John Wesley, sa vie et son œuvre

3.2 Le Méthodisme en Irlande (1747-1750)

Etat religieux de l’Irlande. — Wesley s’y intéresse. — Wesley à Dublin. — Ses premières impressions. — Succès encourageant des premiers travaux. — Terrible persécution contre les méthodistes. — Conversion extraordinaire de deux Irlandais. — Deuxième visite de Wesley. — Succès remarquables à Athlone et dans d’autres localités. — Wesley et les prêtres. — Persécutions à Cork. — Le charlatan Butler. — Complicité des magistrats. — La chapelle est pillée. — Excès coupables. — Un ministre à la tête d’une émeute. — Fin des désordres. — Succès du méthodisme en Irlande. — Un martyr irlandais. — Thomas Walsh.

L’Irlande, qui s’appela jadis l’île des Saints et qui, pendant longtemps, envoya des missionnaires au reste de l’Europe, a eu le malheur de se laisser distancer, au point de vue religieux, par ses deux sœurs, l’Écosse et l’Angleterre. Tandis que ces dernières accueillirent avec empressement la Réformation du xvie siècle, l’Irlande, dominée par ses griefs politiques, refusa de s’associer à ce mouvement et demeura sous le joug de Rome. Cette infériorité religieuse entraîna pour ce pays une infériorité sociale et politique humiliante pour une race admirablement douée, mais chez laquelle la superstition, semblable à un corselet de fer, a arrêté la croissance normale. De là, pour ce peuple, une longue suite de calamités qui font de son histoire l’une des plus mélancoliques qui existent.

Les occasions perdues ne se retrouvent pas facilement dans la vie d’une nation, et l’Irlande aura bien de la peine à se mettre au pas des autres parties de l’empire britannique, que la Réforme a émancipées. La politique anglaise n’y a pas réussi, et les efforts des Irlandais eux-mêmes y ont été impuissants. La substitution de la religion de l’Évangile aux superstitions romaines serait l’unique remède aux maux de l’Irlande et le moyen efficace de son relèvement.

Ce sera l’honneur de Wesley de l’avoir cru possible et d’y avoir vaillamment travaillé. Avant lui, les tentatives faites pour évangéliser l’Irlande avaient eu un caractère politique qui avait suffi à les discréditer. Les pasteurs anglicans, entretenus par les contributions forcées des catholiques, étaient généralement considérés comme des fonctionnaires inutiles d’un pouvoir persécuteur, et, eussent-ils été pieux et zélés, leurs relations avec l’Etat auraient considérablement nui à leur influence. Wesley comprit de bonne heure qu’à côté de ce clergé doublement impuissant il y avait place pour l’action de ses évangélistes laïques, et que ceux-ci pourraient peut-être réussir là où les autres avaient échoué.

Il arriva à Dublin le dimanche 9 août 1747 ; l’après-midi de ce même jour, il fut invité à occuper la chaire dans l’église de Sainte-Marie. Il prêcha devant « l’auditoire le plus élégant et le plus évaporé qui fût jamais ». Deux jours après, il eut une entrevue avec l’archevêque protestant de Dublin, qui fit « une foule d’objections » à sa mission. Wesley y répondit avec fermeté ; mais il comprit qu’en Irlande, comme en Angleterre, il aurait à se frayer un chemin à côté de l’Église officielle.

A ce premier voyage, il essaya de se faire une juste idée des besoins religieux des Irlandais. Il remarqua que, en faisant abstraction des protestants venus dans le pays des diverses parties de l’Angleterre, « on pourrait à peine compter un protestant sur quatre-vingt-dix-neuf Irlandais de naissance. Et il n’y a pas à s’étonner, ajoute-t-il, si ceux qui sont nés papistes vivent et meurent tels, quand on voit les protestants n’avoir recours, pour amener leur conversion, qu’aux lois pénales et aux actes du Parlement. » La première impression produite sur lui par les Irlandais fut excellente ; il les trouva en général plus traitables que les Anglais. Cette impression se confirma dans ses voyages suivants : « Quelle nation que celle-ci, s’écrie-t-il ; hommes, femmes, enfants, tous, à part quelques rares exceptions, acceptent non seulement avec patience, mais avec reconnaissance, la parole d’exhortation. »

