John Wesley, sa vie et son œuvre

4.5 Derniers travaux de Wesley. Sa mort (1790-1791)

Affaissement physique de Wesley. — Son activité persistante. — Ses travaux à Londres et dans les environs. — Sa dernière tournée dans le Nord. — Accueil empressé qu’il trouve partout — Etat des sociétés. — Scène émouvante à Halifax. — Wesley en Écosse. — Newcastle. — Une délivrance remarquable. — Ses réflexions a son quatre-vingt-septième anniversaire. — Sa dernière conférence. — Ses prédications autour de Londres. — Sa dernière note dans son journal. — Sa dernière note dans son livre de comptes. — Témoignage de Rogers. — Ses dernières lettres. — Préoccupations sur l’état et l’avenir des sociétés. — Sa dernière prédication. — Affaiblissement rapide. — Lettre à Wilberforce, écrite par Wesley quatre jours avant sa mort. — Entretiens et paroles du dernier dimanche de sa vie. — Affaissement et assoupissement, le lundi. — Paroles de foi et d’espérance, le mardi. — Scène suprême. — Mort de John Wesley. — Ses funérailles.

Le 1er janvier 1790, Wesley écrivait dans son journal : « Je suis maintenant un vieillard, affaibli de la tête aux pieds. J’ai la vue trouble ; ma main droite tremble beaucoup. Chaque matin, ma bouche est chaude et sèche ; j’ai une fièvre lente presque tous les jours. Je marche avec peine et lentement. Néanmoins, Dieu soit béni ! je ne ralentis pas mon travail, et je puis encore prêcher et écrire. »

Il continua en effet, comme nous allons le voir, de prêcher et d’écrire pendant cette dernière année de sa vie, en dépit des infirmités croissantes de la vieillesse. « Il se levait toujours, dit son biographe et ami Moore, à quatre heures du matin et accomplissait les nombreux devoirs de la journée, non sans doute avec la même vigueur qu’autrefois, mais sans se plaindre et avec un étonnant courage. » Agé de quatre-vingt-sept ans, il considérait la prédication fréquente non comme une fatigue, mais comme un exercice excellent. En conseillant à Adam Clarke alors souffrant de consulter son médecin le Dr Whitehead, il lui recommandait de suivre ses directions, « excepté, ajoutait-il, s’il vous ordonne de cesser de prêcher. Si j’avais suivi cet avis moi-même, il y a bien des années que je serais morta. »

a – Dunn, Life of Clarke, p. 72.

Les premiers mois de l’année furent consacrés à Londres et aux environs. Quelques extraits du journal de Wesley nous le montreront au milieu de ses féconds labeurs.

Il écrit le 3 janvier : « Près de 2000 personnes, autant que je puis en juger, se trouvaient réunies dans la nouvelle chapelle pour renouveler solennellement leur alliance avec Dieu, moyen de grâce conforme à l’Écriture, mais complètement négligé de nos jours, sauf parmi les méthodistes. »

Le 14 février, il écrit : « J’ai prêché un sermon pour les enfants dans la chapelle de West-Street. Ils sont accourus en foule de tous côtés ; et vraiment Dieu était au milieu d’eux, tandis que je leur expliquais ces paroles : Venez, enfants, écoutez-moi, et je vous enseignerai la crainte de l’Éternel. » Le dimanche suivant, il prêcha de nouveau aux enfants, dans la chapelle de City-Road.

Le 27 : « J’ai eu ce soir à Snowsfields un auditoire tel qu’on n’en a pas vu depuis beaucoup d’années. Après le service, j’ai réuni les pénitents ; ils remplissaient presque complètement la salle, et Dieu était au milieu d’eux. »

Le 28 : « Nous n’avions pas encore eu un tel auditoire et une telle bénédiction à la nouvelle chapelle, depuis le renouvellement de l’alliance ; les cœurs étaient comme la cire qui se fond au feu ; un grand nombre de personnes versaient d’abondantes larmes ; et j’ai la confiance qu’elles n’oublieront pas de sitôt les exhortations qu’elles ont entendues. L’après-midi, j’ai prêché à la chapelle de West-Street sur Ephés.5.1-2. L’édifice était loin de pouvoir contenir tous ceux qui voulaient y trouver place. Ceux qui purent s’y entasser paraissaient vivement affectés ; et, lorsqu’il me fallut partir pour me rendre à Brentford, où je devais prêcher le soir, j’eus les plus grandes peines à sortir et à atteindre ma voiture. Là encore, j’eus un auditoire plus grand que jamais, de sorte qu’il semble que là aussi notre travail n’aura pas été vain. »

Wesley, on le voit par cette dernière citation, prêchait encore au besoin trois fois par dimanche, et toujours avec un grand succès. Sa prédication était accompagnée d’une puissance qui subjuguait les cœurs et d’une onction qui les pénétrait.

Il partit, au commencement de mars, pour sa dernière grande tournée en Angleterre et en Écosse, qui devait durer cinq mois. Une circulaire annonçant sa visite fut envoyée aux sociétés ; elle indiquait l’itinéraire qu’il devait suivre et les localités où il devait prêcher, depuis Stroud, dans le sud de l’Angleterre, jusqu’à Aberdeen au nord de l’Écosse ; elle se terminait par ces lignes : « Nous recommandons instamment que l’on se souvienne de M. Wesley dans les prières, surtout lors du jeûne trimestriel prochain, afin que ses forces soient maintenues et même accrues, si c’est la volonté de Dieu. »

Cette dernière visite de Wesley à ses sociétés mérite d’être racontée avec quelques détails.

