Le Jour du Seigneur, étude sur le Sabbat

1.2.2.7 — Les Péruviens.

Ainsi que nous l’avons vu, Ideler, parlant incidemment des Péruviens comme « ayant eu la semaine de 7 jours, » appuie simplement cette assertion dans une note, où il se borne à renvoyer à l’ouvrage de Garcilasso de la Vega : Commentarios reales de los Incas, t. I, 1. II, c. 23. Voici le passage, tiré de la traduction française publiée à Amsterdam en 1715 : « Ils comptaient par Lunes les mois de leur année, qu’ils appelaient Quilla, à le prendre d’une nouvelle lune à l’autre ; et il n’y avait point de mois qui n’eût son nom particulier, de même que la Lune, dont le croissant servait à compter les demi-mois, et les quartiers formaient les semaines ; mais ils n’avaient point de noms pour en spécifier les jours. »

Il semble donc d’après cette citation que les Péruviens avaient des mois, des demi-mois, des semaines, même des mots pour désigner le mois, chacun des 12 mois, peut-être aussi la semaine, mais non pas ses différents jours, comme le remarque expressément Garcilasso. Du reste, il ne devait pas être difficile de caractériser les différents jours du mois au moyen des demi-mois et de leurs semaines. Mais ce qui nous importe surtout, c’est que cette citation implique chez les Péruviens la connaissance et une certaine pratique de la semaine de 7 jours.

Garcilasso (proprement Garcias-Laso) de la Vega, surnommé l’Inca, naquit à Cuzco, ancienne capitale du Pérou, en 1540. Il eut pour père un Espagnol et pour mère une indienne. Son père Garcilasso de la Vega, était d’une famille illustre dans les armes et dans les lettres. Il vint au Pérou à la suite de Pedro de Alvarado, en 1534, peu de temps après la conquête de Pizarre. Il s’attacha à sa fortune et devint plus tard gouverneur de Cuzco. Il avait épousé une princesse péruvienne, nièce du douzième Inca, Huayna-Capac. Agée de 10 ans, lorsque l’usurpateur Atahualpa ordonna le massacre de sa famille, la jeune fille fut épargnée et vécut avec un frère à Cuzco. C’est là que naquit l’historien, qui resta au Pérou jusqu’à l’âge de 20 ans, et y reçut la meilleure éducation que permît le bruit incessant des armes et des agitations civiles. Il écouta bien souvent les récits de sa mère et des parents qui lui restaient, sur l’ancienne gloire du Pérou et les catastrophes qui l’avaient suivie

Il quitta l’Amérique en 1560 et se rendit en Espagne, où il prit pendant quelque temps du service ; mais dans sa retraite à Cordoue, il ne tarda pas à se livrer tout entier à des travaux historiques. En 1609, il publia la première partie de son grand ouvrage les Commentarios reales, consacrée à l’histoire du Pérou sous les Incas, et il mourut en 1616. Quand il écrivit l’histoire ancienne de son pays, il avait comme matériaux, non seulement le souvenir de tout ce qu’il avait entendu ou vu dans son enfance et sa jeunesse, ainsi que les écrits de plusieurs auteurs espagnols, mais encore de précieuses relations manuscrites qu’il s’était procurées. « Dès que j’entrepris de composer cette histoire, dit-il, j’écrivis à mes compagnons d’école et je les priai de m’envoyer chacun en particulier tous les mémoires qu’ils pourraient avoir, touchant les conquêtes que les Incas avaient faites des provinces de leurs mères. Car il faut remarquer ici que chaque province a ses comptes et ses nœuds pour soulager la mémoire dans la connaissance des annales ou des histoires de son pays et en conserver la tradition. Mes compagnons d’école n’eurent pas plutôt su mon dessein, que fort aises de pouvoir m’y être utiles, ils le communiquèrent chacun en particulier à leur mère et à leurs autres parents. Dès que ceux-ci furent informés qu’un Indien natif de leur pays en vouloit écrire l’histoire, ils tirèrent de leurs archives les relations et les mémoires qu’ils en avaient, et me les envoyèrent en même temps. »

Evidemment si d’Acosta était « plus instruit » en général que Garcilasso, qui même connaissait peu le latin, comme il l’avoue, ce dernier était beaucoup mieux placé que le premier pour être bien renseigné sur l’ancien Pérou, son histoire, ses usages et ses institutions ; et du reste, il a la réputation d’être véridique. S’il se trompe en donnant parfois dans le panégyrique, c’est encore de bonne foi. Il s’est familiarisé « avec l’histoire de la grande race des Incas et de leurs institutions nationales, dit Prescott (I, p. 292-294), à un degré que personne n’aurait pu atteindre, à moins d’avoir été élevé au milieu d’eux, de parler la même langue et d’avoir reçu le sang indien dans ses veines… Toute part faite à la vanité nationale, nous trouverons (chez lui) une abondance de renseignements véridiques sur les antiquités de son pays, que nous chercherions vainement ailleurs chez n’importe quel auteur européen. »

Parlant de quelques-unes des lois que Pachacutec, trisaïeul de celui sous lequel eut lieu la conquête espagnole, qu’il établit « et qui firent de son règne l’âge d’or du Pérou », il rapporte l’institution de 3 jours de fête mensuels, coïncidant sans doute avec les jours de marché dans lesquels « les paysans et les ouvriers qui travaillaient aux champs » devaient venir en ville, « afin d’y voir et entendre les choses que l’Ynca et son Conseil aurait établies. » Garcilasso ajoute que plus tard le même Inca voulut donner encore plus d’importance à ces 3 jours de fête en distinguant entre le « marché public, » qui devait avoir lieu tous les jours, et les « Foires, » qui ne devaient tomber que sur les jours de fête. Là Garcilasso parle simplement de la semaine, ou période de 7 jours, des 4 semaines du mois, comme d’une institution ancienne et permanente, ayant duré jusqu’à la conquête espagnole et étant essentiellement rattachée aux phases lunaires, tandis qu’il s’agit ici d’une institution de 3 jours mensuels de fête et de foire, fondée dans l’empire des Incas par Pachacutec à une époque relativement récente.

Il y avait donc depuis cet Inca, d’un côté, les 4 semaines mensuelles sans jours de repos et, de l’autre, les 3 jours de fête mensuels tout à fait indépendants de ces semaines proprement dites, mais en fait constituant à leur manière 3 autres semaines mensuelles de 9 jours chacune ou à peu près ; car la dernière de ces semaines devait compter 10 ou 11 jours pour parfaire le mois.

Assurément la semaine de 7 jours, ne devait pas être fort accentuée au Pérou, puisqu’elle n’y avait pas le repos du 7e jour, du moins à notre connaissance, et c’est là ce qui nous expliquerait comment elle pouvait passer inaperçue, surtout quand on ne connaissait pas le péruvien, ou n’être pas mentionnée par d’autres historiens, comme étant peu importante. Mais elle n’en existait pas moins, comme l’atteste formellement Garcilasso et comme l’ont admis, après lui, Bailly, Lalande, Ideler, Riehm, etc.

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