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Bible de Jérusalem

Daniel 2

Le songe de Nabuchodonosor : la statue composite

Le roi interroge ses devins.

2 En l’an II du règne de Nabuchodonosor, Nabuchodonosor eut des songes,e son esprit en fut troublé, le sommeil le quitta.

e Les songes surnaturels servent aux communications de Dieu à l’homme, cf. les chap. 4 et 7. Comparer les songes d’Abraham, Gn 15.12, Abimélek, Gn 20.3, Jacob, Gn 28.10-22 etc. Mais cf. Gn 37.5 ; Mt 1.20.

2 Le roi ordonna d’appeler magiciens et devins, enchanteurs et chaldéensf pour dire au roi quels avaient été ses songes. Ils vinrent donc et se tinrent devant le roi.

f Le terme « chaldéen » désigne ici tout devin qui pratique l’art que l’on croit originaire de Chaldée. Les divers termes employés dans les énumérations de 1.20 ; 2.2, 10, 27, 4.4 ; 5.7, 11, 15, n’ont d’ailleurs pas de sens technique précis.

3 Le roi leur dit : « J’ai fait un songe et mon esprit s’est troublé du désir de comprendre ce rêve. » 4 Les chaldéens répondirent au roi : (Araméen)
« Ô roi, vis à jamais !g Raconte le songe à tes serviteurs et nous t’en découvrirons l’interprétation. »

g Formule de salutation fréquente dans les textes accadiens et qu’on retrouve à la cour de Perse jusqu’à l’époque islamique.

5 Le roi répondit et dit aux chaldéens : « Que mon propos vous soit connu : si vous ne me faites pas connaître le songe et son interprétation, on vous mettra en pièces et vos maisons seront changées en bourbier.

6 Mais si vous me découvrez mon songe et son interprétation, vous recevrez de moi présents et cadeaux et grands honneurs. Ainsi donc découvrez-moi mon songe et son interprétation. » 7 Ils reprirent : « Que le roi dise le songe à ses serviteurs et nous lui en découvrirons l’interprétation. » 8 Mais le roi répondit : « Je vois bien que vous voulez gagner du temps, sachant que mon propos est proclamé. 9 Si vous ne me faites pas connaître mon songe, une même sentence vous sera appliquée ; vous vous êtes entendus pour forger des discours mensongers et pervers devant moi pendant que le temps passe. Aussi, rapportez-moi mon songe et je saurai que vous pouvez m’en découvrir le sens. »

10 Les chaldéens répondirent au roi : « Il n’est personne sur terre pour découvrir la chose du roi. Et aussi bien, il n’est roi, gouverneur ou chef pour poser pareille question à magicien, devin ou chaldéen.

11 La question que pose le roi est difficile et nul ne peut la découvrir devant le roi, sinon les dieux dont la demeure n’est point parmi les êtres de chair. » 12 Alors le roi s’emporta furieusement et ordonna de faire périr tous les sages de Babylone. 13 Quand le décret de tuer les sages fut promulgué, on chercha Daniel et ses compagnons pour les tuer.

Intervention de Daniel.

14 Mais Daniel s’adressa en paroles prudentes et avisées à Aryok, chef des bourreaux du roi, en route pour tuer les sages de Babylone. 15 Il dit à Aryok, officier du roi : « Pourquoi le roi a-t-il rendu si pressant décret ? » Aryok raconta la chose à Daniel, 16 et Daniel s’en alla demander au roi de lui accorder un délai pour lui permettre de découvrir au roi son interprétation. 17 Daniel rentra dans sa maison et fit part de la chose à Ananias, Misaël et Azarias, ses compagnons, 18 les engageant à implorer la miséricorde du Dieu du Cielh au sujet de ce mystère,i pour qu’il soit épargné à Daniel et à ses compagnons de périr avec les autres sages de Babylone.

h Expression qui désigne généralement le Dieu des Juifs dans la bouche ou à l’adresse d’un non-Juif. Cf. 2.37, 44 ; Jdt 5.8 ; Esd 5.11 ; 6.9, 10, etc. ; Ne 1.4 ; 2.4, 20 ; Tb 7.12 ; de même les expressions « Seigneur du Ciel », 5.23 ; Tb 7.11 ; « le Roi du Ciel », 4.34 ; « le Grand Dieu », 2.45 ; Esd 5.8.

i Raz : ce mot d’origine perse, propre à dans la Bible, se retrouve dans les textes de Qumrân : il désigne avant tout le « secret », mais semble amorcer déjà le sens si riche du grec mysterion dans saint Paul, cf. Rm 16.25.