La première quinzaine de mars fut consacrée à Bath, Bristol et Kingswood, où le méthodisme avait fait son apparition avec tant d’éclat, un demi siècle auparavant. Wesley prêche tous les jours, visite les malades, réunit et exhorte les membres. Le peuple de Bristol lui paraît « bien disposé pour le Seigneur. Les prédicateurs sont zélés, et leur zèle est récompensé par l’état réjouissant de leurs assemblées. » Au milieu des bons mineurs de Kingswood qui l’aiment comme un père, il reçoit toujours un accueil chaleureux ; un jour de semaine qu’il y passe, il a un immense auditoire, « comme il n’en a pas eu depuis quarante ans ; » les travaux des mines et des champs sont désertés dès que le bruit de son arrivée se répand.

Dans les villes qu’il visite ensuite en avançant vers les comtés du centre, il rencontre partout un tel empressement à venir l’entendre que les lieux de culte sont tous insuffisants. En atteignant Birmingham, il entre dans une région où le méthodisme a eu de grandes luttes à soutenir et où il a remporté de belles victoires. La société de cette ville le réjouit par sa vie spirituelle abondante. Dès le jour de son arrivée, un immense auditoire réunissant toutes les classes de la société se presse pour l’entendre. « Riches et pauvres, dit-il, se conduisent de manière à honorer leur profession. Du commencement à la fin du service, tous ont été sérieux et recueillis. » Le dimanche venu, il prêche dans la nouvelle chapelle, qu’il trouve « admirablement construite ». Mais des centaines de personnes sont forcées de s’en retourner, sans avoir pu y trouver place. « Je pense, dit-il, que tous ceux qui ont pu entrer ont senti que Dieu était présent. »

Wednesbury, qui rappelle à Wesley de grandes persécutions, est devenu l’un des centres importants du méthodisme. « L’œuvre de Dieu s’y est grandement ravivée, écrit-il, bien que l’état embarrassé des affaires ait contraint plusieurs de nos amis à quitter la ville. Nos amis pauvres ont grandi dans la grâce et ont appris par l’épreuve à se faire des trésors dans le ciel. » La faiblesse de Wesley ne lui permet plus de prêcher en plein air le soir, à l’heure où les ouvriers reviennent des mines, et il doit prêcher dans une chapelle insuffisante, tandis que la multitude qui n’a pu y trouver place entoure l’édifice, essayant d’entendre quelques accents de cette voix aimée.

A Dudley, il prêche dans la nouvelle chapelle, « l’une des plus belles de l’Angleterre, » et, sous sa prédication, deux personnes trouvent la paix. Il ne retrouve plus à Madeley son excellent collègue La Fléchère, parti pour un monde meilleur, mais il y trouve le souvenir vivant de son œuvre qui se continue et se développe. La pluie n’empêche pas les fidèles d’accourir et de remplir l’église pour entendre le vieil ami de leur pasteur défunt. Pendant les quelques jours qu’il passe à Madeley, Wesley met la dernière main à son sermon sur la Robe de noce qu’il s’apprête à publier. « Ce sera peut-être le dernier que j’écrirai, dit-il dans son journal ; car mes yeux s’obscurcissent et ma force physique est abattue. Néanmoins, tant que je le puis, je désire ardemment faire quelque chose pour Dieu, avant que vienne le moment où je retournerai à la poudreb. »

bJournal, 26 mars 1790.

Wesley reprend sa course vers le Nord, après avoir passé trois jours dans la paroisse de son ancien ami. A Newcastle-under-Lyne et à Burslem, il doit, en présence de l’insuffisance des locaux et de l’avidité à l’écouter que témoignent les populations, prêcher en plein air, malgré le surcroît de fatigue qui en résulte pour lui. Dans la nouvelle chapelle de Tunstall, « la plus élégante qu’il eût vue depuis celle de Bath, le peuple paraît dévorer la Parole. » A Congleton, le ministre, le maire et les autorités viennent l’entendre. Il arrive le vendredi saint à Manchester, et il y passe quelques jours au milieu d’excellents amis. Le jour de Pâques, il prêche deux fois « sans fatigue » et administre la Cène à seize cents communiants. Le lendemain matin, il reprend sa route ; en passant à Altringham, où il ne peut s’arrêter que peu d’instants, il convoque les amis dans la chapelle pour leur adresser quelques paroles ; mais le bruit de son arrivée circule rapidement, et bientôt la chapelle se remplit et déborde. Il repart après sa prédication, et prêche de nouveau à midi à Nortwich et le soir à Chester à des auditoires que les lieux de culte sont trop petits pour renfermer. C’est ainsi qu’il sait encore prêcher trois fois le lundi, après un dimanche de Pâques fort chargé.

A Liverpool, la sensation produite par le passage de Wesley est tout aussi grande qu’à Manchester. Wigan n’est plus « le dépravé Wigan », comme on l’appelait proverbialement autrefois ; là aussi, les dispositions ont changé, et le vieux missionnaire se voit entouré des témoignages du plus profond attachement. L’auditoire à Bolton est « l’un des plus aimables de l’Angleterre ; là aussi, la patience et la persévérance à bien faire des chrétiens ont réussi à changer la haine et le mépris du monde en sentiments universels d’estime et de bienveillancec. »

cJournal, 10 avril 1790.

