Divers tableaux dans lesquels on la peut considérer.
Jusqu’ici nous nous sommes attachés comme à l’écorce de la religion ; nous avons examiné les preuves de fait, qui sont les premières qui se présentent à l’esprit. Il semble que nous devrions maintenant découvrir la moelle du christianisme, et venir aux preuves tirées de sa nature, en faisant connaître sa vérité par son excellence ; mais, comme ce champ est vaste, et que nous recherchons la brièveté, il faut tâcher de réduire les choses que nous avons à dire sur ce sujet ; et, ne pouvant donner une juste étendue à nos réflexions, marquer du moins un plan qui supplée à ce défaut.
Encore que la religion chrétienne puisse être considérée sous une infinité de faces différentes, parce qu’elle tient de son objet, qui est sans bornes, il me semble que nous en donnerons une idée assez juste et assez proportionnée à notre dessein, si nous la considérons dans onze tableaux différents : savoir, 1. dans les témoignages qui lui sont rendus, et que nous retoucherons en passant, encore que nous les ayons examinés en partie ; 2. dans l’opposition essentielle qu’elle a avec toutes les fausses religions qui furent jamais ; 3. dans ses effets, dignes d’être rapportés à une cause surnaturelle et divine ; 4. dans la pureté et le désintéressement de sa fin ; 5. dans la convenance avec le cœur de homme, qu’elle entreprend de guérir ; 6. dans ses rapports avec la gloire de Dieu, qu’elle doit avancer ; 7. dans sa morale ; 8. dans ses mystères ; 9. dans la convenance de ses mystères avec les lumières de la raison ; 10. dans sa proportion avec la religion judaïque ; 11. dans la convenance avec la religion naturelle.
J’espère que ce seront là autant de sources de lumière qui éclaireront les incrédules, et qui leur feront voir la vérité et la certitude de la religion chrétienne par sa sublimité et par ses beautés.
Encore que les témoignages étant quelque chose d’extérieur et d’étranger à la religion chrétienne, paraissent moins propres à faire connaître sa perfection, néanmoins on trouvera qu’ils produisent aussi ce dernier effet, si l’on prend le soin de les joindre, et d’en bien considérer l’union et l’accord.
Car l’on ne pourra concevoir qu’une très grande idée d’une religion que la sagesse de Dieu a voulu qui nous fût confirmée par neuf témoignages, dont un seul suffirait pour nous en faire connaître la vérité.
Le premier est celui des prophètes qui rendent témoignage à Jésus-Christ en foule, par une longue et perpétuelle succession d’oracles plus clairs les uns que les autres, et qui voient presque aussi clair dans la nuit des ombres et des figures, que nous voyons dans le jour de l’accomplissement, comme cela a été déjà prouvé.
Le deuxième est celui de Jean-Baptiste, d’autant plus certain qu’il avait été prédit dans l’Ancien Testament, et que Jésus-Christ et ses disciples ne cessent de ramener les Juifs à ce témoignage, d’autant plus considérable que Jean-Baptiste ne peut être soupçonné de complaisance ni d’intérêt ; la sagesse de Dieu ayant voulu qu’il fût au-dessus de tous ces soupçons par l’austérité de ses mœurs, et le genre de sa vie, marqué d’un caractère si singulier et si surprenant.
Le troisième est celui des apôtres, qui sont des témoins éprouvés par la rigueur des tourments, et qui résistent à la force de tant de supplices capables d’arracher l’aveu des plus grands crimes, avec cette différence qui est entre eux et les prévenus ordinaires ; c’est que ceux-ci sont mis à la question malgré eux, et les disciples du Seigneur volontairement. Les criminels savent qu’on les fera mourir, s’ils avouent la vérité ; et les disciples de Jésus doivent craindre la mort, s’ils la déguisent par une imposture.
Le quatrième témoignage est celui des trois qui ont témoigné du ciel ; le Père déclarant au Jourdain que Jésus-Christ était son Fils bien-aimé en qui il avait pris son bon plaisir, et faisant entendre cette voix en une autre rencontre : Je l’ai glorifié, et derechef je le glorifierai ; le Fils se rendant témoignage par ses miracles, et le Saint-Esprit lui en rendant par ses dons extraordinaires et miraculeux.
Le cinquième est celui de la conscience des hommes, qui reconnaît que la religion chrétienne à de quoi nous rassurer dans nos craintes, nous consoler dans nos afflictions, nous humilier dans l’abondance, nous soutenir dans la pauvreté, et nous sanctifier en nous délivrant de nos péchés ; et qu’ainsi elle répond à nos véritables besoins.
