien de contestation et de murmure. Pour la conscience religieuse, pour le croyant, le bien c’est ce que Dieu veut, le bien c’est la volonté de Dieu ; il n’y a de moralement bon que cette volonté souveraine, ce qu’elle veut en nous et ce qu’elle veut pour nous. Et cela s’explique par la raison très simple que l’homme ne tire la notion du bien moral que de l’expérience qu’il fait de la volonté divine. Il est donc contradictoire d’opposer les notions de droit et de devoir à Celui-là même qui est l’unique source en nous du droit et du devoir. Il est absurde de dire qu’une obligation divine serait une relation de contrainte et de servilité alors que nous ne connaissons l’obligation que grâce à cette relation même.

Remarque II. — Telle était l’objection que M. Bois nous présentait en 1895. Il a évolué depuis. Il nous en présente une autre maintenant (1901) qui est beaucoup plus grave. La voici telle qu’il l’exprime dans ce même discours que j’ai déjà cité ; César Malan fils et ses disciples « conçoivent Dieu comme un être absolu que son absoluité condamne à ne pouvoir agir autrement que d’une manière absolue. C’est pour cela, nous disent-ils, que Dieu ne peut agir sur la partie consciente de l’homme, parce que s’il agissait sur cette partie consciente, son action absolue déterminerait absolument la créature relative et lui ôterait toute indépendance. Dieu prend un détour. Il exerce son action sur la partie subconsciente de notre être… » On le voit, « l’action divine est conçue comme ne pouvant pas ne pas être absolue, générale, constante, uniforme, immuable. Elle ne connaît ni nuances, ni modifications, ni souplesse. Elle se réduit à une action toute semblable à celle des forces de la nature : le rapprochement est si irrésistible qu’il est plus qu’indiqué, il est pris, repris et amplifié par M. Fulliquet… Mais a-t-on satisfait les exigences de la piété quand on lui donne un Dieu personnel, sans doute, mais un Dieu qui ne fait rien personnellement ? Saisie dans la simplicité pure et nue de son essence, l’obligation ne manifeste pas plus la liberté divine que les lois de la nature qui proviennent, elles aussi cependant, d’un Dieu personnel. L’homme religieux a besoin d’un Dieu auquel il puisse parler et qui lui parle lui-même, d’un Dieu vivant et qui ait le sens de la vie, d’un Dieu capable de connaître personnellement sa créature, d’entrer dans le détail de son existence, de recevoir les confidences de son cœur, enfin d’agir spécialement et variablement en elle et pour elle. — Cela dépasse et déborde de tous côtés les cadres rigides et froids de la pure et simple obligation. »

Telle est l’objection. Elle est grave. C’est la plus grave qui nous ait été présentée jusqu’à présent. Elle porte sur ce fait : que l’action qui nous oblige dans la conscience revêt, par son absoluité même, un caractère impersonnel, immuable et fixe qui est incompatible avec la relation religieuse, vivante, personnelle et libre qu’implique la personnalité divine et que réclame le cœur humain. — Si l’action qui nous oblige est à la base de la vie morale, elle ne saurait donc être à la base de la vie religieuse.

Je le répète, l’objection est grave. Si elle était fondée, ce serait la ruine de la conception. Mais nous ne la croyons pas fondée. Elle nous semble reposer sur une interprétation trop étroite et surtout trop substantialiste (trop matérialiste même) de l’absolu dont il est questiona. Par absolu M. Bois n’entend que l’absolu quantitatif en quelque sorte, au lieu que nous entendons aussi et même surtout l’absolu qualitatif. C’est sur cette distinction entre l’absolu qualitatif ou de valeur morale, et l’absolu quantitatif ou de degré, entre l’absolu-droit et l’absolu-pouvoir que nous fondons la première partie de notre réponse :

a – Bien que je confesse que le livre de M. Fulliquet (Essai sur l’obligation morale) prête singulièrement à cette interprétation.

