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6.
Sur le trafic de la vérité

Ne vends point la vérité.

Proverbes 23.23

Quand Balak me donnerait sa maison pleine d’or et d’argent, je dirai tout ce que l’Éternel me dira Nombres 22.18. Ce fut la voix d’un homme, dont la mémoire est en exécration dans l’Église, mais qui lorsqu’il prononçait ces paroles, méritait de servir de modèle à toute la terre. Il était mandé par un roi, qui le rendait en quelque sorte l’arbitre du succès de ses armes, qui le regardait comme faisant marcher la victoire à son commandement, qui mettait sa commission entre les mains des personnes les plus illustres de sa cour, et qui l’accompagnait de présents, dont la magnificence était sortable avec la grâce qu’il sollicitait. Balaam est bien frappé de tant d’honneur, et charmé de tant de biens : il sent tout ce qu’un homme d’une condition médiocre doit à un roi qui le recherche et qui le presse ; mais il sent beaucoup plus encore La majesté de son propre caractère ; il se dit qu’il est le ministre de ce Dieu, devant lequel toutes les nations ne sont que comme une goutte qui tombe d’un sceau Ésaïe 40.15, il regarde Balak et ses courtisans dans ce point de vue ; il immole une vaine fortune à une véritable gloire, et il prononce ces paroles héroïques : Quand Balak me donnerait sa maison pleine d’or et d’argent, je dirai tout ce que l’Éternel me dira. Bien plus, en la présence de Balak, au milieu de ses courtisans, et pour ainsi dire à la vue de ces monceaux d’or et d’argent qu’on fait briller à ses yeux pour le séduire, il s’abandonne aux mouvements de l’Esprit prophétique qui l’anime, et tout brûlant du feu divin que cet Esprit allume dans son âme, il fait entendre ces majestueux oracles : Balak. roi de Moab m’a fait venir d’Aram, des montagnes d’Orient, disant : Viens maudire Jacob, viens détester Israël. Mais comment le maudirai-je ? L’Éternel ne l’a point maudit. Comment le détesterai-je ? L’Éternel ne l’a point détesté. Voici, j’ai reçu la parole pour bénir ; je ne la révoquerai point. Il n’y a point d’enchantement contre Jacob, ni de divination contre Israël. Que tes tentes sont belles, ô Jacob, et tes pavillons, ô Israël !a

aNombres 23.7-8, 20, 23 ; 24.5.

Je voudrais aujourd’hui, mes frères, vous exciter à jalousie par un exemple si digne de votre émulation. Il n’y a que quelques jours, s’il vous en souvient, que nous fîmes nos efforts pour vous montrer la justice de ce précepte de Salomon, achetez la vérité. Nous vous marquâmes alors les moyens de faire une si précieuse acquisition. Nous vous dîmes que Dieu l’avait mise à prix, et qu’il vous demandait, pour vous en mettre en possession, le sacrifice de la distraction, le sacrifice de l’indolence, le sacrifice de la précipitation du jugement, le sacrifice du préjugé, le sacrifice de l’entêtement, le sacrifice de la curiosité, et le sacrifice des passions. Pour vous inspirer le noble dessein de faire tous ces sacrifices, nous étalâmes à vos yeux le prix de la vérité. Nous vous la fîmes considérer par rapport au désir de savoir et de connaître qu’elle peut satisfaire si pleinement ; par rapport aux secours qu’elle vous donne pour remplir les postes auxquels la providence vous appelle dans la société ; par rapport aux scrupules de vous être trompé dans le choix d’une religion, scrupules qu’elle calme parfaitement ; enfin par rapport au temps de la mort, dont elle bannit les doutes qui sont toujours insupportables ; mais surtout quand ils se répandent sur des questions aussi intéressantes que celles qui roulent dans l’âme d’un mourant.

Après avoir travaillé à vous faire acheter la vérité, lorsqu’elle vous est offerte, nous venons vous exhorter aujourd’hui à la conserver précieusement lorsque vous l’aurez acquise : nous venons vous donner ce salutaire avis, que mille et mille députés de Moab et de Madian viendront vous tendre des pièges pour vous porter à la trahir ; nous venons vous conjurer de lui immoler toutes choses, et vous faire entendre ce même Salomon, qui vous disait dimanche dernier : Achetez la vérité, vous disant aujourd’hui, Ne vendez pas la vérité.

Si ce que nous vous proposons sur ce sujet donne moins d’exercice à votre esprit, que ce que nous vous dîmes dans notre premier discours, il donnera plus d’exercice à votre cœur. Quand vous nous entendrez parcourir les divers cas dans lesquels on vend la vérité, vous éprouverez peut-être que vous avez besoin de rappeler tout le respect que vous lui portez, pour écouter avec patience ce que nous vous dirons à ce sujet. Mais si un prédicateur énerve la force de sa prédication, toutes les fois qu’il viole les préceptes dont il prêche la nécessité, ne l’énerverait-il pas d’une manière plus odieuse encore, s’il les violait ces préceptes dans l’instant même qu’il les prescrit ; s’il prêchait l’humilité avec fierté et avec arrogance ; s’il prêchait la restitution tout couvert lui-même des dépouilles de la veuve et de l’orphelin ; s’il prêchait l’amour fraternel, les mains teintes, pour ainsi dire, du sang de ses frères ? Quelle idée vous formeriez-vous de nous, si, lorsque nous vous prêcherons de ne pas vendre la vérité, quelque égard humain nous allait porter nous-mêmes à la vendre actuellement ; à ne pas faire des portraits ressemblants, de peur que quelques-uns de vous ne vinssent à s’y reconnaître. Arrière de nous cette pensée : Quand Balak me donnerait sa maison pleine d’or et d’argent, je dirai tout ce que l’Éternel me dira. Souffrez-nous donc cette noble liberté, qui n’a rien d’opposé au respect que de petits hommes comme nous doivent à un auditoire aussi illustre que celui auquel nous portons la parole. Souffrez que nous ne ménagions d’autre intérêt que ceux de la vérité, que nous n’ayons d’autre objet devant les yeux que votre salut et le nôtre, et que durant tout le cours de ce sermon nous ayons toujours présente à l’esprit cette exhortation d’un apôtre : Je te conjure devant le Seigneur Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts : insiste en temps et hors de temps : reprends, censure, exhorte ; prends garde à toi et à la doctrine qui t’est confiée, car en faisant ces choses, tu te sauveras toi-même et ceux qui t’écoutent.b Amen.

b2 Timothée 4.1-2 ; 1 Timothée 4.16.

Vous entendrez ce que c’est que vendre la vérité, si vous vous souvenez de ce que c’est que l’acheter. La vérité, selon l’idée que nous vous en donnâmes dimanche dernier, se prend dans notre texte pour la convenance qui est entre la nature d’un objet et les idées qu’on s’en forme. Acheter la vérité, c’est faire tous les sacrifices nécessaires pour n’avoir que des idées conformes à ces objets, dont elles doivent être les images. Sur ce principe on ne peut, ce me semble, donner que trois sens à ce précepte, ne vendez pas la vérité.