En entrant dans le Yorkshire, Wesley foulait le sol dans lequel l’arbre du méthodisme avait peut-être jeté les plus profondes racines. Il est à regretter qu’une interruption dans son journal nous prive ici de ses impressions personnelles sur ce pays ; nous pouvons heureusement y suppléer en partie, grâce à d’autres sources. Partout il fut accueilli avec enthousiasme par ces populations dont il avait été l’éducateur spirituel. En le voyant passer de ville en ville, dominant de toute la hauteur de son âme chrétienne la débilité d’un corps usé au service de Dieu et de l’Église, on admirait cette belle existence et on rendait hommage à cette noble vieillesse qui la couronnait si dignement. A Halifax, il se passa une scène particulièrement touchante. Le bruit de l’arrivée du vénérable prédicateur s’était répandu dans la ville, et un service avait été annoncé pour dix heures du matin. La grande faiblesse de Wesley l’obligea, contrairement à son habitude, à faire attendre son auditoire ; trois heures se passèrent sans qu’il parût, mais nul ne songea à se plaindre et moins encore à se retirer. Lorsqu’il entra dans la chapelle, appuyé sur les bras de ses deux collègues et amis, Bradford et Thompson, l’assemblée tout entière, saisie d’une vive émotion en présence de ce noble vieillard et comprenant que c’était la dernière fois qu’elle le voyait, éclata en sanglots, et, pendant quelques moments, ce fut dans la chapelle une scène des plus émouvantes. L’émotion redoubla, lorsqu’on le vit se lever dans la chaire, en s’appuyant toujours sur ses deux amis qui étaient à ses côtés, et qu’on l’entendit s’adresser à l’assemblée d’une voix émue et faible, en recourant de temps en temps, pendant son discours, à la mémoire de l’un de ses collègues pour suppléer aux défaillances de la sienned.

dMethodism in Halifax, p. 181.

Après avoir traversé les comtés du Nord, Wesley arriva en Écosse, où il visita les principales localités évangélisées par ses prédicateurs. Il fut généralement fort bien reçu et en profita pour « délivrer son âme », en employant le peu de forces qui lui restaient à annoncer fidèlement le salut à ce peuple naturellement religieux, mais dont la piété lui semblait manquer de profondeur. Il eut à se plaindre des gens de Glasgow, qui montrèrent peu d’empressement à venir l’entendre ; il est vrai que c’était un jour de semaine. Cette froideur, qui contrastait avec l’ardeur qu’il trouvait partout ailleurs, lui inspira la réflexion suivante : « Ceci vérifie bien ce que j’ai souvent entendu dire, que les Écossais aiment tendrement la Parole du Seigneur, … mais au jour du Seigneur. Si je vis assez pour revenir à Glasgow, je m’arrangerai pour que ce soit un dimanchee. » Partout ailleurs du reste, Wesley fut reçu avec empressement. Il lui arriva plus d’une fois d’excéder la somme de travail que ses forces lui permettaient ; à Brechin, par exemple, il dut interrompre son discours, tant son épuisement était grand, ce qui ne lui était peut-être jamais arrivé.

eJournal, 28 mai 1790.

Le journal de Wesley nous le montre, à l’âge avancé qu’il avait atteint, toujours sensible aux charmes de la nature écossaise ; la vue des sites montagneux du Nord lui causait un plaisir très vif.

A son retour, il s’arrêta quelques jours à Newcastle, dans cette Maison d’orphelins qu’il avait autrefois construite et qui était son refuge préféré. « Si je faisais ma volonté, écrit-il dans son journal, ce serait dans cette maison-ci ou dans celle de Kingswood que je voudrais passer le reste (désormais bien court) de mes jours. Mais cela ne peut pas être ; ce n’est pas ici mon repos. » Dans cette ville qui avait été l’un des théâtres de son activité et de ses luttes, il fut accueilli avec une vénération profonde ; il y prêcha plusieurs fois, non seulement aux adultes, mais aux enfants ; ses prédications et ses visites laissèrent une trace profonde au milieu de cette population qui lui était dévouée ; nous en avons la preuve dans les impressions que nous a transmises l’un de ses prédicateurs qui eut le bonheur de le voir et de l’entendre. Les souvenirs qui nous restent de cette dernière tournée missionnaire sont trop précieux pour que nous négligions ceux-ci.

« Il parait très faible, écrit Charles Atmore ; et cela n’est pas surprenant, car il a près de quatre-vingt-huit ans. Sa vue s’est tellement affaiblie qu’il ne peut plus indiquer lui-même ses cantiques ; néanmoins sa voix est encore forte, et il a l’esprit remarquablement vif. Sûrement cet homme si grand et si bon est le prodige de notre siècle ! Il prêcha le soir aux enfants sur le verset 11 dû psaume 34, et sa prédication était telle qu’elle pouvait être aussi utile aux parents qu’aux enfants.

Quelques-uns d’entre nous l’accompagnèrent à North Shields, où il prêcha un excellent sermon sur Philip.3.7. Ce fut un temps de rafraîchissement, par la présence du Seigneur. Le dimanche, à deux heures, il vint à Biker et prêcha en plein air à plusieurs milliers de personnes sur Matth.7.24. A cinq heures, il prêcha à la Maison d’orphelins sur Eph.2.8 ; la maison était comble, et plusieurs centaines de personnes durent s’en retourner, sans avoir réussi à y pénétrer.