Wesley avait été précédé en Irlande par l’un de ses prédicateurs laïques, Thomas Williams, qui, en quelques mois, y avait organisé une société de près de trois cents membres. Selon son habitude constante, Wesley s’enquit de l’expérience et de l’état spirituel de chacun d’eux individuellement. Il prêcha aussi à de nombreux auditoires, soit en plein air, soit dans la chapelle, qui était une ancienne église luthérienne, et sa prédication fut partout goûtée ; on l’accueillit même parfois avec un véritable enthousiasme qui l’étonnait. Après deux semaines, il dut se séparer de « ce peuple aimant au delà de toute expression », comme il l’appelle, et il le fit en se promettant de donner une attention spéciale à ses besoins religieux.

Deux semaines après son départ, son frère Charles venait prendre sa place ; il était accompagné par Charles Perronet, l’un des fils du vicaire de Shoreham. Mais, dans ce court intervalle, un brusque revirement s’était opéré dans les dispositions du peuple de Dublin. Les passions populaires s’étaient soulevées comme un ouragan et avaient fondu sur la société. La chapelle avait été mise au pillage par une populace catholique fanatisée par les prêtres, les bancs et la chaire avaient servi à alimenter un feu de joie et plusieurs méthodistes avaient été insultés et menacés. La justice devint complice de ces désordres en ne les réprimant pas ; le grand jury osa acquitter les meurtriers ; c’était les encourager à recommencer, et ils n’y manquèrent pas. Charles Wesley eut à soutenir les plus rudes assauts de la part d’une populace excitée, qui se porta à des excès inouïs. Le sang coula plus d’une fois dans ces rencontres, et l’émeute laissa souvent des victimes sur son passage. Plusieurs personnes furent tellement maltraitées qu’elles moururent des suites de leurs blessures. Un agent de police qui voulut un jour s’interposer pour défendre Charles Wesley fut assommé, et son cadavre, après avoir été traîné par les rues, fut pendu par un peuple furieux jusqu’à la frénésie. Les meurtriers étaient mis en jugement, mais toujours acquittés, « selon la coutume, » dit Wesley. La foi et la fermeté du serviteur de Dieu vinrent à bout néanmoins de ces oppositions, et, à la suite de ce déchaînement des passions mauvaises, l’œuvre put reprendre sa marche.

Elle ne se renfermait plus d’ailleurs dans Dublin ; dès cette époque, de courageux prédicateurs parcouraient l’Irlande, et leurs travaux, accomplis au milieu de grandes difficultés, obtenaient quelques succès. Les beaux cantiques de Charles Wesley étaient fort goûtés par ce peuple à l’oreille musicale et lui attiraient souvent des auditeurs. Deux anecdotes caractéristiques donneront une idée de la puissance de ces mélodies sur les Irlandais.

A Wexford, la petite société, persécutée par les papistes, se réunissait en secret dans un grenier. L’un des mauvais sujets de la localité promit à ses camarades de s’introduire, avant le service, dans le local et de s’y cacher ; il devait, une fois la réunion en train, leur ouvrir la porte. Il ne trouva rien de mieux à faire que de s’introduire dans un sac pour échapper aux regards. Lorsque le chant commença, l’Irlandais fut tellement saisi par la puissance et la beauté de la mélodie, qu’il oublia son dessein et voulut l’écouter jusqu’au bout. Le cantique fini, il écouta la prière, et son cœur, déjà amolli, se fondit ; saisi de remords, le pauvre homme se prit à trembler de tous ses membres et à pousser de sourds gémissements qui ne tardèrent pas à appeler l’attention de l’assemblée sur le sac d’où ils partaient. La première pensée qui vint à tous les assistants, gens simples et ignorants, fut qu’il y avait là quelque intervention diabolique ; mais un examen plus attentif fit découvrir le malheureux Irlandais, morfondu d’angoisse et qui priait de tout son cœur. Une explication eut lieu ; le pauvre homme demanda aux chrétiens présents de prier pour lui. Il se convertit, et la société de Wexford compta un membre de plusa.

a – Stevens, Hist. of Meth., t. I, p. 277.