1°) Ne vendez pas la vérité, c’est-à-dire, ne perdez point cette disposition d’esprit, cette aptitude à la vérité universelle, lorsque vous l’aurez acquise. La justesse de l’esprit, l’exactitude du raisonnement, se conservent par les mêmes moyens qui les procurent. Comme ces moyens sont pénibles dans la pratique, on se lasse souvent de les pratiquer. Il y a des semences de certaines passions qui demeurent comme ensevelies pendant les premières années de la vie, et qui ne se développent que dans un âge plus avancé. Il y a certaines vertus que l’on aurait pratiquées jusqu’à la mort, si l’on avait eu une condition toujours égale. C’est ce que remarque un historien romain à l’égard d’un empereur : Qu’il aurait été digne de l’empire, s’il n’y était pas parvenuc. Tel a été un modèle de docilité, lorsqu’il n’a été que disciple, qui est devenu inaccessible à la raison et à l’évidence dès qu’il s’est vu placé dans une chaire de docteur. Tel s’est profondément appliqué aux sciences, tandis qu’il les regardait comme un chemin aux premiers postes d’un état, qui a laissé égarer ses idées et qui a perdu tout le fruit qu’on retire de l’attention, dès qu’il est arrivé à ce poste, qui était l’objet de tous ses désirs. A mesure qu’on néglige d’avancer dans la carrière de la vérité, on perd l’habitude d’y marcher. L’esprit a besoin d’aliment et de nourriture comme le corps. Fendre la vérité, c’est perdre par la distraction cette aptitude à la vérité universelle que l’on avait acquise par l’attention ; c’est perdre par l’indolence cette disposition que l’on avait acquise par le travail ; c’est perdre par la précipitation du jugement, par le préjugé, par l’entêtement, par l’esprit de curiosité, par l’abandon à ses passions, ce qu’on avait acquis par des voies tout opposées. C’est le premier sens qu’on peut donner à ce précepte : Ne vendez pas la vérité.

c – Galba, Voy. Tacite Hist. liv, I.

2°) Le sage a peut-être voulu porter ceux qui ont des lumières supérieures à les communiquer facilement aux autres ; il a peut-être voulu combattre ces esprits mercenaires, qui vendent leurs conseils à deniers comptants. Ce sens semble se vérifier par ces mots qui suivent, la sagesse et l’instruction ; quelques-uns suppléent achète, achète la sagesse et l’instruction. On peut aussi naturellement rapporter ces deux mots au dernier verbe, et traduire : Ne vends ni la sagesse ni l’instruction. Non que Salomon ait eu dessein de renverser un ordre établi dans la société. Il est de l’équité que ceux qui ont passé leur jeunesse à acquérir certaines sciences, ceux qui ont consumé à ce travail une partie de leur patrimoine, retirent des rétributions de leurs peines, et soient dédommagés des frais de leur éducation. L’ouvrier est digne de son salaire Matthieu 10.10 ; et ceux qui prêchent l’évangile doivent vivre de l’évangile 1 Corinthiens 9.14. Cependant ce même Jésus-Christ, qui était le héraut du désintéressement, comme il en était le modèle, disait à ses apôtres, en leur parlant du don des miracles qu’il leur avait confié, et en général des vérités de l’évangile dont il leur avait commis la prédication : Vous l’avez reçu gratuitement, communiquez-le aussi gratuitement Matthieu 10.8. Et saint Paul était si éloigné de souiller son apostolat ; par un esprit d’intérêt, que quand il crut que la rétribution de son ministère pourrait en ternir la gloire, il aima mieux travailler de ses propres mains que de l’exiger. On voyait cet homme qui avait pris la douce habitude de se nourrir d’étude et de méditation, de tendre son esprit à la contemplation des choses abstraites, on le voyait cultiver les arts les plus vils, pour fournir à son entretien, faire des tentes Actes 18.3, proprement ainsi nommées, lorsqu’il avait travaillé à la construction du tabernacle mystique : plus grand dans ce noble avilissement que ses prétendus successeurs dans tout leur éclat et dans tout leur faste. Un homme qui a des lumières supérieures, doit être dévoué à un état. Le fonds de ses connaissances doit être comme une source publique, où chacun est en droit de puiser. Un médecin doit aux pauvres le secours qu’il peut tirer de son art ; l’avocat leur doit ses conseils ; le casuiste ses directions, sans attendre d’autre récompense que celles que Dieu a promises à la charité : et je ne puis m’empêcher de rapporter ici l’idée que Cicéron nous donne de ces anciens Romains, qui vivaient dans les jours de la liberté et de la véritable gloire de Rome : Ils prenaient connaissance de tout ce qui pouvait tomber en usage dans la république, dit cet orateur. On les voyait se promener au milieu de la place, donner un accès libre à quiconque désirait les aborder, et faire offre de leurs conseils généralement à tous les citoyens. On les allait trouver pour leur demander avis, non seulement sur des points de droit, mais sur toutes sortes d’affaires, comme quand il s’agissait de quelque enfant à établir, de quelque acquisition à faire, de quelque domaine à cultiver ou à faire valoird.

d – Cicéron, Dialogue de l’Orateur, liv. III. Voy. la Traduct. de l’abbé Castagne, édit. de Lyon, pag. 493.

3°) Mais on peut donner un troisième sens au précepte de Salomon, et entendre par vendre, ce que nous appelons dans notre langue, trahir la vérité. Trahir la vérité, c’est, par quelque motif sordide, déguiser, supprimer des choses importantes, ou à la gloire de la religion, ou à l’intérêt du prochain, ou au bonheur de la société.

Il serait difficile de démontrer lequel de ces trois sens est le plus conforme à la pensée de Salomon. Dans des sentences détachées, comme sont la plupart de celles de ce prophète, on ne peut souvent prononcer décisivement : mais si l’interprète doit suspendre son jugement, le prédicateur peut régler son choix par les circonstances où il se trouve, prendre parmi plusieurs sens tous soutenables, tous conformes à l’analogie de la foi et au génie de l’auteur sacré, celui qui a le plus de rapport à l’état de ses auditeurs. Si cette maxime est sage, nous sommes engagés, ce me semble, après avoir indiqué ces trois significations, de nous attacher à la troisième. Nous marquons six ordres de personnes, qui peuvent vendre la vérité, dans le sens que nous avons indiqué : 1. Le courtisan. 2. Le zélateur indiscret. 3. L’apostat ou le nicodémite. 4. Le juge. 5. Le politique. 6. Le pasteur. Le courtisan par une basse adulation. Le zélateur indiscret par des fraudes pieuses, au lieu de ne défendre la vérité qu’avec les armes de la vérité même. L’apostat ou le nicodémite par l’amour du siècle présent 2 Timothée 4.10 ou par la crainte des tourments, lorsqu’il est appelé à rendre raison de sa foi et de l’espérance qui est en lui 1 Pierre 3.15, et à prendre pour modèle ce Jésus, qui, selon l’expression de l’apôtre, fit cette belle confession devant Ponce Pilate 1 Timothée 6.13. Le juge par un principe de partialité, lorsqu’il faudrait mettre un bandeau devant ses yeux, pour n’avoir point d’égard à l’apparence des personnes. Le politique par une criminelle circonspection, quand il devrait porter la sonde jusque dans le fond des plaies d’un état, et examiner dans des assemblées publiques quelles sont les véritables causes de sa décadence, et les vrais auteurs de ses misères. Enfin le pasteur, par une lâcheté qui l’empêche d’annoncer tout le dessein de Dieu Actes 20.27, de déclarer à Jacob ses crimes, et à Israël ses péchés Michée 3.8. Ainsi l’adulation du courtisan, les fraudes pieuses du zélateur indiscret, la mondanité et la timidité de l’apostat ou du nicodémite, la partialité du juge, la criminelle circonspection du politique, et la lâcheté du pasteur : voilà les six défauts que nous attaquons : voilà six sources que nous ouvrons à vos réflexions, et ce qui doit occuper le reste de ce discours.

