Le Pasteur Réformé

3. Motifs de la surveillance du troupeau

Après avoir exposé de quelle manière nous devons prendre garde au troupeau, je mettrai sous vos yeux quelques-uns des motifs de la surveillance que nous avons à exercer, et je me bornerai à ceux qui sont indiqués dans mon texte.

I. La première considération que ce texte nous fournit est tirée de nos rapports avec le troupeau ; nous en sommes les surveillants.

Par la nature même de notre charge, nous devons prendre garde au troupeau ; c’est pour cela que nous sommes placés à sa tête. « Le titre d’évêque, dit Polydore Virgile, est plus onéreux qu’honorable. » Un évêque ou un pasteur ne sont pas des idoles offertes à l’adoration des fidèles, mais des guides chargés de conduire les pécheurs au ciel. ll est déplorable de voir des hommes embrasser une vocation dont ils ne connaissent ni la nature ni les devoirs. Ont-ils bien pesé la charge qu’ils se sont imposée, ces hommes qui vivent dans la nonchalance et les plaisirs, qui passent leurs heures dans de frivoles amusements ou dans de futiles conversations ? Songez-vous, mes frères, à ce que vous avez entrepris ? Vous vous êtes engagés à conduire les soldats de Christ « contre les principautés, les puissances et contre le prince des ténèbres. » Vous devez les endurcir aux plus rudes combats, leur découvrir les ruses et les stratagèmes de l’ennemi ; vous devez veiller vous-mêmes, et les tenir sur leurs gardes. La moindre négligence de votre part peut entraîner leur perte et la vôtre. Votre ennemi est rusé, soyez donc prudents ; il est vigilant, soyez-le vous-mêmes ; il est audacieux et infatigable, opposez-lui le courage et la persévérance. Vous êtes entourés d’une foule d’ennemis, il faut faire face à tous. — Quand vous n’auriez à instruire qu’un seul vieillard ignorant, ce serait déjà une tâche bien difficile, même en supposant qu’il eût la volonté d’apprendre ; et que serait-ce, s’il ne l’avait pas ! Mais, au lieu d’un seul ignorant à instruire, nous avons une multitude : il faut que nous passions notre vie à raisonner avec des hommes qui ont, pour ainsi dire, perdu l’usage de la raison, incapables de nous comprendre et de se comprendre eux-mêmes. Que de corruption dans une seule âme, et quelle multitude d’âmes corrompues ! — Quand nous croyons y avoir jeté la semence de la parole, il se trouve que nous avons semé pour les oiseaux de l’air ; les impies sont là, tout prêts à nous contredire. Pour une parole que nous adressons au pécheur, les émissaires de Satan lui en adressent mille. Et encore, avec quelle facilité les soucis et les inquiétudes de ce monde étouffent la bonne semence que nous avons répandue ! Quand la vérité n’aurait d’ennemis que dans le cœur de vos auditeurs, avec quelle promptitude ce cœur charnel et glacé n’éteindra-t-il pas les étincelles que nous y avons allumées ? elles y périront faute d’aliments. — Et quand nous croyons avoir réussi, quand nous voyons les hommes confesser leurs péchés, promettre de se réformer et de vivre comme des créatures nouvelles, nous avons à craindre que cette conversion ne soit pas sincère et qu’ils n’aient changé que leurs opinions et leurs habitudes, mais non leur cœur. — Combien de gens, après une amélioration sensible dans leur conduite, se laissent séduire par les avantages et les honneurs de ce monde, et retombent dans leurs anciennes convoitises ! Combien qui ne font que renoncer à des habitudes honteuses, pour en prendre de plus décentes et qui jettent moins de trouble dans leur conscience ! Combien s’enorgueillissent avant d’avoir acquis une connaissance solide de la religion, et, se confiant à la force de leur intelligence, adoptent avidement toutes les erreurs qu’on leur présente sous le nom de la vérité ! — O mes frères ! quel immense champ de combat est ouvert devant nous ! Les chrétiens convertis, eux-mêmes, voient bientôt languir leurs grâces spirituelles, si vous négligez de les entretenir ; ils ne se laissent que trop facilement entraîner à de coupables pratiques, à la honte de l’Évangile et à leur propre confusion.