C’est aussi à cette période des premiers commencements du méthodisme irlandais que se rattache l’histoire de ce cabaretier, grand amateur de musique, qui vint assister à une réunion pour entendre les chants. Cet homme, redoutant l’influence que pourraient avoir sur lui les autres parties du culte, mettait ses doigts dans ses oreilles dès que les chants avaient cessé. Une mouche qui vint se poser avec obstination sur son nez le força cependant à quitter cette attitude étrange ; à ce moment même, le prédicateur prononçait ces paroles : « Que celui qui a des oreilles pour ouïr entende ! » Ces mots éveillèrent si vivement sa curiosité, qu’il voulut en entendre plus long, et l’Évangile ne tarda pas à agir si puissamment sur sa conscience, qu’il fut amené, par cette prédication, à la repentance et à la conversion.

Ces anecdotes montrent à quelles âmes naïves et grossières le méthodisme eut à faire dans la catholique Irlande. Ici, la superstition s’ajoutait à l’ignorance et créait à l’évangélisation des difficultés spéciales qui devaient ralentir ses succès. Heureusement qu’aux préjugés venait s’unir chez ce peuple un caractère généreux et facilement ému, sur lequel l’Évangile, prêché dans sa simplicité, devait faire impression.

A sa deuxième visite en Irlande, qui eut lieu en mars 1748, John Wesley rencontra l’accueil le plus chaleureux. En arrivant à Dublin, il se rendit directement au lieu de culte où se rassemblait la société, qui était réunie justement à cette heure, sous la présidence de son frère. Il se mit aussitôt à prêcher ; mais, pendant quelques moments, sa voix eut de la peine à surmonter le bruit causé par les exclamations et les cris de joie de ce peuple si démonstratif. Pendant le séjour de trois mois qu’il fit en Irlande, il parcourut une grande partie du pays, prêchant tous les jours dès cinq heures du matin et rencontrant en général des dispositions très favorables. L’orage qui avait assailli la société à sa naissance semblait avoir eu pour unique résultat de purifier l’atmosphère.

Partout Wesley prêcha en plein air à des assemblées composées de catholiques et de protestants également attentifs. A Athlone, petite ville du centre de l’Irlande, il s’adressa du haut d’une fenêtre à une foule immense, en majorité catholique, dont le recueillement lui inspira cette réflexion : « Je n’ai peut-être jamais rencontré une assemblée qui se comportât mieux, et je n’ai jamais vu, en Europe ou en Amérique, de peuple aussi civil que ce peuple irlandais. » Le lendemain, l’attitude de son auditoire l’étonna plus encore ; tout le monde était en larmes. « La ville presque tout entière était en mouvement, et de tous côtés se manifestaient les meilleures dispositions au sujet du salut. » L’étendue de ces manifestations si remarquables ne faisait pas illusion à Wesley sur leur intensité. « Le fleuve, disait-il, est trop large pour être bien profond. » Il se rendait compte dès lors des difficultés toutes spéciales qu’offrirait à l’évangélisation ce caractère irlandais si ouvert, mais si mobile.

Cette bienveillance unanime ne le satisfaisait pas, et il travaillait à secouer l’indifférence religieuse dont elle était souvent l’enveloppe. Dans ce but, il donna à sa prédication un caractère nouveau et s’efforça de placer ses auditeurs en face de la Loi. « J’ai prêché, écrit-il, les terreurs de l’Éternel aux gens d’Athlone avec toute la véhémence dont je suis capable. Mais ceux mêmes qui dévorent chacune de mes paroles ne me paraissent pas en digérer grand’chose. » Cette localité lui offrit néanmoins de sérieux encouragements, et il y fonda une société prospère.