Son passage à Newcastle fut marqué par la délivrance remarquable d’un homme qui, depuis de longues années, était en proie à un profond désespoir. A peine arrivé, M. Wesley demanda de ses nouvelles, et je l’accompagnai chez lui. En entrant dans la chambre de ce pauvre homme, il alla droit à lui et, avec l’autorité d’un messager de Dieu, lui dit : « Mon frère, j’ai une parole à t’adresser de la part de Dieu : Que Jésus-Christ te guérisse ! » Il se mit alors à genoux et pria, et dans toute ma vie je n’ai peut-être pas connu un moment comparable à celui-là. L’espérance entra dans l’âme du malheureux, son désespoir disparut, et lui qui, depuis plusieurs années, n’avait pas quitté sa maison ni même son grabat, il se leva, et le soir il vint entendre la prédication de M. Wesley. Et ce fut ainsi que le Seigneur confirma le témoignage de son serviteur, en rendant à ce pauvre malheureux la splendeur de sa facef. »

fMemoir of the Rev. Charles Atmore, by the Rev. J.-S. Stamp. Wesleyan Magazine, 1845, p. 120

En revenant vers le sud, Wesley passa à Weardale, où un si beau réveil avait éclaté, et il eut la joie d’y trouver « le même esprit qu’autrefois » ; il dut prêcher en plein air à Stanhope et à Durham. A Monkwearmouth, comme ailleurs, il put admirer et encourager la fondation, récente encore, des écoles du dimanche, « qui ont enlevé des rues, dit-il, tant d’enfants qui passaient leur dimanche à jouer du matin au soir. » Arrivé à Whitby, il écrit dans son journal la note suivante : « La Providence a permis qu’une partie de la montagne voisine se soit détachée et ait démoli notre vieille chapelle, avec quelques autres maisons ; il en résulte que nous avons maintenant là l’une des plus belles chapelles de la Grande-Bretagne. » Cette chapelle elle-même fut tout à fait insuffisante pour contenir tous ceux qui voulaient entendre le célèbre prédicateur, et ce fut en plein air qu’il dut transporter son service. Les dispositions de ses auditeurs furent si bienveillantes qu’elles lui firent dire : « Dans toute l’Angleterre, je n’ai pas vu de peuple plus affectueux que ce peuple de Whitby. »

Le 28 juin, il est à Hull, et il écrit dans son journal : « Aujourd’hui, j’entre dans ma quatre-vingt-huitième année. Jusqu’à quatre-vingt-six ans, j’ai été exempt des infirmités de la vieillesse ; mes yeux étaient bons et mes forces entières. Mais, depuis le mois d’août dernier, j’ai passé par un changement très soudain. Mes yeux se sont tellement affaiblis qu’il n’y a plus de verres qui puissent leur venir en aide. Mes forces m’ont aussi abandonné, et je ne les retrouverai probablement pas dans ce monde. Je n’éprouve pourtant aucune douleur, de la tête aux pieds ; mais la nature paraît épuisée ; et, humainement parlant, elle s’affaissera de plus en plus, jusqu’à ce que les ressorts fatigués de la vie s’arrêtent enfin. »

Quelques jours après, il arrive à Epworth, son lieu de naissance, où il trouve une société affaiblie et découragée qu’il s’efforce de relever. Le dimanche, à la suite du service officiel, il prêche sur la place du marché « à un auditoire comme on n’en a jamais vu à Epworth ». Ses concitoyens lui font une chaleureuse réception, mais leur bienveillance est pour lui un nouveau motif de leur dire toute la vérité, et il choisit pour texte cette solennelle question : « Comment échapperons-nous si nous négligeons un si grand salut. »

A Bristol, il arriva à temps pour présider la quarante-septième conférence annuelle de ses prédicateurs. Il y apportait les impressions heureuses d’une tournée qui ressemblait à une marche triomphale. L’œuvre était en pleine prospérité, et les rapports présentés à la conférence respiraient la plus joyeuse confiance.

Les prédicateurs de Wesley, qui assistaient en grand nombre à la conférence de Bristol, emportèrent tous la conviction qu’ils ne le verraient plus. Il était arrivé en effet à une débilité physique extrême ; il était souvent nécessaire, comme nous l’avons vu, que, pendant ses prédications, deux de ses amis se tinssent à côté de lui, pour qu’il pût s’appuyer sur leurs bras et pour qu’ils suppléassent aux défaillances de sa mémoire. La conférence finie, le vieil évangéliste consacra trois semaines au pays de Galles, puis il revint à Bristol et dans les environs et employa le mois de septembre à prêcher et à visiter les sociétés. A Bristol, il présida, le 27 août, une longue-veille, et dans son discours il travailla à combattre l’influence exercée sur certains membres du troupeau par la lecture d’un livre qui enseignait que les souffrances de la vie actuelle ont une vertu expiatoire ; quelques jours après, prêchant au moment où s’ouvrait une grande foire, et toujours préoccupé de mettre toutes les occasions à profit, il choisit pour texte ce passage plein d’à-propos : « Achète la vérité et ne la vends pas. » Un autre jour, il présida seul un service qui dura trois heures entières, et il trouva encore moyen de prêcher l’après-midi en plein air.

Le 2 octobre, Wesley rentra à Londres, après sept mois d’absence, pendant lesquels il avait été continuellement en voyage. Plusieurs de ses amis allèrent à sa rencontre à vingt milles de Londres et « bénirent Dieu avec des cœurs joyeux en le revoyant en bonne santé et en bonne dispositiong ». Il prêcha deux fois le lendemain dans la chapelle de City-Road et présida une agape. Deux jours après, il prêchait à Rye, et le lendemain à Winchelsea, sous un grand arbre ; il avait choisi ce texte : « Le royaume des cieux approche ; repentez-vous et croyez à l’Évangile. » C’était le 7 octobre 1790 ; pour la dernière fois il prêchait en plein air, et il prenait congé de ce champ de bataille, sur lequel, pendant plus d’un demi-siècle, il avait remporté.tant de victoires.

gLife of James Rogers, p. 44.