1° Nous disons que l’action divine, en même temps qu’elle nous oblige absolument, nous oblige tout court. (Il ne faut pas, en effet, que l’adverbe mange le verbe.) — Or, qu’est-ce qui nous oblige dans l’obligation ? Sa puissance souveraine, sa force irrésistible ? Non, son universalité, son immutabilité, son uniformité, sa constance ? Non. Quoi donc alors ? — Nous répondons : sa sainteté, le sentiment d’estime morale, de respect moral, d’amour moral, de crainte morale, d’obligation morale en un mot, qu’elle apporte avec elle et fait naître au dedans de nous. Sainteté absolue, sans doute, estime absolue, respect absolu, amour et crainte absolus, obligation absolue ; mais sainteté d’abord, estime d’abord, respect d’abord, amour et crainte d’abord, obligation d’abord et même essentiellement. L’absolu ne vient qu’ensuite ; l’adjectif ne dévore pas les substantifs, mais les qualifie seulement. Or, de quoi témoignent les substantifs ? Incontestablement de moralité, de liberté, de personnalité ; de moralité absolue, de liberté absolue, de personnalité absolue — et donc de personnalité divine. — C’est là ce que M. Bois a oublié.

Son erreur consiste à ne saisir dans la notion d’absolu que ce qui nie la personnalité et non ce qui la soutient ; à opposer l’absolu quantitatif ou de pouvoir (substance, puissance) à l’absolu qualitatif ou de droit (de valeur), comme incompatibles l’un avec l’autreb. Or, nous ne croyons pas à cette incompatibilité. Nous croyons, avec M. Boutrouxc, que la quantité peut être en fonction de la qualité, et la qualité en fonction de la quantité, c’est-à-dire qu’un des aspects de la nature est toujours celui de la personne, et qu’un des aspects de la personne est toujours celui de la nature ; ou si vous préférez : que le mode quantitatif de la nature n’est pas exclusif du mode qualitatif de la personnalité, et que le mode qualitatif de la personnalité n’est pas exclusif du mode quantitatif de la natured. Et cela à plus forte raison quand il s’agit de l’être souverain qui combine et synthétise parfaitement la notion quantitative d’être et la notion qualitative de personne.

b – Cela tient aux prémisses phénoménistes et néo-criticistes de sa doctrine.

c – Comp. De la contingence des lois de la nature.

d – Notez que cela revient à la question traitée dans la Remarque précédente, et que les deux objections de M. Bois, conditionnées par les mêmes prémisses, sont formées l’une de l’autre.

Sans allonger davantagee, je voudrais vous en donner un exemple concret qui vous fera saisir la chose mieux que des arguments. Les écrivains bibliques affirment solennellement que « Dieu n’est pas homme pour se repentir » ; et dans le même temps ils disent que « Dieu se repentit ». — Y a-t-il contradiction ? Nullement. Antinomie, c’est-à-dire apparence de contradiction, oui ; contradiction réelle, non. Et la preuve ? C’est que les deux affirmations sont nécessaires à notre piété. Nous avons également besoin d’un Dieu qui ne se repent pas et d’un Dieu qui se repent. J’ose dire que nous faisons également l’expérience de l’un et de l’autre. En particulier dans le pardon. Comment ? Pourquoi ? Parce que, comme être souverain, Dieu est nécessairement immuable ; et que, comme personnalité souveraine, il est nécessairement muable. (Le changement d’attitude morale à l’égard des changements d’attitude en l’homme est la condition même de son immutabilité ou identité divine. Pour rester moralement le même, il faut qu’il soit autre vis-à-vis du pécheur endurci, et autre vis-à-vis du pécheur repentant.)

e – Ce problème de la personnalité infinie, ou de l’infini personnel, sera repris dans L’expérience chrétienne, 2e vol. — (Éd.)

Il est donc clair qu’en Dieu l’absolu quantitatif (de pouvoir, d’être) n’exclut pas l’absolu qualitatif (de droit, de personnalité). Ils ne s’excluent donc pas non plus dans l’action divine qui oblige l’homme dans sa conscience. Il est clair encore que la conduite divine peut et doit changer à l’égard de l’homme sans cesser d’être divine pour cela. [Un autre exemple fera saisir cela : Un père peut agir vis-à-vis de son enfant de bien des manières différentes, sans que son action perde le caractère paternel. De même Dieu dans l’obligation.]