Partout il rencontrait ce même empressement. A Philipstown, il trouva une petite société formée en grande partie de soldats de la garnison, dont l’attitude fut excellente. A Clara, il eut une assemblée publique qui se composait fort exceptionnellement d’une proportion notable de riches, la plupart arrivés en équipages. Un autre jour, dans la même localité, il lutta victorieusement contre un des divertissements nationaux les plus courus, et parvint à enlever une bonne partie de ses spectateurs à un combat de coqs qui avait rassemblé une grande foule de gens. A Limerick, un bal s’était installé sur la place où il avait convoqué son assemblée ; on lui conseillait de changer de lieu, mais il n’en fit rien, et l’un après l’autre les danseurs abandonnèrent la partie et se rangèrent parmi ses auditeurs. A Tullamore, un violent orage de grêle survint pendant qu’il prêchait en plein air devant une foule immense, et non seulement personne ne s’en alla, mais encore la plupart refusèrent de se couvrir, bien que Wesley les priât de le faire.

Il eut fréquemment des prêtres pour auditeurs ; le plus souvent, ils lui firent une guerre déclarée. Le prêtre d’Athlone vint un jour en personne chercher ses paroissiens qui s’étaient permis d’aller entendre le grand missionnaire, et un certain nombre d’entre eux, « comme un troupeau de bons moutons, se laissèrent ramener au bercail. » Les protestants prenaient assez généralement son parti contre les agressions des prêtres, et un jour qu’un moine carmélite se permit de l’interrompre en lui criant : « Vous mentez ! » les protestants, zélés pour l’honneur de leur culte, faillirent faire un mauvais parti au moine et le mirent en fuite. Plus d’une fois pourtant, l’on vit le protestantisme mort donner la main à l’Église romaine pour s’opposer aux progrès de l’œuvre nouvelle. En revanche, Wesley eut, une fois, l’honneur d’être défendu par un prêtre. C’était dans une de ces prédications en plein air, où les impressions diverses de la foule se manifestaient naturellement avec assez de liberté. Un protestant, relevant une calomnie déjà vieille, interrompit le prédicateur en s’écriant : « C’est un jésuite ! cela est évident ! » Un prêtre qui était là lui répondit d’une voix retentissante : « Ce n’est pas vrai. Plût à Dieu qu’il le fût ! »

Lorsque Wesley quitta l’Irlande, il y laissa de nombreuses sociétés parfaitement organisées et tout un corps assez nombreux déjà de prédicateurs. Son frère, qui vint bientôt reprendre la direction du mouvement, tourna ses pas vers Cork, ville importante du sud-ouest de l’île, qui allait devenir le champ de bataille du méthodisme irlandais. Les succès de Charles y furent grands d’abord ; il eut jusqu’à dix mille auditeurs, et organisa une société de deux cents membres auxquels, comme son frère, il reprochait d’être un peu superficiels quant à leur caractère religieux. Ce caractère allait d’ailleurs se former rapidement à l’école de la persécution.

