John Wesley, sa vie et son œuvre

4.6 Caractère de Wesley. L’homme. Le prédicateur. L’organisateur. L’écrivain

L’homme. — Jugement de M. de Rémusat. — L’homme et le chrétien. — La piété fait l’unité de son caractère et de sa vie. — Renoncement. — Courage. — Puissance de travail. — Emploi diligent du temps. — Générosité. — Largeur d’esprit. — Piété pure d’ascétisme. — Gaieté. — Ses défauts vrais ou prétendus : Irritabilité, crédulité, ambition.
Le prédicateur. — Le fond : l’Évangile. — La forme : improvisation ; Wesley en chaire ; longueur de ses sermons ; autorité ; clarté ; logique ; appels à la conscience. — Résultats produits. — Wesley et Whitefield. — La race anglo-saxonne.
L’organisateur. — Opinions de Buckle, Macaulay, Lecky.
L’écrivain. — Simplicité voulue. — Son style. — Portée philosophique de son esprit. — Littérature populaire. — Traités. — Publications poétiques. — Sermons. — Notes sur la Bible. — Livres, d’école. — Ecrits sur les questions politiques et sociales. — Ecrits polémiques. — Ouvrages abrégés. — Le journal de Wesley. — Ensemble du caractère.

« John Wesley, a dit M. Charles de Rémusat, est assurément un des plus parfaits modèles de la sainteté dans la vie active, c’est-à-dire de la sainteté véritable, de l’idéal religieux de l’humanité ; mais il nous sied mieux de considérer en lui l’homme de la nature que l’homme de la grâce, et de lui reconnaître un ensemble de grandes qualités dont il faudrait presque, pour trouver l’analogue, remonter aux temps apostoliques. Luther, avec plus de génie, plus d’imagination, plus d’audace, plus de ces dons qui enlèvent les hommes, est moins pur, moins simple, moins dévoué, disons tout, moins irréprochable. Le modèle immortel des Luther et des Wesley, Paul de Tarse, supérieur à tous, s’élève plus haut parmi les grands hommes ; mais qui sait si son énergie et sa véhémence toutes puissantes n’auraient pas à envier quelque chose de la douceur et de la patience de ses humbles imitateursa ? »

a – Art. sur John Wesley et le Méthodisme, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 janvier 1870. Cette étude a été ensuite publiée à part. Paris, 1870.

L’éminent écrivain que nous venons de citer reconnaît en des termes que les plus fervents admirateurs de Wesley n’auraient pas osé employer, que sa grandeur relève surtout de cet « ordre de charité » dont parle Pascalb. Si bien doué qu’ait été l’homme de la nature, c’est l’homme de la grâce qu’il faut étudier, si l’on veut se placer au centre d’où tout rayonne et où tout aboutit dans ce caractère et dans cette carrière. Chez Wesley en effet le chrétien est inséparable de l’homme, et la vie extérieure est en harmonie avec la vie intérieure. La crise religieuse qui remplit les années de son austère jeunesse ne changea pas seulement le cours de ses convictions ; elle transforma profondément aussi son caractère et sa vie. Au terme de cette crise, il n’avait pas seulement retrouvé le dogme du salut par la foi ; il avait appris une nouvelle manière d’être et de vivre.

b – M. Matthew Arnold a dit de Wesley : « Il eut le génie de la piété. »

Cette impulsion reçue au commencement de sa carrière continua à agir, sans cesse renouvelée par la piété la plus simple et la plus vivante. La vie pratique, avec ses devoirs multiples et ses travaux immenses, ne parvint pas à tarir ou même à ralentir cette source cachée de vie intérieure ; les années se succédèrent sans dissiper ce parfum de piété. La prière eut une grande place dans la vie de Wesley. « Le secret du contrôle qu’il exerçait sur lui-même comme aussi de la merveilleuse puissance de son ministère, il faut le chercher dans cette heure matinale qu’il consacrait à la prière du cabinet. Le Réveil s’explique parles prières de Wesley comme la Réformation par celles de Lutherc. »

c – Punshon, Wesley et son temps, p. 40.

Cette piété profonde donna à la vie et au caractère de Wesley leur unité véritable. « J’ai reconnu, disait-il, que je suis une créature d’un jour, traversant la vie comme la flèche fend l’air. Je suis un esprit venu de Dieu et qui retourne à Dieu ; voltigeant quelques moments sur l’abîme pour s’engouffrer bientôt dans l’éternitéd. » La vie étant ce qu’elle est, Wesley juge qu’elle n’a de prix que si elle sert à la gloire de Dieu et au salut des hommes, et ce fut là le but unique qu’il assigna à la sienne. Il fut depuis sa conversion et jusqu’à la fin de sa vie, non seulement « l’homme d’un seul livre », comme il s’appelle quelque part, mais l’homme d’une seule idée. Il consacra au service de cette idée toutes les facultés de son âme et toute l’activité de sa vie. Il lui sacrifia les goûts de son esprit cultivé et les inclinations de son cœur aimant, le soin de sa réputation et le repos de sa vie.

dWesley Memorial Volume, New-York, 1880, p. 312.

Un intense amour pour Dieu et pour les hommes peut seul expliquer un esprit de renoncement et de sacrifice tel que celui dont Wesley fut l’un des plus parfaits modèles. Peu d’hommes ont été aussi méprisés, honnis, calomniés que lui. Il a eu à subir, pendant de longues années, les fureurs de la populace, la mauvaise volonté des autorités, les haines jalouses du clergé, les dédains des gens comme il faut, et, ce qui dut lui être plus pénible encore, l’opposition de beaucoup de chrétiens sincères. Il n’était ni insensible ni impassible ; il savait souffrir parce qu’il savait aimer ; mais il demeurait calme au milieu de l’agitation et des accusations parce qu’il se sentait en paix avec sa conscience et approuvé de Dieu.