Dès lors l’action en laquelle se résume toute la conduite de Dieu à l’égard de l’homme, celle qui l’oblige dans sa conscience, peut et doit changer elle aussi sans cesser d’être absolue. Pourquoi ? Parce que l’absolu est une qualité de cette action et non une quantité seulement.

Dès lors aussi l’objection de M. Bois est écartée, et nous pouvons concevoir que Dieu agisse dans la conscience humaine d’une manière libre, personnelle, variable, proportionnée aux besoins et aux circonstances, sans que son action cesse d’être souveraine (de porter le caractère divin) et, dans chaque cas, d’obliger absolument.

Cela est si vrai que l’expérience confirme ici la conception, et que nous expliquons de la sorte quelques-uns des phénomènes les plus frappants de la vie morale et religieuse dans l’humanité, et par exemple la conversion. Pourquoi, toutes choses égales d’ailleurs, la conversion se produit-elle ici plutôt que là ? chez tel individu plutôt que chez tel autre ? Pourquoi « l’un est-il pris, l’autre laissé » ? Pourquoi surtout le réveil de la conscience qui précède et détermine la conversion porte-t-il toujours sur le sentiment d’obligation morale ou religieuse ? C’est que l’acte pur (universel) que Dieu exerce dans la conscience de tout homme, devient une action particulière, plus vive, plus efficace, plus rigoureuse, comme il convient à l’action d’un être personnel à l’égard d’un autre être personnel vivant dans la contingence du temps et de l’espace. — Ceci me paraît tellement vrai que j’estime que toute vie chrétienne authentique en constitue une vérification expérimentale. Indépendamment des appels extérieurs (circonstances, prédications, lectures, etc.) qui s’adressent à son être conscient, le chrétien expérimente des appels et des directions intérieures, qui lui sont imposés dans le subconscient, qui parviennent à sa conscience au travers du subconscient, qui le lient et l’obligent comme l’obligation même, qu’il doit interpréter comme elle sous sa propre responsabilité, et qui ne sont, à les bien prendre, que des intensifications variables et particulières de l’obligation universelle. Les biographies chrétiennes témoignent de ces faits en grand nombre.

Il ne faut donc pas dire que Dieu agit « impersonnellement » parce qu’absolument dans l’obligation ; mais au contraire qu’il y agit personnellement parce qu’absolument. L’absolu et la personnalité, l’absolu et la moralité, l’absolu et la liberté ne se nient pas, mais s’impliquent.

2° Le second grief de M. Bois peut être formulé en ces termes : la vie religieuse ne se borne pas au subconscient ; elle se fait jour dans la conscience aussi, dans la conscience (vie consciente) surtout. C’est dans ce sens qu’il écrit : « L’homme religieux a besoin d’un Dieu auquel il puisse parler et qui lui parle lui-même, d’un Dieu vivant et qui ait le sens de la vie, d’un Dieu capable de connaître personnellement sa créature, d’entrer dans le détail de son existence, de recevoir les confidences de son cœur… Tout cela dépasse et déborde de tous côtés les cadres rigides et froids de la pure et simple obligation. » Et il cite l’exemple de Jésus-Christ : « Aussi bien l’exemple de Jésus lui-même montre jusqu’à l’évidence que le sentiment religieux normal ne se réduit pas au sentiment de l’obligation. Relisez les évangiles, et osez dire qu’il n’y a pas entre Jésus et Dieu des relations surnaturelles incessantes, des prières et des exaucements, des demandes et des réponses, un dialogue perpétuel enfin dans lequel Dieu se montre non pas en vérité comme l’Être Absolu esclave de son absoluité, mais comme le Père céleste dont la tendresse possède le don adorable de suivre en s’y adaptant toutes les sinuosités et toutes les palpitations de la vie chez son Fils bien-aimé, et qui entretient un commerce de douce et féconde liberté avec Celui en qui il a mis toute son affection. »

Nous sommes entièrement d’accord. Mais, d’une part, la moitié de l’objection tombe si l’obligation est une action personnelle ; de l’autre, le fait que la relation religieuse s’inaugure dans le subconscient n’entraîne pas qu’elle soit condamnée à n’en pas sortir. Tout ce que nous avons dit précédemment témoigne du contraire. De même que le subconscient psychologique général est destiné à passer dans la conscience (la vie dans l’existence, le devoir être dans le devoir faire) et n’atteint que là sa valeur proprement humaine, de même la vie religieuse, le rapport religieux doivent se continuer et se parfaire dans le conscient, c’est-à-dire dans la liberté et la responsabilité de l’être moral.