La populace en effet changea bientôt de dispositions, et, avec une versatilité tout irlandaise, elle passa de la bienveillance à la fureur. A peine Charles Wesley eut-il quitté la ville que le peuple se souleva contre les méthodistes, à la voix d’un comédien ambulant nommé Butler, auquel la prédication méthodiste enlevait sa clientèle. Ce charlatan de bas étage se mit à prêcher une croisade contre les chrétiens ; on le voyait par les rues de la ville, affublé de vêtements ecclésiastiques et tenant à la main une Bible et un paquet de chansons profanes ; il rassemblait autour de lui les désœuvrés et les tapageurs de tout ordre, et leur débitait toutes sortes de calomnies absurdes sur le compte des prédicateurs. Ce misérable, grâce à un certain talent de parole, devint un personnage dans Cork et exerça, pendant quelque temps, par ses déclamations furibondes et par ses manœuvres coupables, une véritable dictature sur les classes ouvrières. Egarées par ses mensonges, elles se portèrent à de graves excès. Des troupes d’hommes, armés de bâtons et d’épées, traversaient la ville, et assaillaient les maisons des méthodistes ; les hommes, les femmes, les enfants, soupçonnés de se rattacher à la secte proscrite, étaient attaqués en pleine rue par ces bandes armées, et plusieurs furent gravement blessés. On criait par les rues de la ville : « Cinq livres pour la tête d’un méthodiste ! »

Chose triste à dire, le maire de la ville encourageait ces désordres. Les persécutés réclamèrent inutilement sa protection ; il disait à l’un d’eux qui se plaignait auprès de lui qu’on eût pillé sa maison : « Tant pis pour vous. Pourquoi recevez vous ces prédicateurs ? Mettez-les à la porte, et je m’engage à vous protéger ; sinon, vous en supporterez les conséquences. » Ces paroles imprudentes prononcées devant la populace étaient comme de l’huile jetée sur le feu et ne servirent qu’à exciter les passions. Butler s’en autorisa pour continuer ses harangues séditieuses ; il soutenait publiquement à qui voulait l’entendre que le meurtre des méthodistes était légitime et méritoire.

Les tribunaux eux-mêmes n’osaient pas prendre en main la cause des opprimés. Non content d’acquitter les persécuteurs, le jury mit en accusation les persécutés. Les registres de la ville conservent encore un curieux acte d’accusation où se trouve ce qui suit : « Nous avons trouvé que Charles Wesley est un homme de mauvaise réputation, un vagabond, un perturbateur de la paix de Sa Majesté, et nous demandons en conséquence qu’il soit déporté. » Les méthodistes en appelèrent de ces jugements passionnés et obtinrent pleine justice devant les juges de la couronne. Lorsque Butler se présenta devant le tribunal comme premier témoin à charge, le juge récusa son témoignage en s’écriant : « Comment ! on vient accuser ces messieurs de vagabondage, et leur premier accusateur est un vagabond de profession ! »

Malgré cet acquittement, la dictature de la populace continua, et, lorsqu’en 1750 John Wesley vint à Cork, il eut à supporter de violentes attaques. Le maire, à qui il demanda protection, se contenta d’ordonner aux tambours municipaux d’aller battre la caisse devant la chapelle tout le temps que durerait le service. Ce moyen ingénieux de « maintenir la paix » réussit à attrouper la populace, qui, après avoir assailli le missionnaire que son sang-froid. seul sauva, se rua sur la chapelle, la dévasta et livra aux flammes tout ce qui était susceptible d’être brûlé. Le lendemain, Wesley lui-même eut l’honneur d’être brûlé en effigie dans les rues de Cork.

A partir de ce moment, la ville vit se renouveler les scènes scandaleuses qui s’étaient passées dans son sein, deux ans auparavant. Chaque jour se produisaient de nouvelles attaques contre les personnes et contre les propriétés. Un certain Roger O’Ferrall fit même afficher, dans la Bourse de Cork, un avis par lequel il s’offrait à servir de chef à toute émeute qui aurait pour but de piller ou de démolir la maison de quelque méthodiste ou de quelque ami des méthodistes.

Le maire, dont la protection était invoquée par les persécutés, usa d’un singulier compromis pour remplir en apparence ses devoirs, tout en abandonnant les méthodistes au mauvais vouloir de la foule. Un jour que son intervention était réclamée, il vint au-devant de l’émeute, accompagné de quelques soldats, et s’écria d’un ton qui ôtait toute autorité à ses paroles : « Une fois, deux fois, trois fois, mes enfants, je vous somme de rentrer chacun chez soi ! Et maintenant j’ai dit, » et il retourna chez lui paisiblement, laissant le peuple très satisfait de cet encouragement déguisé que lui donnait ainsi le premier magistrat de la ville.