Son courage avait quelque chose de celui du soldat qui va au feu ou qui monte à l’assaut. Nous en avons rencontré de nombreux exemples dans sa vie, mais il est bon de remarquer ici que cette intrépidité est toujours celle du chrétien qui pardonne les injures, bénit ceux qui le maudissent et prie pour ceux qui le persécutent. S’il sait faire face à l’émeute et subjuguer par l’autorité de sa parole et la fermeté de son attitude les malintentionnés, il sait aussi désarmer par sa patience et sa mansuétude ceux que son courage n’a pas fait reculer.

La puissance de travail de Wesley est l’un des traits les plus frappants de son caractère. On trouverait difficilement une vie d’homme aussi remplie que la sienne. On a calculé que, pendant les cinquante années de son ministère, il parcourut près de cent mille lieues et prêcha quarante mille sermons. Qu’on ajoute à l’immense labeur qu’indiquent ces chiffres, une correspondance étendue, d’innombrables visites pastorales, la publication de deux cents ouvrages composés ou abrégés par lui, la gestion des intérêts de toute nature d’une société qui comptait à sa mort plus de soixante-dix mille membres dans la Grande-Bretagne, et l’on se demandera comment il pouvait trouver le temps de tout faire. Et encore faudrait-il ajouter à cette énumération bien d’autres traits pour la compléter. Cet homme si occupé savait trouver du temps pour relire fréquemment ses auteurs classiques, pour visiter un beau site ou un monument remarquable ; de loin en loin même, pour écouter un oratorio de Hændel ou de Haydn. Il s’occupait des affaires publiques et entretenait des relations avec Howard le philanthrope, Samuel Johnson le littérateur et d’autres hommes distingués de son temps. Et les choses qu’il faisait, il avait l’habitude de les bien faire ; il unissait à la faculté de dresser de vastes plans celle d’en suivre l’exécution dans leurs moindres détails ; rien n’échappait à son attention, parce qu’il connaissait l’importance des petites choses. Ce fut par l’emploi diligent du temps qu’il réussit à venir à bout de tant de travaux. Une fois que sa voiture le fit attendre, on l’entendit s’écrier avec vivacité : « Voilà dix minutes perdues pour jamais ! » Un ami lui disait un jour : « Vous n’avez pas besoin de vous presser. » — « Je n’ai pas le temps d’être pressé, » répondit-il. Toujours levé avant le jour, il avait déjà beaucoup fait quand la plupart des hommes commencent leur journée ; il était avare de ses minutes comme d’autres ne le sont pas de leurs heures, et thésaurisait son temps comme un avare son or. Par une distribution méthodique de son temps, il mettait chaque chose à sa place et avait toujours une occupation prête pour les loisirs imprévus. Un jour il fut retenu dans le pays de Galles par la marée qui recouvrait les sables par lesquels passait son chemin. « Je m’assis, dit-il, dans un cottage et je traduisis la logique d’Aldridge. »

Econome de son temps, il l’était aussi de son argent, mais il l’était pour les pauvres et non pour lui-même. Lorsqu’il consentit à accepter un salaire de la part de la société de Londres, il le fixa lui-même à la modique somme de 30 livres sterling. A cela, il est vrai, venait s’ajouter le produit souvent considérable de ses ouvrages. Il prélevait sur ses revenus de quoi suffire à ses modestes besoins et donnait tout le reste. Son ami, le Dr Whitehead, qui eut en main tous ses comptes, évalue de 20 000 à 30 000 livres sterling la somme totale de ses dons pendant cinquante ans. Un autre de ses amis, Henry Moore, croit cette évaluation inférieure à la réalité. Dans telle année, d’après Bradburn, il distribua en charités jusqu’à 1400 livres. Comme il l’avait annoncé, il mourut pauvre, ne laissant après lui, comme on l’a dit avec esprit, « qu’une bonne bibliothèque, une vieille robe de pasteur fort usée, une réputation fort maltraitée… et l’Église méthodiste. »

La piété de Wesley n’était ni étroite ni intolérante. S’il lui arriva quelquefois de se laisser entraîner par l’ardeur de la lutte, il racheta ces vivacités d’un moment par la largeur des idées et des sentiments de toute sa vie. Son amitié pour Whitefield subsista, nous l’avons vu, en dépit des controverses dogmatiques qui existèrent entre eux. Qu’on lise son beau sermon sur l’Esprit catholique, et l’on verra que Wesley est digne de figurer parmi les précurseurs de l’Alliance évangélique. Son cœur était si large, qu’il refusait de renfermer ses sympathies dans les limites d’une Église ou d’un parti. Partout où il retrouvait l’esprit chrétien, il s’inclinait devant lui, quel que fût d’ailleurs l’alliage d’erreurs et de faiblesses qui s’y mêlât. Son libéralisme était si grand qu’il le porta à éditer, à l’usage de ses sociétés, certains écrits sortis de la plume d’écrivains catholiques. Il publia aussi, soit dans les pages de son Magazine, soit à part, des notices biographiques sur des catholiques éminents par leur piété, tels que Mme Guyon, le marquis de Renty, l’Espagnol Grégoire Lopez et d’autres. Il publia également une vie de Thomas Firmin, un unitaire, et n’hésita pas à admirer sa piété, malgré ses vues erronées. Il ne mettait pas en doute que l’empereur Antonin ne fût du nombre de ceux qui « viendront d’Orient et d’Occident et seront assis dans le royaume des deux ». Cette largeur de vues, souvent mal interprétée par les chrétiens de son temps, était l’une des règles de conduite auxquelles il tenait le plus. La seule limite qu’il imposait à la liberté d’opinion dans ses sociétés était le respect mutuel que se devaient leurs membres. Voici en quels termes spirituels il expliquait son sentiment à cet égard : « Je n’ai pas plus le droit d’objecter à ce qu’un homme ait une opinion différente de la mienne que je n’ai le droit de me séparer d’un homme parce qu’il porte une perruque tandis que je n’en porte point. Mais si, par hasard, il arrache sa perruque et se met à m’en secouer la poudre dans les yeux, je considérerai comme mon devoir de me séparer de lui le plus tôt possible. »