19 Alors le mystère fut révélé à Daniel dans une vision nocturne. Et Daniel fit bénédictionj au Dieu du Ciel.

j La « bénédiction » juive se compose d’une invocation à Dieu ou à son Nom, suivie d’une commémoration de ses bienfaits ; dans la liturgie, on termine en répétant l’eulogie où l’on inclut, sous forme abrégée, la mention du bienfait particulier.

20 Daniel prit la parole et dit :

« Que soit le Nom de Dieu
béni de siècle en siècle,
car à lui la sagesse et la force.
21 C’est lui qui fait alterner périodes et temps,
qui fait tomber les rois, qui établit les rois,
qui donne aux sages la sagesse
et la science à ceux qui savent discerner.
22 Lui qui révèle profondeurs et secrets,
connaît ce qui est dans les ténèbres,
et la lumière réside auprès de lui.k

k L’AT parle de Dieu entouré de lumière, Ex 24.17 ; Ez 1.27 ; Ha 3.4, et lui-même lumière, Isa 60.19-20 ; Sg 7.26, comme le fera encore, le NT. Cf. par exemple 1 Jn 1.5-7 ; 1 Tm 6.16 ; Jc 1.17, cf. Jn 8.12. D’anciens commentateurs juifs invoquent ce verset pour établir qu’un des noms du Messie est « Lumière ».

23 À toi, Dieu de mes pères, je rends grâces et je te loue
de m’avoir accordé sagesse et force :
voici que tu m’as fait connaître ce que nous t’avons demandé ;
les choses du roi, tu nous les as fait connaître. »

24 Daniel s’en fut donc chez Aryok que le roi avait chargé de faire périr les sages de Babylone. Il entra et lui dit : « Ne fais pas périr les sages de Babylone. Fais-moi pénétrer devant le roi et je révélerai au roi l’interprétation. » 25 Aryok s’empressa de faire paraître Daniel devant le roi et lui dit : « J’ai trouvé parmi les gens de la déportation de Juda un homme qui fera connaître au roi son interprétation. » 26 Le roi dit à Daniel (surnommé Baltassar) : « Es-tu capable de me faire connaître le songe que j’ai eu et son interprétation ? » 27 Daniel répondit devant le roi : « Le mystère que poursuit le roi, sages, devins, magiciens et exorcistes n’ont pu le découvrir au roi ; 28 mais il y a un Dieu dans le ciel, qui révèle les mystères et qui a fait connaître au roi Nabuchodonosor ce qui doit arriver à la fin des jours. Ton songe et les visions de ta tête sur ta couche, les voici :l

l C’est l’annonce de la première des allégories de Daniel, qui décrivent mystérieusement la succession des grands empires historiques (Néobabyloniens, Mèdes et Perses, Grecs héritiers du royaume asiatique d’Alexandre), ici figurés, selon les anciennes spéculations sur les âges du monde, par des métaux de valeur décroissante, et enfin l’avènement du royaume messianique. Tous les empires terrestres s’écrouleront, pour laisser la place à un règne nouveau, éternel parce que fondé sur Dieu : le Royaume des Cieux, cf. Mt 4.17. Jésus, qui se désignera lui-même comme le Fils de l’homme, cf. 7.13 et Mt 8.20, s’appliquera aussi, cf. Mt 21. 42-44 ; Lc 20.17-18, l’image de la pierre d’angle, d’abord rejetée, du Ps 118.22, et de la pierre de fondation en Isa 28.16, avec une allusion nette à la pierre détachée du roc et qui écrase celui sur qui elle tombe, ici vv. 34, 44-45.