Dans la ville voisine, à Bandon, un ministre, en état d’ivresse, vint, à la tête de quelques mauvais sujets, interrompre une prédication de Wesley. S’approchant de lui par derrière, il s’apprêtait à donner le signal de l’attaque en lui assénant quelques coups de bâton, lorsque deux ou trois femmes résolues se jetèrent sur lui et le transportèrent dans une maison voisine, où elles l’enfermèrent pour qu’il pût retrouver sa raison, sans déranger l’assemblée. Wesley ajoute même dans son journal que ces vaillantes Irlandaises, pour obliger le ministre récalcitrant à se tenir en repos, durent lui faire sentir toute la vigueur de leurs poings.

L’agitation qui avait régné si longtemps à Cork ne tarda pas à diminuer et à disparaître devant la fermeté des chrétiens, que l’épreuve avait remarquablement mûris. Un bon nombre de soldats de la garnison prirent goût au culte ; plusieurs se convertirent, et leur présence aux réunions méthodistes contribua à tenir en respect les gens mal intentionnés. Le méthodisme, retrempé par les persécutions, eut de grands succès à Cork, où il est florissant de nos jours. Wesley, lors de ses visites subséquentes, trouva les dispositions du peuple bien changées à son égard ; il fut reçu à l’hôtel de ville par le maire en personne. Le méthodisme prit pied si rapidement dans la meilleure société de la ville que, cinq ans seulement après la persécution que nous venons de raconter, Wesley exprimait la crainte que cette cité ne devînt la Capoue où ses prédicateurs risquaient de s’amollir.

Ces progrès se produisirent simultanément d’ailleurs sur les points les plus divers de l’Irlande. Non seulement les comtés du sud, mais les contrées montagneuses de l’Ulster étaient évangélisées par de pieux missionnaires dont le zèle semblait ignorer la fatigue et le découragement. Ils mettaient le meilleur esprit au service de la meilleure des causes. L’histoire de ces origines du méthodisme irlandais est pleine d’actes héroïques qui montrent à quel désintéressement la foi peut élever les âmes qu’elle anime. L’un des premiers soldats de cette pieuse entreprise tomba sur le champ de bataille, victime de son héroïsme chrétien : ce fut le prédicateur Mac Burney, qui périt des suites des graves blessures qui lui avaient été faites dans une rencontre avec une populace irritée contre ses prédications. « Que Dieu vous pardonne comme je le fais, » dit à ses bourreaux ce vaillant martyr, tandis qu’ils le foulaient à leurs pieds.

Les prédicateurs de Wesley, comme lui-même, eurent la sagesse, dans leurs prédications aux catholiques irlandais, de s’attacher moins à réfuter les erreurs romaines qu’à annoncer les grandes vérités du salut. Cette prédication, qui s’efforçait de répondre aux éternels besoins de la conscience plutôt qu’aux préjugés de l’éducation, amena à l’Évangile un grand nombre de catholiques.

L’un de ces convertis, Thomas Walsh, devint l’apôtre du méthodisme dans son pays. « Sa vie, a dit Southey, pourrait prouver aux catholiques qu’il y a des saints ailleurs que chez euxb. » Ce fut cette sainteté de sa vie, unie à une chaleur d’âme entraînante, qui fit le succès de son ministère. Irlandais, il put prêcher à ses compatriotes dans leur idiome natal et en tenant compte de leur caractère national. Si ses succès furent grands, ses épreuves le furent aussi ; les prêtres lui vouèrent une haine toute particulière et soulevèrent contre lui les colères de la populace ; sa vie fut souvent en péril. Son nom demeure indissolublement associé aux débuts du méthodisme irlandais.

b – Southey, Life of Wesley, t. II, p. 122.

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