La piété de Wesley, si fervente et si éprise de sainteté, était pure de fanatisme et ne ressemblait en rien à celle d’un ascète. Méthodique et disciplinée, elle n’avait rien de commun avec le formalisme mécanique pas plus qu’avec l’ascétisme morose. Elle se manifestait au dehors par une sérénité parfaite et une aimable gaieté, qui faisait rechercher sa compagnie par des hommes qui étaient séparés de lui par la position sociale aussi bien que par les idées. Sa conversation alimentée par une culture intellectuelle variée était goûtée par des hommes fort distingués, et Samuel Johnson, après avoir joui de sa compagnie pendant deux heures, disait : « Il parle si bien que je passerais volontiers la nuit à causer avec lui. »

[Wesley lui ayant fait part de la satisfaction avec laquelle il avait lu son écrit sur la question américaine, Johnson lui répondit : « Je vous remercie pour le suffrage si important que vous donnez à mes vues. Une adhésion me venant d’un esprit aussi éminent que le vôtre ne peut que me confirmer dans mes convictions. Quel que soit l’accueil que me réserve le public, je n’ai plus lieu de me décourager. Il avait raison l’orateur qui, se voyant abandonné de ses auditeurs, refusait cependant de quitter la tribune, tant que Platon demeurait présent.]

Mais il n’était pas moins à l’aise au milieu des pauvres gens des campagnes dont il était l’hôte habituel et auxquels, par sa simplicité cordiale, il faisait oublier la distance que l’éducation mettait entre eux et lui.

Wesley était gai, humoristique, abondant en anecdotes ; « ses saillies d’innocente gaieté, dit Alexandre Knox, faisaient les délices des jeunes gens ». L’un de ses prédicateurs, qui avait le tempérament hypocondre, lui disait un jour : « Il y a deux ou trois personnes qui me tentent à la légèreté, et vous êtes l’une d’elles, monsieur, avec vos traits d’esprit. » On cite un assez grand nombre de ces traits, et le journal de Wesley nous en offre de curieux exemples, qui nous le présentent sous un jour aimable. Mais, ainsi que le dit Punshon, « ces saillies qui éclatent sur le limpide horizon de la vie de Wesley ressemblent à ces éclairs de l’été qui ne blessent personne et que l’on voit quand les travaux du jour sont finise. »

eWesley et son temps, p. 46.

Le caractère de Wesley ne fut pas sans défauts, mais on peut dire qu’il eut surtout les défauts de ses qualités. Il était trop vif et trop actif pour n’être pas quelquefois irritable et impatient ; mais il mettait à réparer ses vivacités une humilité touchante. On a souvent raconté sa conduite à l’égard de son compagnon de voyage Joseph Bradford, qui lui avait refusé un service. « Soit ! lui dit-il, nous nous séparerons ! » Lorsqu’ils se revirent le lendemain matin, Wesley demanda à son ami : « Eh bien ! nous séparons-nous ? — Comme vous voudrez ! répondit sèchement Bradford. — Voyons, continua Wesley, ne voulez-vous pas me demander pardon ? — Non, monsieur. — Vous ne le voulez décidément pas ? — Non, monsieur. — Eh bien ! moi, je vous demande pardon, » s’écria le noble vieillard. Bradford fut vaincu, il fondit en larmes, et tout fut oublié.

On a reproché à Wesley de la crédulité et un goût prononcé pour le merveilleux. Nous n’essaierons pas de l’en disculper. Il est certain qu’il admettait avec une grande facilité des récits extraordinaires et invraisemblables et qu’avant de les enregistrer dans ses écrits, il ne les soumettait pas au contrôle d’une enquête rigoureuse. Ce travers d’esprit ou d’imagination tenait à l’intensité même de sa foi aux réalités spirituelles et au monde invisible. C’était une réaction exagérée contre le scepticisme d’une partie de ses contemporains, et cette réaction entraînait alors beaucoup de bons espritsf.

f – L’encyclopédique Samuel Johnson croyait aux apparitions et aux revenants. La loi anglaise poursuivait encore le crime de sorcellerie, et il y eut des sorciers condamnés au bûcher en Écosse pendant le xviiie siècle.