Rentré à Londres pour le dimanche 9, il en repart le lundi, et prêche à Colchester, où il a « un auditoire imposant, composé de riches et de pauvres, d’ecclésiastiques et de laïques ; » à Norwich, où « le vent a tourné et où lui, naguère méprisé, est devenu un homme honoré ; » à Yarmouth, où, à la suite d’une assemblée publique très nombreuse, il passe une heure en prières avec la société et y sent la présence du Seigneur ; à Lynn, où il arrive « mouillé de la tête aux pieds » et où néanmoins il se met à prêcher devant un bel auditoire, dont le clergé de la ville fait partie.

Le dimanche 24 octobre, Wesley prêche dans deux églises anglicanes de Londres, et il raconte ce fait en ces termes : « J’ai expliqué ce qu’il faut entendre par toutes les armes de Dieu à une assemblée nombreuse, dans l’église de Spitalfields. L’après-midi, l’église de Saint-Paul, Shadwell, était plus comble encore, tandis que j’exposais cette vérité importante : Une seule chose est nécessaire, et j’espère que plusieurs se sont décidés à choisir la bonne part. »

C’est par cette simple note que se termine le journal de Wesley ; ici, sa main défaillante a laissé tomber la plume, et n’est-il pas remarquable, comme l’a fait observer un historien américain, que « ce journal, qui contient certainement le récit le plus extraordinaire qui existe d’une vie d’homme, se termine par ce trait : Wesley prêchant un dimanche tout entier dans les chaires de l’Église établie, dont il fut à la fois le plus grand honneur et la plus grande victime pendant le siècle dernierh ? »

Ce fut vers le milieu de l’année 1790 que la faiblesse croissante de sa vue l’obligea aussi à cesser de tenir note de ses dépenses et de ses recettes personnelles dans son livre de compte. La note par laquelle se termine ce livre est intéressante à lire. « Pendant plus de quatre-vingt-six ans, écrit-il, j’ai tenu mes comptes exactement. Je n’essayerai pas de le faire plus longtemps, étant satisfait de posséder la conviction inébranlable que j’ai économisé tout ce que j’ai pu et que j’ai donné tout ce que j’ai pu, c’est-à-dire tout ce que j’ai. » L’indication d’un chiffre évidemment erroné par laquelle cette note commence prouve que la mémoire de Wesley était en plein déclin, et le fac-simile à peine lisible que nous avons sous les yeux montre combien sa main était peu ferme à ce moment.

h – Stevens, Hist. of Meth., t. II, p. 368.

Pendant les derniers mois de 1790, il prêcha encore continuellement à Londres et dans les environs, malgré sa faiblesse croissante ; après ses services publics, il réunissait en particulier ses sociétés et leur adressait ses derniers conseils, les exhortant « à s’aimer fraternellement, à craindre Dieu et à honorer le roi ; » puis, au moment de se séparer, il entonnait son hymne de prédilection. Voici le témoignage précieux de James Rogers, l’un de ses prédicateurs qui, avec sa sainte femme Esther-Anne Rogers, vécut auprès de Wesley, dans le presbytère de City-Road, pendant ces derniers mois de sa vie :

« Sa prédication, pendant tout l’hiver, fut accompagnée d’une onction peu commune ; il parlait fréquemment, dans ses sermons et dans ses exhortations, comme si chaque fois était la dernière, et il demandait souvent à ses auditeurs de recevoir ce qu’il disait comme venant d’un mourant. Sa conversation aussi, dans sa famille, semblait indiquer un pressentiment de mort. Il parlait fréquemment de l’état des esprits séparés du corps et de leurs occupations, et, pendant les trois derniers mois de sa vie, il se passait rarement trois soirées de suite sans qu’il fît chanter dans la famille l’hymne commençant ainsi : Shrinking from the cold hand of Death (Echappant à la froide main de la mort). »

Les lettres écrites par Wesley à ses prédicateurs et à ses amis pendant les derniers mois de sa vie montrent qu’il conserva jusqu’au bout la plus étonnante activité d’esprit, et qu’il garda fermement jusqu’à sa mort les rênes du gouvernement de ses sociétés. Ses lettres à ses collaborateurs sont particulièrement intéressantes ; il les désigne par leur petit nom et leur parle avec la familiarité et l’affection d’un père. Il prend un vif intérêt à leur, santé, à leur famille et à leur œuvre. Il leur adresse de constants appels au dévouement et au zèle. « Si nous n’y prenons pas garde, écrit-il à l’un, nous dégénérerons en efféminés. Soldats de Christ, debouti ! » — « Donnez-moi, écrit-il à un autre, cent prédicateurs qui ne craignent que le péché et ne désirent que Dieu, et ils ébranleront les portes de l’enfer et établiront le royaume des cieux sur la terrej. » Il les exhorte à s’occuper des enfants et des écoles du dimanche, à combattre le relâchement spirituel et le faux enthousiasme au sein des sociétés, à élever leur niveau intellectuel, et à leur prêcher la sanctification, « cette doctrine qui est le grand dépôt que Dieu a confié au peuple méthodiste. » Il se réjouit de leurs succès et sympathise avec eux dans leurs difficultés. Il continue à suivre leur œuvre dans ses moindres détails et à embrasser du regard l’ensemble de cet immense champ d’activité où sont dispersés ces vaillants travailleurs. Il correspond avec un missionnaire de la Nouvelle Écosse pour s’informer des progrès du méthodisme dans cette lointaine région, et, un mois avant sa mort, il écrit à un prédicateur des Etats-Unis une belle lettre, dans laquelle il exprime le vœu que les méthodistes américains ne donnent jamais accès à l’idée de se séparer de leurs frères d’Europe. « Ne perdez pas une occasion, leur dit-il, de déclarer à tous les hommes que les méthodistes sont un seul peuple par tout le monde, et que leur détermination arrêtée est de demeurer unis. Que les montagnes se dressent entre nous et que les océans roulent leurs flots sans réussir jamais à nous séparer ! »

i – Tyerman, t. III, p. 601.

jLife of Bramwell.