1. La bassesse de l’adulation, c’est le premier vice que nous attaquons, et la première manière de vendre la vérité. Nous désignons ici ce commerce frauduleux, dans lequel, au prix de quelques vaines louanges, on veut se procurer des avantages solides, et avec un peu de fumée se concilier la bienveillance de ceux à qui l’on érige des autels, sur lesquels on offre l’encens de la flatterie. Ce n’est pas seulement dans les palais des rois que se fait cet indigne commerce : on le voit presque partout où il y a des supérieurs et des subalternes ; parce que presque partout où il y a des supérieurs, il y a des gens qui aiment à écouter la voix de l’adulation, et que presque partout où il y a des subalternes, on voit des gens qui ont la bassesse de la faire entendre. Ce que le roi est dans son royaume, le gouverneur l’est dans sa province ; ce que le gouverneur est dans sa province, le noble l’est dans son domaine ; ce que le noble est dans son domaine, l’homme d’une condition médiocre l’est parmi ses ouvriers et ses domestiques. Bien plus, l’encens de l’adulation ne monte pas toujours seulement du subalterne au supérieur ; les personnes égales se le donnent mutuellement, et quelquefois le supérieur le donne même au subalterne. Il y a certain genre d’hommes qui voudraient que chaque membre de la société mît la main à l’édifice d’une fortune dont ils sont eux-mêmes uniquement occupés, et qui est le grand mobile de leurs démarches. Gens qui voudraient se loger à l’abri de la protection des grands, s’incorporer avec la réputation des personnes illustres, puiser dans le fonds des riches, avoir l’artisan à leur portée. On dresse la même batterie contre tous, c’est celle de l’adulation : on la proportionne aux diverses sortes de personnes ; on la ménage selon leurs faibles différents ; on la diversifie selon les circonstances ; on plie selon les temps ; on y consacre non seulement la voix, mais on a l’art d’y faire servir tout ce qu’on est et tout ce que l’on possède ; on compose l’air de son visage ; on a la joie ou la tristesse, la mortification ou le plaisir, à son commandement ; on applaudit avec industrie ; on travaille à ne se présenter devant un homme qu’en lui réveillant des idées agréables, et l’on est assuré de ne lui en réveiller que de telles, quand on sait ne se présenter devant lui qu’avec cet air extasié de ses vertus, et prêt à se récrier sur le prodige de ses talents et de ses lumières. On se fait des amis des caractères les plus opposés, parce qu’on loue presque également les qualités les plus opposées. On donne à l’avidité autant de louanges qu’on en a donné à la modération ; on en donne à l’orgueil autant qu’on en a donné à l’humilité ; et à la sordidité autant qu’à la générosité même.

Tel est le caractère de l’adulateur. Tel est le premier trafic que nous interdit le sage : Ne vendez pas la vérité : trafic honteux ; trafic indigne, je ne dis pas seulement d’un chrétien, je ne dis pas même d’un philosophe, mais trafic indigne d’un homme qui conserve encore quelques traces de sa première liberté. Trafic contre lequel l’église et la synagogue, le christianisme et le paganisme, saint Paul et Sénèque sont également réunis. Trafic honteux, non seulement à celui qui doc ne ce faux encens, mais à celui même qui a la faiblesse de l’aimer et de s’en repaître. La voix d’un courtisan, qui élève un prince au-dessus des hommes, est souvent la marque la plus certaine du mépris qu’il a pour lui dans son cœur. Un homme qui exagère et qui étale vos vertus, pose pour principe que vous êtes un esprit qui ne se connaît pas lui-même. Il pose pour principe que vous êtes vain, que vous aimez à ne vous voir vous-mêmes que par vos beaux côtés. Il pose pour principe que vous êtes injuste, que vous vous arrogez une gloire à laquelle vous n’avez point droit de prétendre. Il pose pour principe que vous n’avez point de sentiment de délicatesse, et que vous préférez de vaines louanges à un silence respectueux. Il pose pour principe que vous avez peu de religion, puisque vous en violez la loi la plus auguste, qui est l’humilité. Il faut avoir la vue bien courte, il faut être bien novice dans le monde, il faut bien peu connaître le cœur humain, pour être sensible à de pareils éloges. Il n’y a ni roi si cruel, ni si barbare tyran, ni monstre si odieux, que la flatterie n’ait élevé au-dessus des plus grands héros. Le trafic de l’adulateur est donc une manière également honteuse de vendre la vérité, soit pour celui qui la vend, soit pour celui à qui elle est vendue.

2. Le zélateur indiscret fait le second ordre de ceux qui vendent la vérité. S’il est coupable du même crime, il l’est par un motif en apparence plus propre à le disculper. Il ne se sert du mensonge que pour établir la vérité, et s’il commet une fraude, c’est une fraude consacrée à la religion. Je ne suis pas surpris, mes frères, que les partisans des communions erronées aient suivi cette méthode, et qu’ils aient avancé, pour l’établir, des arguments dont ils sentaient eux-mêmes le faible, et des faits dont ils étaient les premiers inventeurs. C’est ce qu’on a reproché à juste titre à ce cardinal qui s’est rendu célèbre dans l’église par les combats théologiques qu’il a livrés aux protestants, plus encore par les coups qu’il a reçus : on lui a appliqué la comparaison qu’il fait lui-même d’un certain Léon Africain, qu’il dit être semblable à cet oiseau amphibie de la fable, qui était tantôt oiseau, et tantôt poisson ; oiseau quand le roi des poissons exigeait le tribut ; poisson quand c’était le roi des oiseaux qui l’exigeait.

C’est une prudence digne des enfants de ce siècle Luc 16.6, de faire suppléer le mensonge à la vérité : mais que les ministres du Dieu vivant se soient servis des mêmes armes que les ministres du démon, et que l’on ait employé pour une religion, fondée sur la démonstration et sur l’évidence, ces mêmes artifices dont on a eu besoin pour celles qui n’avaient de fondement que dans l’imagination des hommes : c’est ce dont on aurait peine à se convaincre, si on ne le voyait de ses propres yeux. Nous rougissons pour la religion, quand nous voyons cette méthode adoptée par les anciens docteurs de l’église, non seulement dans ces moments où la chaleur du discours fait qu’on oublie ses propres principes, mais même de sang-froide. Nous avons honte pour les premiers siècles du christianisme, quand nous entendons saint Jérôme donner son approbation à ceux qui ont rapporté, non ce qu’ils pensaient, mais ce qu’ils croyaient propre à confondre les païens ; faire cette captieuse distinction, ce qu’on écrit en dogmatisant et ce qu’on écrit en disputant ; soutenir que lorsqu’on dispute il est libre d’argumenter comme l’on veut, de produire du pain et de tenir une pierre. Nous sommes confondus, quand nous trouvons parmi les anciens monuments de la religion chrétienne, les lettres de Lentulus au sénat, écrites en faveur de Jésus-Christ, celles de Pilate à Tibère, celles de saint Paul à Sénèque et celles de Sénèque à saint Paul, celles même du roi Agbare à Jésus-Christ, et celles de Jésus-Christ au roi Agbare. Nous sommes effrayés, quand nous entendons les pères de l’église comparer les prétendus oracles des Sibylles à ceux des anciens prophètes, leur attribuer la même confiance et ouvrir ainsi de toutes parts le flanc aux objections des ennemis du christianismef. Et plût à Dieu que nous n’eussions pas vu nous-mêmes sous nos yeux, des docteurs célèbres tirer des visions de quelques fanatiques des arguments pour appuyer la vérité !

e – Epist. I. ad Pammach. Voy. Daillé, Usage des Per. chap. VI.

f – Voy. Blondel des Sibylles, liv. I. chap. 5. 10. 14. 24.