Prenons, pour nous faire comprendre, deux exemples : la prière et la personnalité historique de Jésus. — Je crois, pour ma part, et tous les disciples de Malan admettent à ma connaissance, qu’une des conditions de la révélation totale et salutaire du Dieu de la conscience est constituée par la personne historique de Jésus, et que la personne historique de Jésus s’adresse à la volonté consciente de l’homme. De même, je crois pour ma part (et les disciples de Malan avec moi) à la réalité de la prière conçue dans la pleine signification d’un dialogue personnel et conscient de l’homme avec Dieu. La vie consciente, le conscient, a donc son rôle à jouer en religion, un rôle nécessaire et important et cela au double point de vue : 1) du passage de la religiosité à la religion ; 2) des appuis, directions ou moyens de grâce par lesquels Dieu agit sur la conscience (vie consciente de l’homme). Tout ce que nous disons c’est que la vie religieuse consciente eût été impossible si elle n’eût commencé dans le subconscient. Et pour en revenir à notre double exemple : qu’en dehors et indépendamment du rapport originel institué par Dieu avec la volonté subconsciente de l’homme, celui-ci n’eût jamais prié, et n’eût pas été capable de reconnaître la signification religieuse de la personne historique de Jésus-Christf.

f – Ceci sera repris dans L’expérience chrétienne, 1er vol. (Éd.).

On peut donc dire que la religion en tant que consciente dépasse l’obligation, mais il faut maintenir qu’elle y prend sa source, qu’elle y plonge toutes ses racines.

Remarque III. — Il résulte des données que nous venons d’obtenir que l’obligation de conscience est à la base du phénomène religieux en soi, et de tout phénomène religieux quelconque. Elle est le principe de la révélation religieuse universelle et naturelle. C’est grâce à la relation religieuse qu’elle inaugure, grâce à l’intention qu’elle dénonce et aux caractères spécifiques qu’elle possède, que l’homme, objet de l’activité divine, devient conscient de Dieug. C’est parce qu’il possède le témoignage que Dieu se rend à lui-même dans sa conscience, que l’homme voit Dieu dans l’homme, dans l’histoire et dans la nature, qu’il l’y cherche, et qu’il l’y retrouve, sans toutefois l’y trouver jamais complètement. Ce n’est pas l’homme, ce n’est pas l’histoire, ce n’est pas la nature, comme tels et directement, qui révèlent Dieu au cœur de l’homme. Ils en sont parfaitement incapables, car ils sont affectés d’un désordre, d’une désharmonie et d’une contradiction qui ne parlent nullement en faveur de l’existence de Dieu, qui deviennent plutôt des arguments contre l’existence probable d’une divinité. Fussent-ils même parfaits et harmonieux, cette perfection, toute limitée, cette harmonie, toute contingente, n’éveilleraient en l’homme aucun écho religieux, si leur témoignage n’était accompagné du témoignage de la conscience et interprété par lui. De là vient que la révélation de Dieu dans la nature et dans l’histoire est toujours corrélative à la vie religieuse du sujet, toujours proportionnelle à la révélation de Dieu dans la conscience du sujet particulier. — Non pas que celle-ci varie en soi (au moins ne sommes-nous pas en droit de le statuer jusqu’à preuve décisive), mais elle varie par l’attention qui lui est prêtée d’un individu à l’autre, et surtout par l’obéissance intime et le degré d’obéissance qui lui est prêté par chaque individu particulier.

g – « Quel autre siège donnerez-vous à la foi en Dieu que la conscience, c’est-à-dire que le siège de la vie morale ? » Vinet, Essai sur la manifestation des convictions religieuses (2e éd. 1858) (Éd.)