Sa correspondance avec des femmes est empreinte de cette délicatesse de sentiments et de cette urbanité de formes qu’il eut toujours avec elles. Il donne à la femme de l’un de ses prédicateurs des recommandations détaillées au sujet de la santé de son mari. A une jeune chrétienne, dont l’activité un peu exubérante portait ombrage au prédicateur, il donne des encouragements en même temps que des conseils de prudence. Avec d’autres, ses lettres traitent des questions d’expérience chrétienne.

Dans ses lettres, comme dans les quelques sermons de lui publiés en 1790 et 1791 dans l’Arminian Magazine, on sent la préoccupation constante de l’état et de l’avenir des sociétés. Il y parle avec sévérité de leur décadence ; il ne se console pas de voir tomber en désuétude le jeûne et les prédications quotidiennes de cinq heures du matin ; il proteste contre l’envahissement du luxe et de la mondanité et reproche à certains méthodistes de ne s’être souvenus des deux premières règles qu’il leur donna il y a bien des années que pour oublier la troisième. Ces règles étaient : « Gagnez tout ce que vous pouvez, économisez tout ce que vous pouvez, donnez tout ce que vous pouvezk ! » Mais cette franchise parfois un peu rude du vieux patriarche du Réveil n’excluait pas chez lui un vif sentiment de la grandeur de l’œuvre à laquelle il avait été associé. Il en parle sans jactance, mais avec une profonde gratitude envers Dieu. « Il n’y a jamais eu, écrit-il à un prédicateur de la Nouvelle-Écosse, une aussi grande soif qu’aujourd’hui pour la pure Parole de Dieu. Je n’ai jamais eu d’aussi grands auditoires. C’est ainsi qu’il plaît à Dieu de me donner un peu plus à faire avant de me rappeler à luil. »

k – Deux des derniers sermons écrits par Wesley traitent ce sujet. L’un, le Riche insensé, fut écrit à Balham le 19 février 1790, et l’autre, sur le Danger d’accroître ses richesses, à Bristol, le 21 septembre 1790.

l – Lettre à W. Black, Memoirs of Black, p. 265.

L’énergique vieillard devait mourir debout : il travailla à l’œuvre de sa vie presque jusqu’à son dernier jour. Le jeudi, 17 février, il prêcha à Lambeth, qui était alors un village de la banlieue de Londres. En rentrant chez lui, il se plaignit d’un refroidissement, ce qui ne l’empêcha pas de consacrer sa journée du lendemain à lire et à écrire dans son cabinet et de prêcher le soir à Chelsea sur ce texte significatif : « L’affaire du Roi est pressante » (1Sam.21.8). Sa faiblesse était telle qu’il dut s’interrompre à diverses reprises pour prendre quelques moments de repos.

Le samedi, il continua à s’occuper de son travail ordinaire.

Il se disposait à repartir pour une nouvelle tournée missionnaire, malgré son extrême faiblesse physique, et ce même jour il écrivait à Mme Suzanne Knapp, de Worcester, la lettre suivante :

« Ma chère Suky, comme l’état de ma santé est extrêmement vacillant et s’aggrave, je ne puis pas encore combiner de plans pour mes futurs voyages. Je me propose, il est vrai, si Dieu le permet, de partir pour Bristol le 28 courant ; mais je ne puis pas encore déterminer combien plus loin je serai capable d’aller. Si je suis assez bien, j’espère être à Worcester vers le 22 mars. Vous trouver vous et les vôtres en santé de corps et d’esprit sera un grand plaisir pour

Votre affectionné,

John Wesleym.

m – Tyerman, t. III, p. 649.

Il alla ensuite dîner chez un de ses amis à Islington. Pendant cette visite, il se fit lire quelques chapitres du livre de Job (chap. 4 à 7), admirablement appropriés aux dispositions d’un mourant.

Le dimanche, il se leva à quatre heures du matin, selon l’habitude de toute sa vie ; mais ses forces n’étaient pas à la hauteur de son courage, et il dut renoncer à prêcher.

Les jours suivants, il parut renaître à la vie et put faire quelques visites. Le mardi soir, il prêcha encore à City-Road, et le lendemain soir il put se rendre à Leatherhead et y prêcher sur ce texte qui semble le résumé de la prédication de toute sa vie : « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le tandis qu’il est près. » C’était le mercredi, 23 février 1790, une semaine avant sa mort, et ce fut la dernière prédication de Wesley. « Ce jour-là, dit un historien, sa main mourante déposa la trompette de la vérité qui jamais peut-être encore n’avait rendu sur les lèvres d’aucun homme, depuis les temps apostoliques, un son aussi soutenu et aussi efficacen. »

n – Stevens, t. II, p. 369.

Après ce dernier effort, Wesley retomba dans un état de grande faiblesse ; il ne se fit aucune illusion sur son état, il sentait que les sources de la vie étaient taries chez lui. Dans les intervalles de ses crises d’affaiblissement, il retrouvait toute son activité d’esprit ; il s’entretenait avec ses amis des grands intérêts pour lesquels il avait vécu ; il lisait encore ou se faisait lire des lettres ou des brochures se rapportant à ces sujets qui l’intéressaient toujours. Quatre jours avant sa mort, retrouvant son énergie, il traça encore quelques lignes à l’adresse de Wilberforce, pour l’encourager dans la lutte qu’il poursuivait alors contre la traite des noirs. Wesley avait, depuis longtemps, pris parti dans cette grande querelle ; et, sur son lit de mort, il reprenait une dernière fois la plume pour protester contre une grande iniquité sociale. Voici cette éloquente lettre, écrite du bord de la tombe, et qui dut être un précieux encouragement pour Wilberforce.