La seule prudence humaine suffit pour sentir l’injustice de cette méthode. Les fraudes pieuses des premiers siècles sont aujourd’hui une des plus puissantes objections que les ennemis de la religion puissent lui opposer. Ils ont répandu des soupçons sur les vrais monuments de l’église en produisant les chimériques, qu’un zèle indiscret avait érigés à sa gloire, et ces indignes artifices ont mille fois plus ébranlé de fidèles, qu’ils n’ont ramené d’incrédules.

Dieu avait défendu anciennement qu’on lui offrît le sacrifice d’un chien et le salaire à une femme prostituée Deutéronome 23.18. Souffrira-t-il aujourd’hui que l’on emploie à l’établissement de la religion les mêmes voies qui ont établi celle de Mahomet ? Jésus-Christ appellera-t-il Bélial à son secours ? La lumière aura-t-elle recours aux puissances des ténèbres pour se faire apercevoir ? Et n’est-ce pas toujours pécher contre le précepte de Salomon, que de vendre la vérité, fût-ce pour la vérité même ? Ne vendez pas la vérité.

3. Nous rangeons les apostats dans une troisième classe, de ceux qui vendent la vérité, les temporiseurs et les nicodémites.

1°. Les apostats. Mais ne nous arrêtons pas à combattre un ordre de gens contre lesquels tout semble servir de ministre à la vengeance céleste qui les poursuit. L’idée qu’ils laissent dans les communions qu’ils abandonnent ; le mépris qu’on leur témoigne dans celle qu’ils embrassent ; les noms odieux qu’ils remportent, les bourrellements de leurs consciences, les voix foudroyantes de nos Écritures, les exemples épouvantables des Judas, des Hyménée, des Philète, des Julien et des Spiera ; les feux et les flammes de l’enfer, voilà les arguments contre l’apostasie ; voilà le prix de ceux qui vendent la vérité de cette manière.

2°. Mais il y a un autre ordre de personnes auxquelles nous voudrions faire sentir la justice du précepte de Salomon, ce sont celles qui vendent la vérité par la crainte des tourments que les persécuteurs infligent à ceux qui ont le courage d’en arborer les étendards ensanglantés, ce sont les temporiseurs, les nicodémites. Vous les connaissez, mes frères. Plût à Dieu les malheurs des temps vous eussent-ils moins appris à les connaître ! Ce sont les imitateurs de ce disciple timide qui admirait Jésus-Christ, qui était bien convaincu de la vérité de sa doctrine, frappé par l’éclat de ses miracles, pénétré de la divinité de sa mission, et son prosélyte du cœur et de la pensée, mais qui par la crainte des juifs Jean 7.13 n’osait faire profession ouverte de la vérité, et n’allait à Jésus-Christ que de nuit Jean 3.2, selon la remarque de l’Évangile. Ainsi nos nicodémites aujourd’hui ont bien horreur de la superstition, ils connaissent bien la vérité, ils forment bien les vœux les plus ardents pour la prospérité de l’Église, ils voudraient bien voir les troupes de Jésus-Christ marcher enseignes déployées, et s’y ranger les premiers ; mais ils prétendent seulement que dans les temps de tribulation, lorsqu’on ne peut, sans ruiner sa famille, sans sacrifier sa fortune, sans être exilé des lieux de sa naissance, faire profession de la vérité, il est permis de céder aux temps, de déguiser son christianisme, et d’être antichrétien au dehors, pourvu que l’âme soit chrétienne.

a) Mais que voudraient dire tant de décisions expresses de nos Écritures, si ces prétentions sont fondées ? Tout homme qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui ne prend point sur soi sa croix pour me suivre n’est pas mon disciple. Celui qui voudra sauver son âme la perdra, mais celui qui voudra la perdre pour l’amour de moi et de l’évangile, celui-là la trouvera. Celui qui aura eu honte de moi et de l’évangile parmi cette race adultère, éprouvera que le Fils de l’homme aura honte de lui quand il sera venu en sa gloire Matthieu 10.32 ; Marc 8.38.

b) Pourquoi nous mettre devant les yeux, si les prétentions des temporiseurs sont fondées, l’exemple de ces fidèles qui ont marché dans la carrière des tribulations, et qui ont suivi Jésus-Christ avec une constance héroïque sur les traces de sa croix et de son martyre ? Pourquoi celui de ces trois jeunes hommes, qui aimèrent mieux être jetés dans une fournaise ardente que de se prosterner devant une statue dressée par un roi idolâtre Daniel 3.19 ? Pourquoi celui de ces martyrs, qui souffrirent sous le barbare Antiochus, et la constance de cette mère, qui, après avoir, pour ainsi dire, éprouvé sept fois les horreurs de la mort en voyant mourir chacun de ses sept fils, les éprouva une huitième en imitant leur exemple, et en couronnant leur martyre par le sien propreg ? Pourquoi cette nuée de témoins qui par la foi ont été exposés aux tourments, qui ont été éprouvés, par les moqueries, par les fouets, par les liens, et par les prisons ; qui ont été lapidés, qui ont été sciés, qui ont été tentés, qui sont morts par le tranchant de l’épée, qui ont été errants çà et là, vêtus de peaux de chèvre, destitués de tout, affligés ? Hébreux 11.37

g2 Maccabées ch. 7.

c) Si les prétentions des temporiseurs sont fondées, quel était donc le but de ce qu’il y eut de plus pur dans l’église naissante, de ces conciles, tenus à l’occasion de ceux qui avaient la faiblesse de jeter un grain d’encens dans le feu allumé à l’honneur des idoles ? Quel était le but de ces canons rigoureux formés contre eux ; de ces peines qui leur étaient infligées, de ces délais d’absolution, qui ne leur était accordée qu’aux extrémités de la vie ?

d) Si ces prétentions sont fondées, à quoi sont destinées tant de promesses faites aux confesseurs et aux martyrs, ces vêtements blancs Apocalypse 3.5 qui leur sont réservés, ces palmes Apocalypse 7.9 triomphantes qui doivent être mises dans leurs mains, ces couronnes de gloire qui leur sont préparées, ces voix réitérées que leur fait entendre le chef et le consommateur de leur foi Hébreux 12.2 : celui qui vaincra je le ferai asseoir sur mon trône Apocalypse 3.21. Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne Apocalypse 3.11 ?