Southey, et d’autres après lui, ont fait à l’ambition une place importante parmi les mobiles dominants de la vie de Wesley. Si par ambition l’on entend le vulgaire besoin de s’élever au-dessus des autres hommes, de faire du bruit autour de son nom, d’être chef de parti, toute la vie de Wesley proteste contre cette imputation. Étrange et rare ambition, en vérité, que celle qui l’eût porté à renoncer aux avantages les plus positifs et à contrarier ses goûts les plus vifs pour se faire le missionnaire d’une populace grossière et indisciplinée ! Attendre d’elle la célébrité, c’eût été écrire son nom sur le sable mouvant afin de le transmettre à la postérité. Si l’ambition consiste à aimer le pouvoir pour lui-même, pour la popularité qu’il apporte et pour les avantages qu’il procure, Wesley ne fut pas ambitieux. Mais il le fut, si l’on entend par ambition le pouvoir aimé à cause des facilités qu’il donne pour faire le bien et pour propager la vérité. « Il eut, dit un homme distingué qui fut l’un de ses contemporains, il eut une ambition dont le christianisme n’a pas à rougir et que la vertu est fière d’avouer ; non cette ambition qui cherche sa gratification dans les splendeurs et la richesse, mais celle qui commande aux cœurs et aux affections, aux hommages et à la gratitude de milliers d’hommesg. » Sa maîtresse passion fut bien l’ambition, mais l’ambition sainte de faire du bien à ses semblables pour l’amour de Dieu.

g – John Nichols, Gentleman’s Magazine, Mars 1791.

Si, dans sa Vie de Wesley, le Dr Southey lui attribua des visées ambitieuses, il est juste de dire qu’un examen plus approfondi l’amena à modifier son jugement. Dans une lettre dont le fac-simile est annexé à l’Histoire du Méthodisme du Dr George Smith, il reconnut honorablement son erreur. « M. Alexandre Knox, dit-il, m’a convaincu que je m’étais trompé en attribuant à l’ambition une grande place parmi les mobiles de M. Wesley. Le docteur s’engageait ensuite à corriger son livre dans ce sens. Malheureusement la mort l’en empêcha.

Les écrivains de toutes les tendances ecclésiastiques sont aujourd’hui d’accord sur ce point. Le Dr Stoughton, l’éminent historien non-conformiste, dit, dans l’ouvrage que nous avons souvent cité : « La théorie d’après laquelle Wesley se serait déterminé par le dessein ambitieux de se faire chef de secte est aujourd’hui reconnue fausse. » M. Overton, l’historien distingua de l’Église anglicane au xviiie siècle, dit de son côté : « La postérité a pleinement absous Wesley de l’accusation d’avoir agi sous l’impulsion d’une vulgaire ambition et du désir d’être chef de parti. Elle a enfin reconnu que si jamais un pauvre et fragile être humain fut poussé par des motifs purs et dévoués, cet homme fut John Wesley. » (English Church in the Eighteenth Century.) Le savant historien de l’Angleterre au xviiie siècle, placé en dehors de toute préoccupation d’Église, M. Lecky, dit à son tour : « Rien ne serait plus injuste que d’attribuer à Wesley l’ambition d’un schismatique ou les instincts subversifs d’un révolutionnaire » (England in the Eighteenth Century.)

Les grandes qualités de Wesley ne se déployèrent nulle part avec plus d’éclat que dans sa prédication ; sa puissance résida surtout dans sa parole. Après avoir étudié l’homme, il convient donc d’étudier le prédicateur. Etude difficile, puisqu’il est certain que ses sermons écrits ne nous donnent pas la mesure de son talent de prédicateur ; ce sont en général des études de quelque sujet de doctrine ou de morale destinées, sauf de rares exceptions, à être lues et non prêchées.

Le fond de la prédication de Wesley, c’est l’Évangile, la bonne nouvelle de la grâce offerte de la part de Dieu à tous les pécheurs qui se repentent et qui croient. C’est l’enseignement de saint Paul et de la Réformation, dont les chaires anglicanes avaient presque complètement perdu la tradition. En la reprenant, Wesley put passer pour un novateur, alors qu’il faisait œuvre de conservation ; ce n’était pas sa faute si l’Évangile des apôtres et des réformateurs, lorsqu’il se mit à le prêcher, fit l’effet d’une nouveauté. En sortant des chaires officielles, il ne changea pas le thème de sa prédication ; sur la borne de la place publique, dans les pauvres cottages des paysans, ou dans les modestes chapelles méthodistes, il continua à prêcher ces vérités dont il avait goûté pour lui-même la puissance. Ce serait se tromper absolument que de se représenter ses sermons comme des harangues véhémentes composées surtout d’appels au sentiment. Ils avaient au contraire le caractère d’un enseignement dogmatique ou moral, et leur succès fait honneur au peuple anglais qui, non seulement supporta cette forte nourriture, mais y prit goût.

La forme de la prédication de Wesley était nécessairement improvisée ; comment en eût-il été autrement pour un homme qui prêcha pendant plus d’un demi-siècle à raison de quinze fois environ par semaine ? Ses textes, surtout dans la dernière partie de sa vie, il les trouvait en général dans la lecture indiquée pour la journée par la liturgie anglicane. Sa préparation, il la faisait dans cette heure matinale qu’il consacrait au recueillement ou dans ses longues courses à cheval en se rendant à ses lieux de prédication. Il possédait d’ailleurs un fonds inépuisable de faits et d’idées amassés dans son esprit et thésaurisés dans sa mémoire tant par les fortes études de sa jeunesse que comme fruit de ses immenses lectures et de sa pratique des hommes et des affaires. En un temps où la lecture des sermons était universelle en Angleterre, ce fut un coup d’éclat, presque une révolution que cette soudaine apparition de la prédication improvisée, et il y a lieu de croire que cette question de forme fut pour quelque chose dans l’opposition qui accueillit les jeunes réformateurs. Mais cette question de forme était pour le Réveil une question de vie ou de mort ; en s’enfermant dans le sermon manuscrit, il se serait lui-même emprisonné dans un linceul et condamné à l’impuissance.