Il n’y a donc à proprement parler aucune preuve de l’existence de Dieu (ce qui concorde parfaitement avec nos conclusions précédentes), mais il y a un témoignage à la fois universel et individuel, que Dieu se rend à lui-même dans chaque conscience humaine. Dieu est donné dans l’expérience humaine, et il est une donnée de cette expérience. Toutes les soi-disant preuves démonstratives de l’existence de Dieu sont basées sur ce témoignage, n’en sont qu’une élaboration dialectique inconsciente. Ce ne sont pas des preuves, puisque leur valeur démonstrative (rigueur dialectique) échoue en dernière analyse ; ce sont des arguments dont l’évidence logique est nulle, mais dont la portée reste considérable (bien que variable d’un individu à l’autre) à titre de témoignage rendu à l’expérience religieuse primitive de l’homme. Cette signification n’est point à dédaigner ; mais c’est là toute leur signification. De telle sorte que si l’on nous demande raison de notre foi en Dieu, nous ne serons admis à faire valoir aucun de ces arguments comme décisifs, mais nous serons obligés de les ramener à leur source première, et nous dirons : je crois en Dieu parce que l’expérience de son autorité m’est directement imposée par Lui dans ma conscience.

En parlant de Dieu, nous ne ferons donc point appel au raisonnement, nous ferons appel à la conscience ; nous de ferons pas de l’existence de Dieu une question d’intelligence, mais nous ferons du caractère religieux de l’homme une question de sincérité ; nous ne démontrerons pas, nous rendrons un témoignage, et comme nous avons lieu de croire que ce témoignage est universel, notre tâche sera d’y rendre attentif, de ramener l’homme au dedans de lui-même, nous nous efforcerons de l’y faire discerner et saisir lui-même, ce qui est la seule manière possible de fonder la certitude et la conviction en une matière qui ne comporte pas de preuves démonstratives. Et nous montrerons combien cette absence même de preuves est tout ensemble digne de l’homme qui doit croire, de Dieu qui veut être cru, et convenable à la relation religieuse qui est une relation de foi et non de connaissance.

[La vérité religieuse est une vérité d’attitude : attitude de sincérité, c’est-à-dire d’accord de soi-même avec soi-même. Elle est conditionnée par cette obéissance de la volonté libre à son principe religieux. Il s’agit d’être dans la vérité pour connaître la vérité.]

Remarque IV. — Ceci nous conduit à notre quatrième remarque qui concerne le caractère que devra nécessairement revêtir toute révélation religieuse prétendant à l’assentiment ou à la foi de l’humanité. En vertu de ce que : 1° le principe inconscient de la volonté est le seul lieu en l’homme où puisse s’exercer l’action divine immédiate ; 2° l’obligation crée de Dieu à l’homme le seul rapport religieux direct ; 3° l’auteur de l’obligation est le seul Dieu dont l’homme puisse obtenir l’expérience ; nous exclurons comme fausse toute religion, et par conséquent toute révélation religieuse, 1° qui prétendrait atteindre l’homme sans passer par le principe inconscient de sa volonté ; 2° qui instituerait de Dieu à l’homme d’autres rapports que le rapport d’obligation ; 3° qui lui présenterait une autre divinité que celle de l’Auteur de l’obligation.

Ces trois critères, fournis par l’analyse du phénomène religieux universel, primitif et moral, sont absolus. Ils commandent toute la vérité religieuse, sans en excepter le christianisme, parce qu’ils sont tirés du fait premier, de la vérité première, dont tous les autres, même le fait chrétien et la vérité chrétienne ne sont et de peuvent être que le complément, le développement ou la restauration. Le christianisme lui-même, le christianisme surtout, s’il veut se légitimer à nos yeux, sera tenu de montrer, 1° que son lieu d’entrée en l’homme et son point d’appui sont identiques à l’obligation ; 2° que le Dieu qu’il annonce est l’auteur même de l’obligation ; 3° que le mode de sa révélation, de son action rédemptrice, est identique au mode de l’action et de la révélation obligatoire. — Si le christianisme ne réussissait pas à établir ces trois choses, nous cesserions de le défendre ; nous le tiendrions pour une religion fausse ou faussée. Car nous sommes des hommes avant d’être des chrétiens ; c’est en tant qu’hommes que nous prétendons être chrétiens, et ce n’est qu’en partant de la vérité humaine que nous pouvons atteindre la vérité chrétienne. Pour saisir une vérité seconde, il faut, en effet, partir d’une vérité première.

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