29 « Ô roi, sur ta couche, tes pensées s’élevèrent concernant ce qui doit arriver plus tard, et le révélateur des mystères t’a fait connaître ce qui doit arriver. 30 À moi, sans que j’aie plus de sagesse que quiconque, ce mystère a été révélé, à seule fin de faire savoir au roi son sens, et pour que tu connaisses les pensées de ton cœur.

31 « Tu as eu, ô roi, une vision. Voici : une statue, une grande statue, extrêmement brillante, se dressait devant toi, terrible à voir. 32 Cette statue, sa tête était d’or fin, sa poitrine et ses bras étaient d’argent, son ventre et ses cuisses de bronze, 33 ses jambes de fer, ses pieds partie fer et partie argile. 34 Tu regardais : soudain une pierre se détacha, sans que main l’eût touchée,m et vint frapper la statue, ses pieds de fer et d’argile, et les brisa.

m Littéralement : « sans les mains »; cf. Isa 31.8.

35 Alors se brisèrent, tout à la fois, fer et argile, bronze, argent et or, devenus semblables à la bale sur l’aire en été ; le vent les emporta sans laisser de traces. Et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne qui remplit toute la terre. 36 Tel fut le songe ; et son interprétation, nous la dirons devant le roi. 37 C’est toi, ô roi, roi des rois, à qui le Dieu du Ciel a donné royaume, pouvoir, puissance et honneurn

n La puissance de Nabuchodonosor lui vient de Dieu, et non du caractère divin auquel il prétend, cf. 3 ; Jdt 3.8 ; 6.2 ; 11. 7.

38 les enfants des hommes, les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, en quelque lieu qu’ils demeurent, il les a remis entre tes mains et t’a fait souverain sur eux tous —, la tête d’or, c’est toi. 39 Et après toi se dressera un autre royaume, inférieur à toi, et un troisième royaume ensuite, de bronze, qui dominera la terre entière. 40 Et il y aura un quatrième royaume, dur comme le fer, comme le fer qui réduit tout en poudre et écrase tout ; comme le fer qui brise, il réduira en poudre et brisera tous ceux-là. 41 Ces piedso que tu as vus, partie terre cuite et partie fer, c’est un royaume qui sera divisé ; il aura part à la force du fer, selon que tu as vu le fer mêlé à l’argile de la terre cuite.

o Aram. ajoute : « et les orteils ». De même au v. suivant on corrige « les doigts des pieds » en « les pieds ».

42 Les pieds, partie fer et partie argile de potier : le royaume sera partie fort et partie fragile. 43 Selon que tu as vu le fer mêlé à l’argile de la terre cuite, ils se mêleront en semence d’homme,p mais ils ne tiendront pas ensemble, de même que le fer ne se mêle pas à l’argile.

p Allusion probable aux mariages entre Séleucides et Ptolémées, qui ne réussirent guère à consolider l’unité entre les successeurs d’Alexandre.

44 Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même subsistera à jamais : 45 de même, tu as vu une pierre se détacher de la montagne, sans que main l’eût touchée, et réduire en poussière fer, bronze, terre cuite, argent et or. Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver. Tel est véritablement le songe, et sûre en est l’interprétation. »

Profession de foi du roi.

46 Alors le roi Nabuchodonosor tomba face contre terre et se prosterna devant Daniel. Il ordonna qu’on lui offrît oblation et sacrifice d’agréable odeur. 47 Et le roi dit à Daniel : « En vérité votre dieu est le Dieu des dieux et le maître des rois, le révélateur des mystères, puisque tu as pu révéler ce mystère. »

48 Alors le roi conféra à Daniel un rang élevé et lui donna nombre de magnifiques présents. Il le fit gouverneur de toute la province de Babylone et supérieur de tous les sages de Babylone. 49 Daniel demanda au roi d’assigner aux affaires de la province de Babylone Shadrak, Meshak et Abed Nego, Daniel lui-même demeurant à la cour du roi.