Dans une lettre adressée à Charles Wesley, mais qui se rapporte également à John, leur frère aîné Samuel, anglican de la haute Église, protestait en termes violents contre leurs sermons improvisés : « Il y a parmi vous une apparence vraiment monstrueuse de malhonnêteté. Vos sermons en chaire durent trois quarts d’heure ou une heure, et tiennent sur un tout petit morceau de papier. Ce sont des notes plutôt que des sermons. » (Lettre du 1er décembre 1738).

L’attitude de Wesley en chaire nous est décrite par l’un de ses auditeurs comme « gracieuse et aisée ; son action était calme et naturelle, mais agréable et expressive ; sa voix n’était pas forte, mais claire et virile ; son style était pur, simple, transparent et admirablement adapté aux capacités de ses auditeursh. » Il avait en horreur la déclamation et le charlatanisme, et il n’y en avait pas trace dans sa manière de prêcher. Les mots et les tournures qu’il employait étaient, non les plus sonores ou les plus harmonieux, mais ceux qui rendaient le mieux sa pensée et qui pouvaient en même temps être le mieux compris. Walter Scott, qui l’entendit plusieurs fois pendant son enfance dans le cimetière de Kelso, en Écosse, avait gardé un vif souvenir de ces sermons que son intelligence d’enfant pouvait suivre et dont le sérieux était relevé par « plusieurs excellentes histoires », mais il ajoute que d’autres trouvaient son style trop familieri.

h – Hampson, Life of Wesley. Cité dans le Wesley Mémorial Volume, p. 578.

i – Lettre à Southey, datée d’Abbotsford, l avril 1819, citée dans les Memoirs of sir Walter Scott, par J. C. Lockhart.

Les sermons de Wesley étaient quelquefois longs ; on trouve dans son journal des exemples de prédications de deux heures et de services se prolongeant pendant trois heures d’horlogej. Il en est quitte pour nous dire qu’« il ne sait comment le temps passa si vite ». Mais ce sont là des exceptions ; il prêchait trop souvent pour que la brièveté ne fût pas sa règle. D’ailleurs, longs ou courts, ses sermons étaient toujours intéressants. Ce n’était pas un orateur ordinaire que celui qui pouvait garder attentif un auditoire populaire de plusieurs milliers de personnes réunies en plein air, pendant une, deux et parfois trois heures entières.

jJournal de Wesley,7 octobre 1739, 19 octobre 1739, 13 juin 1742, 24 mai 1745, 14 mai 1749.

L’originalité de cette prédication nous semble résider surtout dans sa parfaite franchise ; de Wesley on peut dire aussi « qu’il parle avec autorité ». Il ne flatte pas son auditoire ; il ignore l’art de voiler sa pensée pour la rendre plus acceptable. Sa parole brève court à son but, disant ce qu’elle veut dire. On a vu par des traits nombreux quels effets presque magiques produisait sur le peuple cette parole incisive. Cette puissance s’exerçait mieux encore peut-être sur les individus pris isolément. Quand le regard du prédicateur s’attachait sur l’un de ses auditeurs, il était bien rare que ce cœur ne se fondît pas. Tel qui entrait dans une de ses assemblées, le chapeau sur la tête et tout disposé à le narguer, changeait bientôt de contenance et pâlissait sous l’ardeur de ce regard qui semblait sonder jusqu’au fond de son âme. Il ne faudrait pas croire cependant que cet ascendant de Wesley sur les masses ressemblât en quoi que ce soit à de la morgue ou à de la hauteur. Son autorité toute morale était plus encore le résultat de sa foi que de son caractère.

A un autre point de vue encore, Wesley était admirablement doué pour être un prédicateur populaire. Il avait dans l’esprit les qualités que le peuple estime au plus haut point, la clarté et la finesse. Nul mieux que lui ne savait rendre accessibles aux plus simples les vérités les plus hautes. Nul mieux que lui ne savait trouver au besoin une répartie spirituelle ou un mot heureux, et bien souvent là où une longue harangue eût échoué, le trait d’esprit pénétrait comme une flèche acérée.

Cette clarté de la prédication de Wesley tient à son esprit essentiellement logique. Il parle, non tant pour émouvoir que pour persuader et convaincre. Les sujets qu’il traite, il les aborde de face, il les discute avec une entière franchise, il les expose avec une admirable lucidité, et l’auditeur, fût-il sans culture, ne peut qu’être intéressé par une argumentation qu’il comprend sans beaucoup d’effort. Une telle prédication devait singulièrement développer ceux qui en étaient les auditeurs ordinaires. Elle indiquait chez Wesley le respect du peuple, qu’il n’essayait pas d’amuser par des phrases, mais de convaincre par des raisons.

L’argumentation chez lui est sans cesse animée et réchauffée par ces appels à la conscience et au cœur. S’il cherche à prouver, c’est afin de se frayer la voie jusqu’au foyer de la vie morale. Il n’explique que pour appliquer, et les péroraisons de ses sermons sont souvent d’une puissance extraordinaire. Certains morceaux de ses sermons imprimés et de son premier « Appel aux hommes raisonnables », peuvent nous donner quelque idée de la nature de cette éloquence toujours maîtresse d’elle-même, mais directe, pressante et agressive.