« Londres, 26 février 1791.      

Cher monsieur, — A moins que la puissance divine ne vous ait préparé pour être comme Athanasius contra mundum, je ne vois pas comment vous pourrez aller jusqu’au bout dans votre glorieuse entreprise, en combattant cette exécrable infamie, qui est un scandale pour la religion, pour l’Angleterre et pour la nature humaine. A moins que Dieu ne vous ait préparé pour cette œuvre-là, vous serez usé par l’opposition des hommes et des démons. Mais, si Dieu est pour vous, qui sera contre vous ? Sont-ils tous ensemble plus forts que Dieu ? Oh ! ne vous lassez pas en faisant le bien ! Allez, au nom de Dieu et dans le pouvoir de sa force, jusqu’à ce que l’esclavage américain lui-même (le plus vil sous le soleil) s’évanouisse devant lui.

En lisant ce matin un traité écrit par un pauvre Africain, j’étais particulièrement frappé de cette circonstance qu’un homme qui a la peau noire, s’il est maltraité ou outragé par un blanc, ne peut pas se faire rendre justice, grâce à la loi de toutes nos colonies, d’après laquelle le serment d’un noir contre un blanc est de nulle valeur. Quelle infamie !

Que celui qui vous a guidé dès votre jeunesse puisse continuer à vous fortifier en ceci et en toutes choses ! C’est la prière, cher monsieur, de

Votre affectionné serviteur,

John Wesleyo.

oWilberforce’s Life, t. I, p. 297. Moore, Life of Wesley, t. II, p. 437.

Le lendemain du jour où Wesley écrivit cette lettre si remarquable était un dimanche, le dernier qu’il passa ici-bas. Incapable de se transporter au milieu des fidèles, il en reçut un grand nombre dans sa chambre. Se sentant plus dispos que les jours précédents, il voulut se lever, et, lorsqu’on l’eut assis, il se mit à réciter avec son entrain habituel un cantique composé par son frère et dont le thème est ce passage des Psaumes : « Ne me rejette point dans le temps de ma vieillesse ; ne m’abandonne point maintenant que ma force est défaillie. » A peine eut-il fini que, continuant la pensée du cantique, il répéta, comme se parlant à lui-même, la parole du Seigneur : « Lazare notre ami dort. » Désormais, il comprenait que la mort approchait, et toutes ses pensées se concentraient sur ce grand sujet. Forcé de se remettre au lit, il demanda aux personnes présentes de prier avec lui, et il accompagna chacune de leurs demandes d’un amen fervent. Après un moment, il s’écria : « Je ne puis rien dire aujourd’hui de plus que ce que je disais à Bristol :

Je suis le plus grand des pécheurs !
Mais Jésus mourut pour moi ! »

Il faisait allusion à la grave maladie qu’il avait eue, huit ans auparavant, à Bristol.

« Jésus est tout ! Jésus est tout ! » disait-il à ses amis qui l’entouraient. Puis, un peu plus tard, il leur disait : « Oh ! qu’il est nécessaire que tous bâtissent sur ce bon fondement :

Je suis le plus grand des pécheurs !
Mais Jésus mourut pour moi ! »

Pendant la journée du lundi, il fut presque constamment assoupi, mais les quelques paroles qu’il échangea avec ses visiteurs portaient toutes sur les grands intérêts de l’âme. On l’entendit prononcer à demi-voix ces paroles, résumé de la prédication de toute sa vie : « Il n’y a point d’autre chemin pour entrer dans le lieu très saint que le sang de Jésus. » Puis il répéta trois ou quatre fois en quelques heures ces mots : « Nous avons la liberté d’entrer dans le lieu très saint par le sang de Jésus. »

Dans la vie de Wesley comme dans celle de Luther, le chant et la musique ont joué un rôle important. Ses derniers jours furent adoucis par le chant de ces hymnes dont son frère et lui avaient doté la littérature religieuse de leur pays. Bien que sa voix fût cassée par l’âge et par la faiblesse, il commença la journée du mardi, veille de sa mort, par le chant de deux strophes d’un cantique de son frère. Et le soir encore, malgré son extrême affaiblissement, il étonna ses amis en chantant un autre cantique dont les paroles exprimaient les espérances qui remplissaient son âme.

Nulle pensée de doute ne paraît être venue troubler les dernières heures de ce grand serviteur de Dieu. Toutes ses paroles exprimaient la sérénité la plus parfaite, la confiance la plus paisible. Voulant laisser un souvenir à ses amis, il demanda une plume et du papier ; mais il avait trop compté sur ses forces. Une amie lui demanda, en prenant elle-même la plume, ce qu’il désirait écrire : « Rien que ceci, répondit le mourant : Dieu est avec nous ! » Dans la soirée, il rassembla ses forces épuisées pour dire quelques mots, mais il ne put achever sa phrase : « La nature est… la nature est… » — … — bientôt épuisée, continua un ami en achevant sa pensée ; mais vous allez revêtir une nouvelle nature et entrer dans la société des esprits bienheureux. — Certainement ! » s’écria-t-il ; puis, frappant ses mains l’une contre l’autre, il prononça le nom du Sauveur, et ses lèvres remuèrent longtemps, comme par une prière intense.