Si telle est la tâche d’un ministre, vous voyez quelle vie il doit mener. Agissons donc avec toute notre énergie ; que les difficultés nous animent au lieu de nous décourager ! Si nous ne pouvons tout faire, faisons au moins ce que nous pouvons. Si nous ne remplissons pas tous ces devoirs, si nous croyons nous en être acquittés lorsque nous avons prêché, nous ne moissonnerons que ce que nous aurons semé.

Songez que c’est de votre plein gré que vous vous êtes engagés à accomplir cette tâche. Personne ne vous a contraints de vous faire les surveillants de l’Église ; la probité la plus vulgaire vous fait donc un devoir de vous acquitter fidèlement de votre charge.

La dignité même de votre charge doit être pour vous un puissant encouragement. Vous avez l’honneur d’être les ambassadeurs de Dieu, les instruments dont il se sert pour « sauver les âmes de la mort, et pour couvrir ainsi une multitude de péchés. » L’honneur, à la vérité, n’est que l’accessoire de votre charge. Si donc, comme des prélats l’ont fait dans tous les âges de l’Église, nous n’aspirions qu’à être supérieurs à nos frères, si nous remplissions le monde du bruit de nos prétentions à la prééminence, nous prouverions par là que nous méconnaissons entièrement la nature des fonctions qui nous sont confiées. Que ne disputons-nous plutôt à qui entrera le premier dans la cabane d’un pauvre pour lui montrer le chemin du ciel ; qui entreprendra le premier la conversion d’un pécheur, ou qui deviendra le premier le serviteur de tous ? Comprennent-ils les devoirs que Christ leur a si clairement exposés, ceux qui ambitionnent l’honneur d’être les conducteurs spirituels de toute une province, quand ils n’ont ni la volonté ni le pouvoir de secourir les milliers de pécheurs qui implorent leur assistance ? ceux qui peuvent vivre tranquillement au milieu d’un cercle de personnes profanes sans les solliciter ardemment à la conversion ? ceux qui voudraient avoir la charge de tout un diocèse, quand ils sont incapables de diriger seulement une paroisse ? Quel est l’objet de leur ambition ? le titre et la dignité, ou le travail et la direction active ? Oh ! s’ils étaient résolus à se dévouer humblement et fidèlement pour Christ et son Église, sans songer aux titres et à l’éclat de la renommée, la considération s’attacherait à eux sans qu’ils se missent en peine de la rechercher : ils ne la perdent qu’en voulant y atteindre.

Les glorieux privilèges attachés au saint ministère doivent aussi vous encourager au travail. Si vous négligez l’œuvre, les privilèges ne vous appartiennent plus ; si le travail des autres hommes pourvoit à votre subsistance, si vous pouvez avec liberté d’esprit vous donner tout entier à vos fonctions sans vous préoccuper des moyens de gagner votre vie, c’est là un grand privilège ; mais il ne vous appartient légitimement que si vous remplissez toutes les obligations qu’il vous impose.

Ce privilège n’est pas le seul dont vous jouissiez ; vous en avez de plus précieux. N’est-ce donc rien que d’avoir été élevés pour cultiver la science, lorsque tant d’autres sont destinés à cultiver péniblement la terre ? N’est-ce rien que d’avoir l’esprit orné de connaissances précieuses, lorsque le reste du monde est plongé dans une grossière ignorance ? N’est-ce rien que de pouvoir vous entretenir avec des hommes éclairés sur les sujets les plus sublimes, lorsque tant d’autres ne peuvent s’entretenir qu’avec des hommes vulgaires et illettrés ? Quel glorieux privilège que de passer sa vie à étudier et à prêcher l’Évangile de Christ, à en sonder les mystères et à s’en nourrir, à contempler journellement la nature, les ouvrages et les voies de Dieu ! Tandis que les autres hommes n’ont que le jour du Seigneur, ou quelques heures dérobées à leurs travaux pour s’occuper des choses spirituelles, nous pouvons nous en occuper sans cesse ; nous pouvons presque sans interruption étudier, prier, louer Dieu, nous désaltérer à la source sanctifiante des vérités divines. Toutes nos occupations sont élevées et spirituelles ; dans le monde ou dans la retraite, toutes nos pensées doivent être pour notre céleste patrie. Oh ! si nos cœurs étaient en harmonie avec la sainteté de notre profession, combien notre vie serait douce et heureuse ! Que de bonheur nous trouverions dans l’étude, dans la prédication, dans les entretiens sur les choses éternelles !