Ce qui peut mieux encore la faire connaître, ce sont tant d’incidents du long apostolat de Wesley. Qu’on se le rappelle à Bolton, au milieu d’une populace fanatisée, montant sur une chaise et ramenant en quelques paroles le calme dans les esprits. « Les vents étaient apaisés, dit-il, je me sentais le cœur plein d’amour, les yeux pleins de larmes et la bouche pleine d’arguments. Mes auditeurs furent étonnés, puis confus, puis attendris. » Qu’on se rappelle ces scènes des premiers temps de son ministère surtout : « Une éloquence austère et animée, qui ne ménageait aucune des faiblesses de ceux qu’elle voulait gagner, qui ne savait que maudire le péché et effrayer la conscience, troublait d’une émotion profonde des multitudes insensibles jusque-là à tout ce qui n’était pas la vie de la chair. Des pleurs, des sanglots, des cris de douleur couvraient par moments la voix de l’orateur. Des pécheurs, saisis d’épouvante ou ravis d’enthousiasme, tombaient avec des frémissements presque convulsifsk. » Une parole qui, sans être impétueuse, produisait de tels effets, était assurément éloquente.

k – Rémusat, Wesley et le méthodisme, p. 37.

Comme orateur, Wesley était certainement inférieur à Whitefield. Il n’avait ni la véhémence passionnée ni le « don des larmes » qui caractérisaient le talent de son éloquent ami. Et cependant, si la puissance de la parole se mesure aux résultats qu’elle produit, il est certain que celle de Wesley a laissé après elle de plus profondes traces. L’un charmait davantage et l’autre persuadait mieux, et il arriva plus d’une fois que le moins éloquent amena à la conversion des auditeurs que l’autre n’avait qu’effleurés. Ce fut le cas pour John Nelson ; voici comment il décrit l’impression que lui fit la prédication de Wesley. la première fois qu’il l’entendit : « A peine monté sur l’estrade, dit-il, il rejeta en arrière sa longue chevelure, et tourna son visage vers l’endroit où je me trouvais placé ; je crus qu’il attachait son regard sur moi. Ce seul regard me jeta dans une angoisse inexprimable ; avant même qu’il eût ouvert la bouche, je sentis mon cœur battre aussi fort que le balancier d’une horloge, et, à mesure qu’il parlait, chacune de ses paroles me semblait prononcée pour moi. »

En résumé, la prédication de Wesley fut bien ce qu’elle devait être pour réveiller la foi dans les âmes et pour former un peuple chrétien. Son fond fut l’Évangile éternel, et sa forme celle qui devait le mieux lui conserver sa puissance régénératrice et sanctifiante.

Le succès de la prédication de Wesley donne une haute idée du caractère de cette race anglo-saxonne qu’il eut pour mission de relever moralement. Pour qu’une nourriture aussi forte ait pu convenir à ce peuple, il fallait qu’il eût conservé de grands et nobles instincts au fond de son être moral. Qu’on le compare à cet autre peuple qui, à la même époque, se pressait autour des abbés mondains de Versailles, et qu’on se demande où est la vigueur morale. L’un, policé et aimable, ne supporte que l’Évangile du Vicaire savoyard, et touche à la Révolution et à ses sanglantes ruines ; l’autre, encore rude et grossier, écoute la prédication de Wesley et de ses amis, et peu à peu s’élève et grandit.

Wesley fut plus grand encore peut-être comme organisateur que comme prédicateur, et cette grandeur-là, il ne la partagea avec personne dans son siècle. Grâce à l’organisation qu’il donna à son œuvre, il lui assura la durée et la perpétuité. Les historiens sont unanimes à lui reconnaître de puissantes facultés de fondateur et d’administrateur. Buckle, l’historien de la civilisation anglaise, l’appelle « le premier des théologiens hommes d’Etatl ». L’illustre Macaulay dit de lui : « Wesley dirigea une révolution morale des plus remarquables ; son éloquence et sa logique pénétrante auraient pu faire de lui un littérateur éminent ; et son génie pour le gouvernement n’était pas inférieur à celui de Richelieum. »

l – Buckle, History of Civilization in England, t. I.

mEdinburgh Review, 1850.

M. Lecky, l’historien de l’Angleterre au xviiie siècle, dit à son tour : « Peu de tâches étaient plus difficiles que d’organiser, en un corps permanent, des hommes à demi cultivés. Wesley accomplit cette tâche avec un admirable mélange de tact, de fermeté et de douceur ; l’histoire a suffisamment justifié l’habileté avec laquelle il forma l’organisation du méthodismen. »

n – Lecky, Hist. of Engl. in the Eighteenth Century, t. II, p. 628.

Wesley agit sur ses contemporains par la plume aussi bien que par la parole, mais il n’eut pas plus l’ambition d’être écrivain que celle d’être orateur. Son unique préoccupation fut toujours d’être compris, et, pour y arriver, il cultiva la simplicité, autant par principe que par goût. « Je ne songe jamais à mon style, écrivait-il en 1764 ; mais j’emploie les mots qui se présentent à mon esprit. Quand je transcris quelque chose pour la presse, je considère comme mon devoir de veiller à ce que chaque phrase soit claire, pure et naturelle. La concision, qui m’est naturelle, apporte au style le quantum sufficit de force. Si je découvre malgré tout quelque expression affectée, je la pousse dehors par les épaules. La clarté nous est indispensable, surtout auprès des gens peu cultivés que nous avons à instruire. » Parvenu à l’extrême vieillesse, il avait les mêmes principes. « Je pourrais encore, écrit-il en 1788, écrire en un style fleuri et conforme aux lois de la rhétorique, mais je ne le puis parce que je cherche la gloire qui vient de Dieu seul. Je ne me sens pas plus libre d’écrire en style recherché que de porter des vêtements de prix. D’ailleurs, eussé-je du temps à perdre, je ne changerais pas de manière d’écrire. »