e) Si ces prétentions sont fondées, Dieu aurait-il accordé tant de secours miraculeux dans l’exercice du martyre ? C’est dans l’exercice du martyre que saint Pierre voit un ange qui lui ouvre les portes de sa prison Actes 12.7, 14. C’est dans l’exercice du martyre que Paul et Sylas sentent le lieu qui les renferme trembler et leurs chaînes déliées Actes 16.26. C’est dans l’exercice du martyre que saint Étienne voit les cieux ouverts, et Jésus assis à la droite de Dieu Actes 7.56. C’est dans l’exercice du martyre que Barlaamh entonne ce cantique : Béni soit Dieu qui dresse mes mains au combat, et mes doigts à la bataille Psaumes 144.1. C’est dans l’exercice du martyre que Perpétue et Félicité voient une échelle parsemée, à la vérité, de tenailles, de couteaux, d’épées, mais une échelle qui conduit au ciel, et au bout de laquelle est Jésus-Christ qui les encouragei. Et vous, mes frères, en participant aux souffrances des anciens fidèles, n’avez-vous pas participé à leur consolations ? Tantôt par des chemins ouverts malgré la vigilance de vos ennemis ; tantôt de puissantes protections qui ont expliqué à la lettre la promesse de l’évangile, que celui qui aura abandonné quelque bien temporel pour sa cause en recevra dès cette vie même cent fois autant Matthieu 19.29. Tantôt des délivrances qui ont tenu du prodige ; tantôt une constance à l’épreuve des plus cruels tourments, et un courage héroïque, qui a étonné, qui a lassé les bourreaux. Tantôt des transports qui vous ont fait dire : Lorsque nous sommes faibles, c’est alors que nous sommes forts 2 Corinthiens 12.10 : nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés Romains 8.37 ; nous nous glorifions même dans les afflictions Romains 5.3. Autant de réflexions ; autant d’arguments qui renversent les prétentions des nicodémites, et qui prouvent que nous les avons misa bon droit dans la classe de ceux qui trahissent la vérité.

h – Martyr à Antioche de Syrie, vers 303.

i – Tertull. De l’âme, ch. 5.

Mais à quoi étais-je destiné aujourd’hui, grand Dieu ! Qui sont ces temporiseurs, qui sont ces nicodémites, dont nous prononçons la sentence ? Combien de ceux qui nous écoutent ont des personnes qui leur sont chères enveloppées dans ce malheur ? Où est la famille de nos exilés qui ne puisse s’appliquer ces paroles d’un prophète ? Ma chair est en Babylone, mon sang est parmi les habitants de la Chaldée Jérémie 51.35. Ah, honte de la réformation ! ah, souvenir digne d’ouvrir une source éternelle de larmes ! Rome, qui nous insultes et nous braves, ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces galères que tu remplis de nos forçats, dont tu aggraves les peines par le bâton sous lequel tu les abats, par les chaînes dont tu les accables, par le vinaigre que tu répands sur leurs plaies ! Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces cachots noirs et puants, inaccessibles à la lumière, et dont tu augmentes l’horreur en laissant les corps morts avec les corps vivants : mais lieux changés en lieux de délices par les influences de la grâce que Dieu verse dans l’âme des prisonniers, et par les cantiques d’allégresse qu’ils ne cessent de faire retentir à sa gloire. Ne prétends pas nous confondre en nous montrant ces maisons ruinées, ces familles dispersées, et ces troupes fugitives par tous les lieux de l’univers : ces objets sont notre gloire, et tu fais notre éloge en nous insultant. Veux-tu nous couvrir de confusion ; montre, montre-nous les âmes que tu nous as enlevées, reproche-nous, non que tu as extirpé l’hérésie, mais que tu as fait renier la religion ; non que tu as fait des martyrs, mais que tu as fait des déserteurs de la vérité.

C’est ici véritablement notre endroit sensible. C’est ici où il n’y a point de douleur égale à notre douleur. C’est ici que la muraille de Sion verse de larmes jour et nuit un torrent Lamentations 2.18. Que vous dirais-je, mes frères, pour comme vous consoler dans ces justes douleurs ? Si vous n’aviez perdu que vos biens, je vous dirais que le trésor du chrétien est dans le ciel ; si vous n’aviez perdu que votre patrie, je vous dirais que l’âme fidèle trouve son Dieu dans les déserts, dans la solitude, dans les climats les plus reculés ; si vous n’aviez perdu que vos temples, je vous dirais que la faveur de Dieu n’est pas attachée à des lieux et à des murailles. Mais que vous dirais-je, épouses éplorées, qui me montrez vos époux séparés de Jésus-Christ, par une abnégation dans laquelle ils persévèrent depuis trente années ? Que vous dirais-je, mères tendres, qui me montrez vos enfants aux pieds d’un autel idolâtre ?

O Dieu ! tes compassions sont-elles épuisées, et la religion, cette source féconde de consolation, n’a-t-elle rien qui puisse soulager nos maux ? Ces déserteurs de la vérité sont nos amis, nos frères, d’autres nous-mêmes. Il y a plus, ils sont apostats et martyrs tout ensemble. Apostats par leur chute ; martyrs par le désir, quoique faible, de s’en relever : apostats par les craintes qui les retiennent, martyrs par les mouvements qui les pressent : apostats par ces exercices de superstition, où il s’abandonnent par contrainte ; martyrs par ces soupirs qu’ils poussent au ciel, et par ces larmes qu’ils versent en secret. Que le martyr obtienne la grâce de l’apostat ; que la faiblesse excuse la chute ; que la pénitence expie l’idolâtrie ; ou plutôt que le sang de Jésus-Christ couvrant l’apostasie, la faiblesse, les défauts mêmes de la pénitence, désarme ta justice, et émeuve tes compassions.

4. Nous avons mis les juges dans une quatrième classe, de ceux à qui la voix de notre texte doit être adressée : Ne vendez point la vérité.

a) Un juge vend la vérité s’il a égard aux liaisons qui l’unissent à ceux dont la cause est injuste. Dès qu’il est monté sur le tribunal de la justice, il doit oublier parfaitement toutes les liaisons de l’amitié et du sang. Il doit être en garde contre lui-même, afin que les impressions que les liaisons ont faites sur son cœur n’altèrent point le jugement de son esprit, et ne fassent pas pencher la balance du coté de ceux avec lesquels il est uni d’une manière si tendre. Il doit porter indifféremment le glaive, comme un nouveau Lévi, contre son frère, contre son ami, et se rendre digne de l’éloge qui fut donné à ce saint homme : Il dit de son père, je ne l’ai pas vu ; de ses frères, de ses enfants, je ne les ai pas connus Deutéronome 33.9. Il doit se couvrir les yeux d’un bandeau à travers lequel il ne puisse démêler dans la foule ces personnes pour lesquelles la nature parle avec tant de force.

b) Un juge vend la vérité s’il se laisse éblouir par le faux brillant de celui qui plaide contre la justice. Quelques jurisconsultes ont eu le front de soutenir cette maxime, et de la suivre contre la foi même des serments qu’ils ont prêtés lorsqu’ils ont été revêtus de leurs caractères ; c’est que si le ministère d’un juge est de démêler la vérité d’avec le mensonge, l’office d’un jurisconsulte est non seulement de mettre dans tout son jour le droit de la cause qu’il défend mais de lui attribuer tout celui que peut imaginer un homme qui a l’art de donner à des sophismes les couleurs de la démonstration et de l’évidence. Se laisser éblouir par les fausses lueurs de l’éloquence, ou feindre de s’en être laissé persuader, soit pour s’épargner le travail qu’aurait demandé la discussion d’une vérité enveloppée par l’artifice de celui qui plaide contre elle, soit pour récompenser en partie le plaisir qu’on a eu d’entendre parler avec vivacité et avec élégance, c’est vendre la vérité ; c’est immoler le droit de la veuve et de l’orphelin à la régularité d’un geste, à un tour d’expression, à une figure de rhétorique.

c) Un juge vend la vérité, s’il est ébranlé par les assiduités importunes d’un infatigable solliciteur. C’est une conduite qui n’est pas moins irrégulière, pour être autorisée par la coutume, que de solliciter ses juges. Quand on se prévaut de l’accès que donne auprès d’eux le crédit que l’on a, le nom que l’on porte, le rang qu’on occupe dans le monde, on tend des pièges à leur innocence. Un client ne doit aborder ses juges qu’en la personne de celui qu’il a muni de ses raisons, et qui est commis pour les faire valoir. Avoir égard à ses sollicitations au lieu de les réfréner ; se laisser entraîner par le torrent des discours d’un homme auquel l’avidité de remporter la victoire prête du feu, inspire des pensées, dicte des paroles énergiques, c’est encore vendre la vérité.