Il demanda encore à être placé dans son fauteuil, mais un moment on put craindre que cet effort n’eût précipité la dernière crise. On l’entendit bientôt dire d’une voix faible : « Seigneur, tu donnes la force à ceux qui parlent et à ceux qui ne peuvent plus parler. Parle, Seigneur, à tous nos cœurs ; qu’ils sachent que c’est toi qui nous donnes une langue pour parler ! » Puis il chanta d’une voix mourante deux vers d’une doxologie, mais la voix lui manqua, et il ne put achever. « Nous avons fini ; séparons-nous, » murmura-t-il à demi-voix, se croyant sans doute au milieu d’une assemblée, au moment où il la congédiait.

On le replaça sur son lit, d’où il ne devait plus se lever. Après un court assoupissement, il réclama la prière. Tous tombèrent à genoux, et, dit l’un des assistants, « la chambre parut remplie de la présence divine. » Il put encore donner quelques directions au sujet de son ensevelissement, puis il demanda de nouveau la prière, et plusieurs personnes élevèrent la voix pour recommander à Dieu l’agonisant. L’un de ses prédicateurs, Broadbent, qui devait ne pas tarder à le suivre au tombeau, demanda avec une onction toute particulière qu’une fois Wesley parti il plût au Seigneur de continuer à répandre sa bénédiction sur les doctrines et la discipline qu’il avait eu pour mission de propager. Le moribond, qui s’était associé à toutes ces requêtes, parut à ce moment réunir toute son énergie pour accompagner cette prière d’un amen fervent. A cette heure suprême, son œuvre lui apparaissait ce qu’elle avait été en réalité, non une œuvre de désunion inspirée par l’esprit de parti, mais une œuvre désintéressée, n’ayant pour but que la gloire de Dieu et le salut des âmes. Lorsque les personnes présentes se relevèrent, il prit congé d’elles toutes, en leur serrant la main et en leur disant adieu.

Wesley essaya encore d’adresser quelques paroles à un ami qui venait d’entrer, mais, voyant qu’il ne le pourrait pas, il rassembla ses forces et s’écria : « Ce qui vaut le mieux, c’est que Dieu est avec nous ! » Et à ce moment, dit un témoin oculaire, il éleva ses bras amaigris, et d’une voix mourante, mais dans laquelle vibraient les accents du triomphe et dont il est impossible de rendre l’expression, il répéta : « Ce qui vaut le mieux, c’est que Dieu est avec nousp ! aux amis qui entouraient son lit. il dit encore : « C’est le Seigneur qui l’a fait, et c’est une chose merveilleuse devant nos yeux. » Il dit à la veuve de son frère Charles, en faisant allusion à leur mort à tous deux : « C’est Lui qui donne du repos à ses serviteurs ! » Plus tard, il dit encore en mots entrecoupés : « Il permet à ses serviteurs de se reposer en paix… L’Éternel est avec nous, le Dieu de Jacob est notre refuge ! » Il réclama les prières de ses amis, et lui-même éleva la voix en leur faveur et en faveur de l’Église et du roi.

p – « The best of all is, God is with us ! » Cette phrase a été gravée, comme devise. sur le sceau de la Société des Missions wesleyennes.

La nuit se passa tout entière ainsi. Quoique épuisé, il essayait encore d’exprimer sa confiance et son espérance, et tenta même de réciter un cantique de Watts qui exprime magnifiquement les certitudes de la foi en présence de la mort ; mais ses forces le trahissaient, et il ne put que commencer cette citation.

Le mercredi matin arriva. Au pied du lit priaient Joseph Bradford, le compagnon fidèle de ses dernières années, et plusieurs autres amis. « Adieu, » soupira le moribond ; ce fut sa dernière parole, et, pendant que plusieurs de ses prédicateurs et de ses enfants en la foi priaient pour lui, son âme se dégagea sans effort et sans lutte des étreintes de la matière et s’envola vers Dieu. C’était le 2 mars 1791, à dix heures moins quelques minutes du matin.

Mme Rogers, présente à ses derniers moments, en parle ainsi : « La solennité de la mort de cet homme si grand et si bon demeurera, je le crois, à toujours gravée dans mon cœur. La nuée de la présence divine semblait reposer sur nous tous ; et, au moment où l’on pouvait à peine l’appeler encore un habitant de la terre, alors qu’il était sans voix et l’œil fixe, la gloire et le triomphe rayonnaient sur sa physionomie et agitaient ses lèvres mourantes. Aucun langage ne saurait dire l’expression que portait cette figure. En la contemplant, il nous semblait déjà contempler les réalités inénarrables du ciel. »

Wesley avait demandé qu’il n’y eût à ses funérailles d’autres pompes que les larmes de ses amis. Ses dernières volontés furent fidèlement exécutées, et, bien que, pour éviter un trop grand encombrement, on eût décidé de célébrer ses funérailles de grand matin, une foule émue voulut lui rendre les derniers devoirs. Lorsque le ministre qui présidait le service funèbre en vint à ces paroles de la liturgie : « Il a plu au Dieu tout-puissant de retirer à lui l’âme de notre frère, » il substitua le mot père au mot frère. L’intention de ce changement fut si bien comprise par l’assemblée, aux sentiments de laquelle elle répondait parfaitement, que les larmes silencieuses firent place aux sanglots et aux gémissements, et, pendant quelques moments, la voix d’un peuple en détresse couvrit celle de l’officiant.

Les restes de Wesley furent déposés dans un caveau qu’il avait fait préparer dans le cimetière qui avoisine la chapelle de City-Road. C’est encore là qu’ils reposent, en attendant la résurrection des justes.

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