Les écrits de Wesley ne sont des chefs-d’œuvre ni par la pensée ni par le style ; mais son style sans prétention est toujours clair, serré, correct. « On pourrait souhaiter, a dit un bon juge, plus de profondeur ou plus d’éclat. Mais, dans un bon style, il dit des choses touchantes et convaincantes ; il exprime des idées simples avec netteté, souvent sous une forme heureuse, avec un rare mélange de raison et de sentimento. » Wesley était trop homme pratique pour être un penseur de haut vol. L’un de ses amis, le Dr Whitehead lui reprochait d’ « avoir peu de goût pour les recherches métaphysiques, » et ses écrits confirment bien cette appréciationp. Il était plutôt logicien que métaphysicien. « Philosophiquement considéré, dit encore M. de Rémusat, son esprit est fait pour les opinions moyennes, pour les partis modérés, pour le bon sens ; mais il est en même temps touché jusqu’au fond de l’âme par le côté divin de toutes choses : il s’y attache, il en fait sa pensée unique, il y consacre avec passion toutes les forces de la sagesse et de la vertu. »

o – Rémusat, John Wesley et le Méthodisme, p. 61.

p – Voy. sur ce sujet le Living Wesley du Dr Rigg, p. 116-118. L’auteur y démontre que, si Wesley n’était pas un métaphysicien, il n’en possédait pas moins des aptitudes philosophiques remarquables.

Si Wesley n’a pas produit « un seul livre complètement satisfaisant au point de vue littéraireq, » et s’il a peu cultivé la théologie spéculative, la faute en est moins aux lacunes de son esprit, qu’aux exigences de son ministère spécial. Il n’a pas eu le temps d’être écrivain, au sens technique du mot, ce qui ne l’a pas empêché de faire une grande œuvre par la plume. Il comprit mieux qu’aucun de ses contemporains l’importance d’une littérature populaire, et il fut l’un des ancêtres des grandes sociétés de publications religieuses qui se sont fondées de nos jours. A côté de ses immenses travaux missionnaires, il trouva le temps de publier environ deux cents volumes composés, traduits ou abrégés par lui, et traitant de théologie, de biographie, d’histoire, de philosophie, de poésie, de linguistique, de médecine, etc., le tout à un point de vue populaire. Ces écrits, tirés à un grand nombre d’exemplaires, se vendaient à un prix minime et trouvaient un écoulement rapide, grâce au concours des prédicateurs dont l’influence contribua beaucoup à généraliser le goût de la lecture au sein des sociétés.

q – Leslie Stephen, History of English Thought in the Eighteenth Century.

Il fraya la voie aux sociétés de traités religieux en répandant par centaines de milliers des écrits courts et frappants adressés à une classe particulière de lecteurs, ou publiés à l’occasion de quelque événement public.

[A Word to a Drunkard, to a Sabbath-breaker, to a Swearer, to a Street-walker, to a Smuggler, to a Condemned Malefactor. (Une parole à un ivrogne, à un profanateur du dimanche, à un blasphémateur, à une coureuse, à un contrebandier, à un malfaiteur condamné).

A Word to a Freeholder (un mot à un électeur, au moment d’une élection générale), Thoughts on the Earthquake of Lisbon (Pensées sur le tremblement de terre de Lisbonne).]

Avec le concours de son frère Charles, le poète du méthodisme, Wesley fit un grand nombre de publications poétiques. Sa première collection d’hymnes fut publiée à Charleston, pendant son court séjour en Géorgie, et des publications de même nature se continuèrent, à de courts intervalles, pendant un demi-siècle. Le Dr Osborn en a découvert cinquante-quatre, et l’édition qu’il en a donnée forme treize volumes. Il est difficile d’assigner à chaque frère la part qui lui revient dans cette immense production poétique ; la plupart des recueils qu’ils publièrent portaient leurs noms réunis. La part de Charles fut la plus grande de beaucoup, et il fut incontestablement un poète bien supérieur à son frère. Il partage, avec Isaac Watts, le sceptre de la poésie sacrée en Angleterrer. Plusieurs des compositions de John ont toutefois une réelle valeur, et son frère, qui était avant tout un poète d’inspiration et de premier jet, lui fut grandement redevable pour la révision attentive qu’il fit subir à ses hymnes en les publiant. Leurs talents divers et leurs efforts réunis dotèrent le Réveil d’une psalmodie admirable, qui n’a probablement son égale dans aucune langues.

r – Watts disait qu’il donnerait tout ce qu’il avait écrit pour être l’auteur du Wrestling Jacob de Charles Wesley, qui est en effet l’un des plus beaux morceaux lyriques de la littérature anglaise.

s – The Wesleyan Lyric Poetry, par Abel Stevens, dans le Wesley Memorial Volume, p. 464.

L’œuvre homilétique de Wesley consiste en cent quarante sermons, qui forment un système complet de religion expérimentale. C’est là qu’il faut chercher les éléments de sa dogmatique et de son éthique, et l’on trouverait difficilement ailleurs un exposé plus clair, plus simple, plus saisissant et plus pratique de la doctrine et de la morale évangélique. Tandis que les sermonnaires vieillissent en général très vite et qu’une génération ne lit plus guère les sermons qu’ont lus les générations antérieures, ceux de Wesley sont lus de nos jours autant que jamais, non seulement parce qu’ils sont le corps officiel de doctrine d’une grande communion chrétienne, mais aussi à cause de leur mérite intrinsèque.