d) Un juge vend la vérité lorsqu’il reçoit des présents. Vous ne prendrez point de présents, car le présent aveugle les jeux des sages, et il corrompt les paroles des justes Deutéronome 16.19. C’est un précepte que Dieu donnait à l’ancien peuple.

e) Un juge vend la vérité lorsqu’il se laisse épouvanter par la puissance de l’oppresseur. On a vu plus d’une fois, dans les corps les plus augustes, les suffrages contraints par la tyrannie des uns, et vendus par la lâcheté des autres. On a vu des tyrans assister, ou en personne, ou par leurs émissaires, dans ces assemblées, qui n’étaient formées que pour maintenir le droit des peuples, et pour mettre un frein à la tyrannie. On a vu ces tyrans vouloir régler les opinions par les signes de leurs mains, et par le mouvement de leurs yeux ; on les a vus intimider les juges par des menaces, les corrompre par des promesses, et l’on a vu des juges prosterner leur imagination devant ces tyrans, avoir pour les maximes de la tyrannie ce dévouement et cette déférence, qui n’étaient dus qu’à l’autorité tempérée par la justice. Un juge sur son tribunal ne doit craindre que celui qui lui a commis le glaive. Il ne doit pas seulement être le défenseur de la vérité, il en doit être le martyr, et la cimenter de son sang, si son sang est nécessaire pour la cimenter.

Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende Matthieu 11.15. Il y a une justice primitive, essentielle dans les êtres moraux, une justice même indépendante des volontés d’aucun être supérieur, parce qu’entre les êtres moraux il y a certaines relations primitives et essentielles qui découlent de leur nature. De la même manière, que dès que vous supposez un carré, vous supposez un être qui a quatre cotés ; que dès que vous supposez un corps, vous supposez un être dont l’étendue est inséparable, et cela indépendamment d’aucune volonté positive d’un être supérieur : de même, dès que vous supposez un bienfait, il y a de la justice dans la reconnaissance, parce qu’il y a une relation essentielle entre la reconnaissance et le bienfait, et ainsi du reste.

Plus une intelligence a de perfection, plus une intelligence est dégagée de préjugés ; plus une intelligence a des idées claires, et plus elle voit cette opposition, et cette relation, cette justice et cette injustice qui découlent essentiellement de la nature des êtres moraux. De même, plus une intelligence a de perfection, plus une intelligence est au-dessus des mouvements déréglés des passions ; et plus elle approuve cette justice, plus elle désapprouve cette injustice ; plus elle est portée à favoriser ce qui est juste, plus elle est portée à détruire ce qui est injuste.

Dieu est une intelligence qui possède toutes les perfections ; ses idées sont les images parfaites des objets, et c’est sur le modèle de ces idées que tous les objets ont été formés. Il voit avec une exactitude parfaite cette relation essentielle de justice et d’injustice. Il est porté nécessairement, quoique sans contrainte et par la nature de ses perfections, à approuver la justice, à désapprouver l’injustice, à déployer ses attributs pour le bonheur des gens de bien et pour le malheur des méchants.

Par une économie, dont nous entrevoyons en partie les raisons, mais dont les raisons sont en partie encore couvertes de ténèbres, Dieu ne décide pas immédiatement qui est celui dont la cause est fondée sur la justice, qui est celui dont la cause est injuste. Il a déposé cet office entre les mains des juges ; il leur a remis son pouvoir ; il leur a confié son glaive ; il les a placés sur son tribunal, et il leur a dit, Vous êtes dieux Psaumes 82.6. Mais plus ce tribunal est auguste, mais plus ce pouvoir est inviolable, mais plus ce glaive est redoutable, mais plus cet office est sacré, et plus seront rigoureux les jugements, qui fondront sur ceux qui, par quelqu’une des causes que nous avons marquées, trahiront les intérêts de cette vérité et de cette justice qui leur étaient confiés. Ils ont souillé le tribunal du juge de toute la terre Genèse 18.25, sur lequel ils avaient été élevés. Ils ont tourné contre les entrailles de l’innocent ce glaive, qui leur était donné pour maintenir l’ordre et pour transpercer ceux qui le renversent. Ce pouvoir suprême dont Dieu les avait munis, ils l’ont employé à faire la guerre à ce Dieu même qui les en avait revêtus, et pour le braver avec insolence et avec fierté. J’ai vu que dans le lieu établi pour juger il y a de la méchanceté, et qu’il y a de l’impiété dans le lieu établi pour faire justice, et j’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et l’injuste. Si tu vois que dans la province on fasse tort au pauvre, et que le droit et la justice y soient violés, ne t’en étonne pas, car il y en a un qui est élevé par-dessus celui qui est élevé, et qui y prend garde Ecclésiaste 3.16, 8. O rois, ayez de l’intelligence. Juges de la terre, recevez instruction Psaumes 2.10. Achetez la vérité et ne la vendez point.

5. Ce précepte de Salomon, ne vendez par la vérité, regarde le politique, qui par une timide circonspection use de réticence, lorsqu’il faudrait porter la sonde jusque dans le fond des plaies d’un État, et découvrir quels sont les vrais auteurs de ses misères, et les véritables causes de sa décadence. Ce n’est pas assez dans ces circonstances de gémir en secret sur les malheurs publics, il faut en parler avec fermeté et avec courage ; il faut servir de bouche et de voix à tant de malheureux, qui n’ont d’autre ressource que leurs gémissements et que leurs larmes ; il faut découvrir ces trames funestes que l’on ourdit sourdement contre la patrie ; dévoiler les mystérieux ressorts qui font agir celui qui, sous prétexte de l’avantage de tous, ne cherche que son bonheur propre ; il faut produire la honte de celui qui n’est animé d’autre désir que de fonder sa maison, fût-ce sur les ruines de l’État et de l’Église ; il faut réveiller de son indolence celui qui délibère auprès de son foyer, lorsque des périls éminents demandent qu’on prenne des mesures promptes, vives, efficaces ; il faut immoler sans scrupule celui qui immole lui-même à son avidité ou à son ambition des sociétés entières ; il faut faire en sorte par ses discours, que si les malheurs des temps demandent que quelqu’un périsse, ce soient ceux qui ont allumé le feu, et non ceux qui sont prêts à répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour l’éteindre. Se ménager dans ces occasions, et par un silence timide faire en sorte de n’encourir ni la disgrâce de ceux qui troublent l’État, ni la disgrâce de ceux qui crient vengeance contre eux, c’est une conduite non seulement indigne d’un chrétien, mais indigne d’un bon compatriote. Se taire alors, c’est un crime atroce, et supprimer la vérité, c’est la vendre, c’est la trahir.