Le sixième est celui des ennemis mêmes de notre religion, qui n’ont pu s’empêcher de faire des aveux favorables à notre cause. Les Juifs et les gentils ont témoigné pour nous. La conduite de la Providence et la force de la vérité leur ont fait reconnaître tacitement la vérité dont ils se sont montrés les ennemis implacables. Les anciens Juifsa ont cru qu’il s’agissait du Messie dans ce fameux oracle de Jacob mourant : Le sceptre, etc. Leurs propres livres en font foi. Leur Talmudb reconnaît que cet homme de douleur, et qui sait ce que c’est que la langueur, qui doit être navré pour nos péchés, et duquel on se cache comme d’un lépreux, est le Messie : ils sont contraints d’avoir recours à la fiction d’un double Messie ; et par là ils font une espèce d’hommage à la vérité. Les Samaritains étaient dans cette opinion, que le Messie devait bientôt paraître, comme cela paraît par le dialogue de Jésus-Christ et de la Samaritaine : les Juifs en étaient si persuadés, que quelques-uns aimèrent mieux reconnaître Hérode le Grand pour le Messie, tout Iduméen et tout méchant qu’il était, que renoncer à un préjugé qui était si profondément enraciné dans leur esprit. Les autres jettent les yeux sur un Agrippa, descendu d’Hérode, et engagé dans le parti des Romains, ayant été séduits par la même opinion. Les autres suivent un brigand au désert, poussés par cette espérance. Les Juifs voient leur ville prête à être réduite en cendre, et ils croient que leur Messie est prêt à se manifester. Les chefs de ces impitoyables factieux, qui se déchirent pendant la désolation de la Judée, ne sont si obstinés à se perdre, que parce qu’ils espèrent d’être les vainqueurs des Romains, et les maîtres du monde, accomplissant les oracles ; ils se tournent quelques siècles après vers Barkokebas, qui n’est qu’un scélérat et un brigand ; sans autre raison que celle qu’ils croient trouver dans la supputation des temps du Messie. Josèphe, très habile et très versé dans les Écritures, croyait aussi bien que les autres que ce terme était accompli ; ou, s’il ne le croit pas lui-même, il prend occasion de cette opinion reçue dans tout l’Orient, de faire sa cour à Vespasien. Hérode le Grand, frappé de ces bruits, avait signalé sa crainte par un déluge de sang. Les Juifs reconnaissaient alors qu’il n’y aurait ni gouvernement, nic magistrats, ni république en Israël du temps du Messie. Mais ensuite la nécessité de se défendre contre nous leur fait avoir recours à diverses défaites. Quelques siècles après la venue de Jésus-Christ, voyant que leur Messie ne paraissait point, ils commencèrent à dire, les uns, qu’il était caché ; les autres, qu’il était venu en la personne d’Ezéchias ; les autres, que sa venue était différée à cause des péchés du peuple ; et l’on en vint à ce point d’impiété, que de prononcer malédiction contre tous ceux qui supputeraient les temps du Messie. Et qui ne voit que par leur aveu et par leurs défaites, ils rendent témoignage, contre leur intention, à la foi des chrétiens ?
a – Gen. Trait. Sanhed., cap. 11.
b – Ibid., cap. 12.
c – Gen. Trait. Sanhed., cap. 11.
Pour les païens, outre le témoignage authentique que Pline le Jeune rendit à l’innocence des chrétiens ; outre celui que Tibère rendait à Jésus-Christd, voulant le faire recevoir au nombre des dieux, surpris par les merveilles qu’il en avait apprises, on sait que de grands empereurs n’ont pu cacher les sentiments favorables qu’ils avaient pour la religion chrétienne ; que les uns faisaient écrire sur les édifices publics des maximes de l’Évangile ; que les autres voulaient consacrer des temples à l’usage des chrétiens, et que les autres faisaient profession d’admirer la morale de Jésus-Christ.
d – Tertul., Apolog. 5. Voyez Discours sur l’histoire universelle de Bossuet.
Et que dirons-nous de ce que les Juifs et les gentils, ne pouvant nier les miracles de Jésus-Christ, sont contraints de les rapporter, les uns à une vertu magique, les autres à je ne sais quelle prononciation mystérieuse du nom de Jéhova ? C’est une chose admirable qu’il n’y ait pas jusqu’aux ennemis de notre religion qui ne témoignent pour elle sans s’en apercevoir !
Le septième témoignage est celui des événements, que la sagesse divine a tellement disposés, qu’ils rendent la vérité du christianisme inébranlable. On en peut mettre plusieurs en ce nombre ; mais il suffit d’en marquer trois dignes de considération entre tous les autres, qui sont la ruine des quatre monarchies qui avaient affligé le peuple de Dieu, à la fin desquels précisément le royaume des cieux devait être établi ; la ruine entière de la république judaïque, et la désolation de la Terre-Sainte, marquée de tous les caractères de la colère céleste ; et enfin, rétablissement de l’Église chrétienne, ou la vocation des païens accompagnée de tant de circonstances qui témoignent que c’est là l’ouvrage de Dieu.
Le huitième est celui que rend à Jésus-Christ la révélation de Moïse ; et le neuvième, celui que lui rend la religion naturelle : deux témoignages dont nous ne parlons pas maintenant, parce que nous prétendons finir par là cet ouvrage.
Il faut bien que la religion chrétienne soit véritable, puisqu’elle est confirmée par tant de témoins non suspects, et l’on ne peut s’imaginer, sans extravagance, que les prophètes n’aient vu clair dans l’avenir que pour autoriser une fiction ; que Jean-Baptiste ayant été d’abord regardé des Juifs comme le Messie, ait renoncé à la gloire de ce titre par complaisance pour un séducteur ; que les apôtres et les autres disciples aient voulu sacrifier leurs biens, leur honneur, leur repos et leur vie à celui qu’ils savaient être un faux Christ ; que le ciel ait approuvé le mensonge par des miracles sensibles ; que le cœur de l’homme trouve tout ce qui répond à ses besoins dans une imposture ; que les ennemis de notre religion aient voulu s’accommoder à nos faux préjugés ; que les événements se soient proportionnés à une erreur, et que la révélation de Moïse et la religion naturelle aient rendu témoignage de concert à une fable.
Mais j’ajouterai qu’il faut bien que la religion chrétienne soit nécessaire et importante, puisque la sagesse de Dieu nous conduit à elle par tant de chemins, et qu’elle doit être bien admirable et bien magnifique, puisque en quelque sorte le ciel et la terre, le passé et le présent, les événements qui suivent le cours ordinaire de la nature, et ceux qui sont surnaturels et miraculeux, des prophètes enfin et des apôtres, qui ne se connaissent point les uns et les autres, s’accordent à nous la faire connaître et à nous la faire admirer.