Votre charge vous unit à Christ aussi bien qu’à votre troupeau. Vous êtes les gardiens de ses mystères, les dépositaires de ses grâces ; il vous soutiendra dans l’accomplissement de l’œuvre qu’il vous a confiée : soyez-lui fidèles, et il ne vous abandonnera point. Paissez son troupeau, et, plutôt que de vous laisser dans le besoin, il vous nourrira comme autrefois Élie ; il vous donnera « une langue et une sagesse auxquelles nul ennemi ne résistera, » si vous les consacrez à son service. Si vous tendez la main à ceux qui sont dans la détresse, il frappera d’impuissance quiconque oserait s’élever contre vous. Les pasteurs de l’Angleterre ont fait l’expérience de ses miséricordes ; plus d’une fois Dieu les a délivrés des mains de leurs persécuteurs ; plus d’une fois il les a soutenus contre les attaques du papisme, contre la tyrannie du pouvoir, contre les passions furieuses de leurs ennemis. Et pour qui Dieu a-t-il fait toutes choses ? Pour les ministres, ou pour son Église ? Sont-ils à ses yeux plus que les autres hommes ? Ne sont-ils pas formés de la même poussière ? Ne sont-ils pas pécheurs comme eux, et n’ont-ils pas comme eux besoin du secours de la grâce ? Qu’ils travaillent donc comme les rachetés du Seigneur, comme ceux qu’il s’est réservés pour son service ! Servez-le donc et soyez à lui sans réserve, puisque c’est pour cette fin qu’il vous a délivrés du péril.

II. Le second motif indiqué dans mon texte est tiré de la cause efficiente de notre vocation au saint ministère.

C’est le Saint-Esprit qui nous a faits surveillants de l’Église ; c’est donc pour nous un devoir impérieux de nous acquitter fidèlement d’une charge qu’il nous a lui-même confiée. L’action du Saint-Esprit établissant des pasteurs sur l’Église peut se considérer sous trois rapports différents : — il rend ceux qu’il y destine propres à cette charge ; — il donne aux pasteurs chargés de faire la consécration la faculté de reconnaître l’aptitude des candidats au saint ministère ; — enfin, il assigne à chaque ministre un champ de travail particulier. Dans le temps des apôtres, cette action du Saint-Esprit se manifestait fréquemment d’une manière visible et par une inspiration miraculeuse. Elle s’exerce maintenant d’une manière moins ostensible et sans sortir du cours ordinaire de la Providence ; mais c’est toujours le même Esprit qui agit, et les ministres sont, maintenant comme autrefois, établis par le Saint-Esprit, lorsqu’ils sont légitimement appelés. — C’est donc une étrange erreur de la part des papistes de prétendre que dans l’ordination d’un ministre l’imposition des mains soit plus nécessaire que la vocation du Saint-Esprit. Dieu a déterminé dans sa parole les attributions du saint ministère et les qualités nécessaires à ceux qui y aspirent ; or, ce que Dieu a établi ne peut être rejeté par les hommes ou regardé comme inutile. Dieu, qui a institué le saint ministère, donne également à quelques hommes les qualités nécessaires pour l’exercer, et tout ce qui reste à faire à l’Église, c’est de reconnaître quels sont ceux qui possèdent ces qualités, et de procéder à leur nomination et à leur installation.

Qu’ils sont donc sacrés les devoirs que nous impose cette vocation d’en haut ! Quand les apôtres furent enlevés par Jésus-Christ à leurs occupations séculières, ils quittèrent pour le suivre leurs travaux, leurs amis, leur famille. Quand Paul fut appelé par la voix de Christ, il obéit au céleste commandement. Quoique notre vocation ne soit ni si immédiate ni si extraordinaire, elle ne vient pas moins du Saint-Esprit. Gardons-nous d’imiter Jonas et de nous soustraire comme lui aux ordres de Dieu. Si nous négligeons notre tâche, Dieu a des aiguillons pour nous presser ; si nous abandonnons notre poste, il a des messagers pour nous atteindre et pour nous y ramener.