Qu’un orateur est digne d’applaudissement, mes frères, lorsqu’appelé à donner son suffrage sur les besoins publics, il parle avec ce feu qu’allume l’amour de la patrie, et ne connaît point d’autre loi que la justice et le salut du peuple ! C’est par cette généreuse liberté qu’on a vu des païens tenir des discours dont la fermeté n’étonne que ceux qui manquent de courage pour les imiter. Représentez-vous Démosthène parlant à ses maîtres, à ses juges, voulant les sauver malgré eux et malgré les peines qu’ils infligeaient quelquefois à ceux qui ne demandaient qu’à les retirer de l’abîme où ils s’étaient eux-mêmes plongés ; représentez-vous cet orateur faisant des instances qui passeraient aujourd’hui pour des flambeaux de sédition, et leur disant : Serez-vous donc éternellement à vous promener dans vos places publiques, à vous demander : Qu’y a-t-il de nouveau ? Philippe est mort, dit l’un. Non, répond l’autre, il n’est que malade. Eh ! que vous importe, messieurs ? Le ciel ne vous en aurait pas plutôt délivrés que vous feriez vous-mêmes bientôt un autre Philippej. Représentez-vous cet orateur, rapportant aux fautes des Athéniens la grandeur de leur ennemi : moi, messieurs, je vous l’avoue, je redouterais Philippe, et je ne pourrais me défendre de l’admirer, s’il ne triomphait que par les efforts de sa valeur et par la justice de ses armes : mais quiconque voudra bien chercher la cause du merveilleux répandu dans ses actions, la trouvera dans nos fautes, et ne pourra détacher sa gloire d’avec notre hontek. Représentez-vous cet orateur portant le poignard jusques dans le sein des perfides Athéniens, de ceux même qui le favorisaient de leur attention et de leurs applaudissements. Guerre, guerre immortelle à quiconque ose parler ici pour Philippe : car il faut absolument désespérer de vaincre les ennemis que vous avez au dehors, tant que vous leur laisserez d’aussi bons seconds que vos ennemis domestiques. Cependant vous êtes arrivés à ce point, ou d’imprudence, ou de folie, je ne sais quel nom lui donner. Souvent même je suis prêt à croire qu’un mauvais génie vous pousse. Vous en êtes venus jusqu’à écouter ces misérables et ces perfides, dont quelques-uns n’oseraient disconvenir qu’ils ne le soient : ce n’est point assez de les écouter, soit envie ou malignité, soit penchant pour la satire, ou quelque autre motif que ce soit, vous leur commandez de monter dans la tribune, et vous goûtez un doux plaisir autant de fois que leurs sanglantes railleries et leurs calomnies atroces déchirent la réputation la plus entière, et attaquent la vertu la plus respectablel. Un tel orateur, mes frères, est digne des plus grands éloges. De quelque coup que Dieu frappe des peuples, il n’a pas résolu leur perte, tant qu’il leur conserve des hommes qui savent leur montrer de cette manière les moyens de la prévenir.

j – Première philip., pag. 6. de M. Toureil., édit. d’Anvers.

k – Pr. Olynth., pag. 26. 27.

l – Trois. philipp., pag. 148, 149.

6. Enfin le dernier ordre de personnes qu’intéressent les paroles de notre texte, ce sont les pasteurs de l’Église. Et qui est-ce pourrait être plus étroitement engagé à ne pas vendre la vérité, que les ministres du Dieu de la vérité ? Un pasteur doit avoir ce précepte présent à l’esprit, dans nos assemblées publiques, dans ses entretiens particuliers, enfin lorsqu’il est appelé chez un mourant.

a) Dans nos assemblées publiques : tout y est consacré à la vérité. Nos temples sont les maisons du Dieu vivant et vrai. Ces colonnes sont les colonnes de la vérité 1 Timothée 3.15. Cette parole, que nous devons vous annoncer, c’est la vérité Jean 17.17. Malheur à nous si quelque considération humaine était capable de nous faire déguiser cette vérité, dont nous devons être les hérauts ; et si la crainte de vous montrer un flambeau odieux, nous portait jamais à la mettre sous le boisseau ! Il y a des vérités mortifiantes, il est vrai ; mais un scandale public doit être repris publiquement, quelque honte qui en rejaillisse sur ceux qui en sont coupables, quelque éminent que soit le poste auquel ils sont élevés. Nous ne connaissons point de tête sacrée, lorsque nous y voyons écrit un nom de blasphème Apocalypse 13.1. Mais l’ignominie d’une telle répréhension, direz-vous, avilira aux yeux du peuple un homme que le peuple doit respecter, et troublera le repos de la société. Mais est-ce celui qui prêche contre le crime, ou celui qui le commet, qui est responsable de ce trouble ? Et n’est-ce pas plutôt à celui qui s’abandonne au vice de cesser de s’y abandonner, qu’à celui qui le censure de cesser de le censurer ? Que si quelqu’un croit être muni du pouvoir de nous imposer silence sur cet article, qu’il produise ses droits ; qu’il déclare ses prétentions : qu’il distribue parmi ceux qui sont appelés à monter dans cette chaire des listes des vices, contre lesquels la censure est interdite ; qu’il notifie par quelle loi on reprendra les scandales dans la personne d’un pauvre, et non dans celle d’un riche ; dans celle d’un homme sans crédit, et non dans celle d’une personne accréditée.

b) Un pasteur doit avoir ce précepte présent à l’esprit dans ses entretiens particuliers. Qu’ils ne produise pas aux yeux de toute une assemblée un péché couvert du voile du silence, mais qu’il en montre l’horreur dans le silence, où il a été commis. C’est principalement la destination de ces visites pastorales, qui se font dans cette église pour vous inviter au sacrement de l’eucharistie. C’est là qu’un ministre de la vérité doit troubler cette fausse paix, que l’impunité nourrit dans l’âme du coupable. C’est là qu’il doit lui faire sentir que s’il cache son crime à la vue des hommes, il n’a pu en dérober la connaissance à celle de Dieu. C’est là qu’il doit le faire trembler à l’idée de ces yeux, auxquels ni les ténèbres de la nuit, ni les profondeurs les plus impénétrables du cœur ne sauraient rien faire échapper Psaumes 139.11.

Ce n’est pas sur nos propres idées, mes frères, que nous formons celles d’un ministre de Jésus-Christ, c’est sur celles mêmes que Dieu nous a données dans ses oracles ; c’est sur les exemples de ces hommes sacrés, qui-nous ont précédés dans l’église, et dont nous voudrions, hélas ! quoique si éloignés de ces grands modèles, suivre les glorieuses traces. Voyez comme ces saints hommes ont annoncé la vérité. Voyez Samuel devant Saül : Pourquoi n’as-tu pas obéi à la voix de l’Éternel ? Pourquoi t’es-tu jeté sur le butin ? L’Éternel prend-il plaisir aux holocaustes et aux sacrifices, comme à ce qu’on obéisse à sa voix ? Voici, l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, et se rendre attentif vaut mieux que la graisse des moutons. Car la rébellion est autant que le péché de deviner, et la résistance lui déplaît autant que les idoles et les marmousets 1 Samuel 15.19, 23. Voyez Nathan devant David : C’est toi qui es cet homme-là 2 Samuel 12.7, 9, 11. Pourquoi donc as-tu méprisé la parole de l’Éternel ? Tu as fait périr avec l’épée Urie le héthien et tu as enlevé sa femme. C’est pourquoi maintenant l’épée ne partira jamais de ta maison. Ainsi a dit l’Éternel, voici, je vais faire sortir contre toi un mal de ta propre maison, et j’enlèverai tes femmes devant tes yeux, et je les donnerai à un de tes proches : car tu l’as fait en secret, mais pour moi je le ferai en présence de tout Israël, et en la présence du soleil 1 Rois 18.17-18. Voyez Elie devant Achab, qui lui dit : N’es-tu pas celui qui trouble Israël ? Non, je n’ai point troublé Israël ; mais c’est toi et la maison de ton père, en ce que vous avez abandonné les commandements de l’Éternel, et que vous avez marché après les Bahalims. Et pour ne pas grossir cette liste en allant de l’ancienne économie à la nouvelle, voyez Jérémie. Jamais ministre plus doux, jamais cœur plus navré de douleur à la seule idée des malheurs de Jérusalem ; cependant y eut-il jamais des peintures plus effrayantes des jugements de Dieu, que celles qui furent tracées par ce prophète ? Quand nous avons besoin de quelques traits de feu, pour décocher contre certains pécheurs, c’est lui qui nous les fournit. Il ne parle souvent que de sac, que de cendre, que de hurlement, que de lamentation. Il n’annonce que mortalité, que famine, qu’esclavage. Il représente la terre sans forme, vide, comme retournée dans son premier chaos, les cieux destitués de leur lumière, les montagnes ébranlées, les collines prêtes à se renverser. Il ne trouve pas un seul homme : Carmel lui paraît un désert Jérémie 4.23-24, le monde universel une désolation. Tous les habitants de Jérusalem s’offrent à son esprit montés sur des rochers, ou s’enfuyant dans des forêts pour se dérober aux gens de cheval, et aux flèches de ceux qui tirent de l’arc. Quand il veut tenir bon contre la douleur, son cœur est languissant au-dedans de lui. Toute son imagination est remplie de sanguinaires images : il est rongé, si j’ose ainsi dire, du poison que contient cette coupe de vengeance, qu’il va présenter à toute la terre. Un ministère tout tissu de malédictions paraît un attentat contre le royaume ; on accuse Jérémie d’être d’intelligence avec le roi de Babylone ; on prétend que c’est la haine, qu’il a pour sa patrie, ou d’une humeur atrabilaire, que partent de si sinistres augures ; on ne parle que de machiner contre lui, et on le jette dans une fosse Jérémie 38.6. L’amour de la vérité le soutient dans cette fosse.

Mais c’est particulièrement lorsqu’un pasteur est appelé auprès d’un mourant, c’est alors qu’il doit rappeler ce précepte de Salomon : Achète la vérité, et ne la vends point. Et c’est sur cet article, mes frères, que je voudrais pouvoir connaître quels sont les endroits les plus accessibles de votre cœur, ou plutôt c’est sur cet article que je voudrais trouver l’art inouï de réunir tous les goûts, afin qu’il n’y eût aucuns de ceux qui nous écoutent, sur lesquels du moins ces dernières périodes de notre discours ne laissassent quelque impression. Il s’agit quelquefois d’achever, en la personne des mourants, cet ouvrage qui est si peu avancé à l’égard d’un si grand nombre. Il s’agit d’en fortifier quelques-uns contre les dernières et les plus dangereuses attaques, que leur livre l’ennemi de leur salut, celles qui partent des terreurs de la mort. Il s’agit à l’égard de plusieurs, d’essayer si ces derniers ressorts, qu’on remue pour les ramener à Dieu, auront plus de succès que tous ceux qu’on a fait mouvoir jusqu’à ce dernier période. Quelle raison pourra contrebalancer les motifs qui nous pressent de parler avec sincérité dans ces circonstances ? Une âme est prête à périr ; la sentence se dresse : la voix irrévocable, Allez, maudit, au feu éternel Matthieu 25.41, est prête à se faire entendre. Les gouffres de l’enfer sont déjà ouverts, et déjà les démons attendent leur proie. Il reste encore une seule ressource : ce sont les dernières exhortations, ce sont les derniers efforts d’un pasteur. Pour pouvoir se promettre du succès avec quelque ombre d’espérance, il faut dévoiler des mystères d’iniquité, il faut annoncer des vérités odieuses, il faut attaquer des préjugés qu’on a la fureur de chérir encore, dans les temps même qu’ils traînent des tourments Éternels après eux. Malheur à nous, si quelque considération humaine nous arrête dans ces présentes occasions, et si nous ne ménageons précieusement cette dernière ressource !

C’est à vous, mes frères, à rendre praticable ce dernier ministère : c’est à vous à courir à vos pasteurs pour écarter la foule, afin qu’ils puissent vous ouvrir leur cœur, et que vous puissiez leur ouvrir le vôtre : ces assistants, qui sous prétexte de recueillir les paroles d’un homme expirant, gênent celui qui le prépare à bien mourir, doivent réprimer un zèle hors de saison. Si, lorsque nous vous demandons de vous parler sans témoins dans votre lit de mort, nous sommes animés de quelque motif humain, si nous voulons pénétrer dans les secrets de vos familles, si nous voulons avoir part à votre succession, qu’on fasse grâce aux traîtres, aux assassins, aux empoisonneurs, et que la justice humaine réunisse toute sa rigueur contre les hommes qui abusent de la faiblesse d’un mourant, et dans des fonctions si saintes, sont animés par des motifs si profanes. Nous vous demandons votre support sur tout, excepté sur cet article seul. Un ministre non seulement ne doit pas tomber, il ne doit pas même chanceler dans cette occasion. Mais comment voulez-vous qu’en la présence d’un grand nombre de témoins nous retracions aux yeux d’un pécheur des vérités d’un certain genre ? Comment voulez-vous qu’en présence d’un époux facile et incrédule, nous parlions à une femme impudique des excès auxquels elle s’est abandonnée ? Comment voulez-vous qu’en présence d’une famille nous découvrions la honte de son chef ?

Je mets ici des bornes à cette méditation. J’aime à finir tous mes discours par les idées de la mort. Rien n’est plus propre à soutenir ceux qui essuient les travaux, dont la carrière de la vertu est parsemée, que la pensée de ce période, qui va bientôt les terminer et les couronner. Rien n’est plus propre à toucher les autres, que la pensée de ce même période, qui va bientôt empoisonner leurs malheureuses délices.

Que chaque ordre de personnes, à qui s’adresse la voix de notre texte, prenne soin de se l’appliquer. Que les bassesses de l’adulateur, que les fraudes pieuses du délateur indiscret, que la crainte des tourments et l’amour du siècle présent, qui ont tant de poids sur l’âme des apostats et des nicodémites, que la partialité du juge, que la circonspection du politique, que tous ces vices soient bannis du milieu de nous. Surtout, ministres de la vérité, ne déguisons jamais la vérité, aimons la vérité, annonçons la vérité ; annonçons-la dans cette chaire ; annonçons-la dans nos entretiens particuliers, annonçons-la au lit des mourants. C’est dans l’exécution de ces ordres, que nous pourrons à juste titre nous appliquer, dans nos lits de mort, les paroles de ces prophètes et de ces apôtres avec lesquels nous devons concourir pour l’assemblage des saints, et pour l’œuvre du ministère : Je n’ai désiré ni l’argent, ni l’or, ni le vêtement de personne. Je ne vous ai rien caché des choses qui vous étaient utiles ; je n’ai pas manqué de vous les annoncer et de vous en instruire, et en public, et de maison en maison. Je proteste aujourd’hui devant vous, que je suis innocent du sang de vous tous : car je n’ai point évité de vous annoncer tout le dessein de Dieu. Mon Dieu, j’ai prêché ta justice dans la grande assemblée : voilà, je n’ai point formé mes lèvres : tu le sais, Éternel. Je n’ai point renfermé ta justice au-dedans de mon cœur : j’ai déclaré ta fidélité et ta délivrance. Je n’ai point caché ta bonté ni ta vérité. Toi Éternel, ne m’épargne point tes compassions : que ta vérité et ta bonté me gardent continuellementm. Amen.

mÉphésiens 4.12 ; Actes 20.26 ; Psaumes 40.9-10.

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