Comme commentateur, Wesley publia des Notes sur la Bible entière. Son but fut d’écrire, non pour les théologiens, mais pour le peuple ; de là le caractère essentiellement pratique de son œuvre. Les Notes sur l’Ancien Testament ne sont guère qu’un abrégé de Poole et de Henry ; c’est une œuvre à la fois hâtive et écourtée qui n’a pas été republiée. Il en est autrement des Notes sur le Nouveau Testament, qui ont une véritable valeur exégétique, et qui ont eu un grand nombre d’éditions. L’auteur suit d’ordinaire Bengel, qu’il fut le premier à faire connaître au public anglais.

Wesley a publié toute une série de livres d’école, principalement destinés au collège fondé par lui à Kingswood. Ce sont d’abord des grammaires anglaise, française, latine, grecque et hébraïque ; puis des éditions des auteurs classiques, un manuel de logique, un vocabulaire, une histoire romaine, une histoire d’Angleterre, une histoire ecclésiastique d’après Mosheim, etc. A cette série peuvent se rattacher des fragments sur l’électricité, dont il salua avec enthousiasme les premières applications, d’autres sur des questions morales et littéraires, des critiques d’ouvrages nouveaux, etc.

Ses écrits sur les questions politiques et sociales, sans être nombreux ni longs, touchent à presque tous les grands sujets qui ont occupé les esprits de son temps. « Son cœur si grand et si chaud, dit Punshon, a tendrement palpité pour l’humanité souffrante, et a protesté avec énergie et vaillance contre tous les maux qui dégradent le corps, rapetissent l’esprit ou perdent l’âme ». Son économie politique n’est pas toujours d’accord avec nos idées modernes, mais elle est toujours généreuse et charitable.

Les écrits polémiques de Wesley se répartissent en trois classes. Les premiers eurent pour objet de réfuter les objections élevées contre lui et contre son œuvre. Ce sont surtout ses Appels aux hommes raisonnables et religieux, dans lesquels il défend le réveil méthodiste avec chaleur et élévation, et que l’on a pu comparer sans exagération aux grandes Apologies des premiers siècles de l’Église. La seconde controverse à laquelle Wesley prit part donna naissance à son remarquable traité sur le Péché originel, en réponse au Dr John Taylor, éminent théologien unitaire. La troisième polémique dans laquelle il s’engagea fut la controverse calviniste dont nous avons parlé longuement et dans laquelle il laissa la première place à son ami La Fléchère.

Les livres abrégés par Wesley ne s’élèvent pas à moins de cent dix-sept, en y comprenant les cinquante volumes de la Bibliothèque chrétienne. L’esprit libéral du fondateur du méthodisme ne se montre nulle part mieux que dans ce choix de lectures préparées pour ses sociétés. Les Pères de l’Église, Clément, Ignace, Polycarpe, Ambroise, y ont leur part. Les théologiens anglicans, Leighton, Tillotson, South, Jérémie Taylor, y fraternisent avec les non-conformistes, Charnock, Howe, Flavel, Baxter et Owen. Les auteurs non anglais, Pascal, Bengel, Arndt, y apportent leur collaboration. Cette anthologie, si vaste fût-elle, n’avait pas la prétention d’être complète ; mais elle n’en fut pas moins une entreprise excellente et qui n’a pas été surpassée.

Mentionnons enfin cette autobiographie incomparable, le Journal de Wesley, qui s’étend sur un espace de plus d’un demi-siècle d’incessante activité. « Quiconque veut connaître cet homme, c’est là qu’il doit aller l’étudier. L’universalité de ses aptitudes, sa puissance de travail, sa bienveillance, sa patience sous l’insulte, son indifférence aux honneurs mondains, son unité de dessein, sa confiance continuelle en la Providence (confiance qui l’entraîna dans des contradictions dont il ne se mettait pas en peine et qui démontrent péremptoirement le caractère désintéressé de sa vie), sa culture, sa courtoisie, la réunion dans sa personne des instincts d’un gentleman et de la rude honnêteté d’un travailleur, sa vraie dignité, sa tendresse féminine de sentiments, ses saillies piquantes, ses fines critiques, sa puissance de parole, sa puissance de silence, tous les éléments qui contribuent à faire la symétrie d’un caractère bien composé, — si quelqu’un veut trouver tout cela, qu’il aille, non aux pages de ses biographes, qui ont raconté sa vie à divers points de vue et non sans perspicacité, mais à ces pages où jour après jour il s’est montré lui-même comme dans un miroir, avec cette absence de recherche et cette transparence qui sont le partage des seuls hommes vraiment grandst. »

t – W.-M. Punshon, Wesley and his Literature, dans le Wesley Memorial Volume, p. 327. Nous sommes redevables à ce beau travail pour la classification des écrits de Wesley.

Envisagé dans son ensemble, le caractère de Wesley est remarquablement complet. Il réunit des qualités qui d’ordinaire semblent s’exclure et qui chez lui se fondent dans une harmonieuse unité. Sa vie, comme son esprit, mène de front les préoccupations les plus variées ; on dirait que plusieurs personnalités se sont mêlées pour constituer la sienne. Cette forte nature porte sans fléchir, jusqu’à l’extrême vieillesse, un fardeau de soins et de travaux qui eût été écrasant pour tout autre. Appelé à une œuvre extraordinaire, Wesley avait reçu de Dieu des aptitudes extraordinaires. Cette adaptation de l’ouvrier à l’œuvre n’est-elle pas un fait providentiel, l’un de ceux qui nous montrent le mieux Dieu dans l’histoire ?

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