III. Le troisième motif indiqué dans notre texte est tiré de la dignité de l’objet.

C’est « l’Église de Dieu » que nous sommes appelés à surveiller, — cette Église, qui est le principal objet des soins de la Providence, qui est sanctifiée par l’Esprit divin, qui est le corps mystique de Christ, et dont les anges sont les gardiens et les serviteurs ! Oh ! quelle sainte charge nous nous sommes imposée, et comment y serions-nous infidèles ? Comment négligerions-nous le soin de la maison de Dieu ? Comment dédaignerions-nous de conduire ces saints qui doivent posséder un jour la gloire éternelle ? Dieu veuille-nous en préserver ! Je vous en conjure, mes frères, que cette pensée vous réveille de votre indolence ! Vous qui cherchez à vous soustraire à des devoirs pénibles, vous qui éloignez les âmes par votre religion formaliste et sans vie, croyez-vous ainsi rendre à l’épouse de Christ l’honneur qui lui est dû ? Les âmes des hommes qui doivent voir Dieu face à face et vivre éternellement avec lui dans le ciel, ne sont-elles pas dignes de tous vos soins sur la terre ? Croyez-vous que l’Église de Dieu ne mérite pas toute votre sollicitude ? Quand vous n’auriez à garder qu’un troupeau de vil bétail, vous ne le laisseriez point errer à l’aventure ni s’éparpiller ; laisserez-vous donc se perdre le troupeau de Christ ? Christ habite parmi ses enfants ; ils sont « une race choisie, un sacerdoce royal, une sainte nation, un peuple particulier destiné à révéler la gloire de Celui qui l’a appelé. » Comment pourriez-vous ne pas leur donner tous vos soins ? C’est déjà un honneur pour vous d’en faire partie, de n’être qu’un simple gardien dans la maison de Dieu. Qu’est-ce donc que d’être le chef de ce sacerdoce, le premier de ces sacrificateurs ? Quelle activité, quelle fidélité, quelle multitude d’obligations vous impose un titre si noble !

IV. Le dernier motif indiqué dans notre texte est le prix auquel a été rachetée l’Église que nous surveillons.

« Dieu, dit l’apôtre, l’a rachetée par son sang. » Quel puissant motif pour exciter notre zèle ! « Si Jésus-Christ, dit un ancien docteur de l’Église, m’avait confié une seule goutte de son sang, avec quel soin la conserverais-je ! Si donc il m’a confié ce qu’il a racheté au prix de tout son sang, avec quelle fidélité ne dois-je pas le garder ! » Mépriserons-nous donc le sang de Christ ? Nous persuaderons-nous que ceux pour qui il a été versé sont indignes de notre attention ? Tel est le crime des pasteurs négligents : autant qu’il est en eux, le sang de Christ a été versé en vain ; ils lui font perdre les âmes qu’il a rachetées à un si haut prix.

Toutes les fois que nous nous sentirons enclins à l’indolence et à la tiédeur, songeons aux reproches que peut nous adresser Jésus-Christ. « Je suis mort pour ces âmes, et tu ne daignes pas t’en occuper ! Je les ai rachetées par mon sang, et tu ne les juges pas dignes de tes soins ! Je suis descendu du ciel sur la terre pour sauver ce qui était perdu, et tu ne veux pas prendre la peine de faire quelques pas pour le chercher ! Qu’est-ce que ta peine auprès de la mienne ? Ce qui, pour moi, était une humiliation, est un honneur pour toi. J’ai souffert pour le salut des âmes, j’ai daigné t’associer à mon œuvre, et tu refuses de faire le peu de travail que je t’ai confié ! » Toutes les fois que nous sommes en présence de notre troupeau, rappelons-nous qu’il a été racheté par le sang de Jésus-Christ et qu’il mérite par conséquent notre plus tendre sympathie. Oh ! de quelle confusion sera couvert le ministre négligent, lorsque, au dernier jour, le sang du fils de Dieu s’élèvera en témoignage contre lui ! Lorsque Christ lui dira : « Tu as dédaigné les âmes achetées au prix de mon sang, espères-tu donc être sauvé par mon sacrifice ? » O mes frères ! craignons qu’après avoir travaillé au salut des autres, nous ne soyons nous-mêmes condamnés !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant