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Bible de Jérusalem

Exode 3-4

Le buisson ardent.u

3 Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro, son beau-père, prêtre de Madiân ; il l’emmena par-delà le désert et parvint à la montagne de Dieu, l’Horeb.v

u Ce premier récit, 3.1—4.17, de la vocation de Moïse est d’une grande complexité. Si une partie du texte contient des éléments de tradition yahviste et élohiste, ils seraient moins considérables qu’on ne le pensait. À la tradition yahviste appartient l’essentiel des vv. 1-6, puis des vv. 7-8 et 16-17, mais la description de la Terre Promise comme terre où coulent le lait et le miel, et la liste des peuples, vv. 8 et 17, sont dues probablement à une rédaction deutéronomiste. De la tradition élohiste, en dehors de quelques fragments en 1-6, vient l’essentiel des vv. 9-15, mais les vv. 12 et 15 pourraient être des additions. 3.18-20 et 4.1-17 seraient des développements postérieurs, et en 3.21-22 nous avons une notice isolée. Ainsi, dans la tradition yahviste, nous avons la théophanie du buisson ardent suivie de la mission de Moïse pour annoncer que Yahvé est sur le point d’intervenir ; dans la tradition élohiste, tout est centré sur la vocation de Moïse, dont le récit est similaire à celui de Jr 1 :, et l’une de ses objections donne lieu à la révélation du nom de Yahvé. Une rédaction plus récente, mais probablement antérieure à la tradition sacerdotale du récit de 6.2-13 et 7.1-7, développe en 4.1-17 ce qui se rapporte aux signes de crédibilité et donne Aaron pour compagnon et interprète de Moïse.

v Horeb est le nom de la montagne du Sinaï dans le cadre historique du Deutéronome et dans la rédaction deutéronomiste du livre des Rois. C’est ici une glose, comme en 17.6.

2 L’Ange de Yahvé lui apparut, dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas. 3 Moïse dit : « Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas. » 4 Yahvé vit qu’il faisait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson. « Moïse, Moïse », dit-il, et il répondit : « Me voici ». 5 Il dit : « N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte. » 6 Et il dit : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu.w

w Dieu est à ce point transcendant qu’une créature ne peut le voir et vivre.

Mission de Moïse.

7 Yahvé dit : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. 8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel,x vers la demeure des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens.

x Désignation, fréquente dans le Pentateuque, de la Terre Promise, mais elle vient probablement d’une rédaction deutéronomiste. Il se pourrait même que Nb 16.13, qui dit la même chose de l’Égypte, soit le texte le plus ancien.

9 Maintenant, le cri des Israélites est venu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que font peser sur eux les Égyptiens.

10 Maintenant va, je t’envoie auprès de Pharaon, fais sortir d’Égypte mon peuple, les Israélites. »

11 Moïse dit à Dieu : « Qui suis-je pour aller trouver Pharaon et faire sortir d’Égypte les Israélites ? » 12 Dieu dit : « Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé.y Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne. »

y Si la deuxième partie du verset est une addition, le signe donné est l’assistance même de Dieu et non pas un acte de culte sur la « montagne de Dieu », v. 1.

Révélation du Nom divin.

13 Moïse dit à Dieu : « Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis : « Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. » Mais s’ils me disent : « Quel est son nom ? », que leur dirai-je ? » 14 Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui est. » Et il dit : « Voici ce que tu diras aux Israélites : « Je suis » m’a envoyé vers vous. » 15 Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux Israélites : « Yahvé, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est mon nom pour toujours, c’est ainsi que l’on m’invoquera de génération en génération. »z

z La tradition yahviste fait remonter le culte de Yahvé aux origines de l’humanité, Gn 4.26, et utilise ce nom divin dans toute l’histoire patriarcale. D’après la tradition élohiste, à laquelle ce texte appartient, le nom de Yahvé n’a été révélé qu’à Moïse comme le nom du Dieu des Pères. La tradition sacerdotale, 6.2-3, s’accorde avec elle, précisant seulement que le nom du Dieu des Pères était El Shaddaï ; cf. Gn 17.1. Ce récit, l’un des sommets de l’AT, pose deux problèmes le premier, philologique, concerne l’étymologie du nom « Yahvé »; le second, exégétique et théologique, le sens général du récit et la portée de la révélation qu’il transmet. 1° On a cherché à expliquer le nom Yahweh par d’autres langues que l’hébreu ou par diverses racines hébraïques. Il faut certainement y voir le verbe « être » sous une forme archaïque. Certains reconnaissent ici une forme factitive de ce verbe « il fait être », « il amène à l’existence ». C’est beaucoup plus probablement une forme du thème simple, et le mot signifie « il est ». 2° Quant à l’interprétation, le mot est expliqué au v. 14, qui est une addition ancienne de la même tradition. On discute sur le sens de cette explication ’ehyeh ’asher ’ehyeh . Dieu, parlant de lui-même, ne peut employer que la première personne « Je suis ». L’hébreu peut se traduire littéralement « Je suis ce que je suis » (ou « je serai qui je serai »), ce qui signifierait que Dieu ne veut pas révéler son nom ; mais précisément, Dieu donne ici son nom qui, selon la conception sémitique, doit le définir d’une certaine manière. Mais l’hébreu peut aussi se traduire littéralement « Je suis celui qui suis », et, d’après les règles de la syntaxe hébraïque, cela correspond à « Je suis celui qui est », « Je suis l’existant »; c’est bien ainsi que l’ont compris les traducteurs de la Septante Ego eimi ho ôn . Dieu est le seul vraiment existant. Cela signifie qu’il est transcendant et reste un mystère pour l’homme, et aussi qu’il agit dans l’histoire de son peuple et dans l’histoire humaine qu’il dirige vers une fin. Ce passage contient en puissance les développements que lui donnera la suite de la Révélation, cf. Ap 1.8 « Il était, il est et il vient, le maître de tout. »

Instructions relatives à la mission de Moïse.

16 « Va, réunis les anciens d’Israël et dis-leur : « Yahvé, le Dieu de vos pères, m’est apparu — le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob — et il m’a dit : Je vous ai visitésa et j’ai vu ce qu’on vous fait en Égypte,

a Quand il s’agit de Dieu, la « visite » implique un droit absolu de regard, de jugement et de sanction. Ses interventions dans la destinée des individus ou des peuples peuvent apporter le bienfait, 4.31 ; Gn 21.1 ; 50.24-25 ; Ps 65.10 ; 80.15 ; Sg 3.7-13 ; Jr 29.10 ; cf. Lc 1.68 ; ou le châtiment, 1 S 15.2 ; Sg 14.11 ; 19.15 ; Jr 6.15 ; 23.34 ; Am 3.2.

17 alors j’ai dit : Je vous ferai monter de l’affliction d’Égypte vers la terre des Cananéens, des Hittites, des Amorites, des Perizzites, des Hivvites et des Jébuséens, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel. » 18 Ils écouteront ta voix et vous irez, toi et les anciens d’Israël, trouver le roi d’Égypte et vous lui direz : « Yahvé, le Dieu des Hébreux, est venu à notre rencontre. Toi, permets-nous d’aller à trois jours de marche dans le désert pour sacrifier à Yahvé notre Dieu. » 19 Je sais bien que le roi d’Égypte ne vous laissera aller que s’il y est contraint par une main forte.

20 Aussi j’étendrai la main et je frapperai l’Égypte par les merveilles de toute sorte que j’accomplirai au milieu d’elle ; après quoi, il vous laissera partir.

Spoliation des Égyptiens.

21 « Je ferai gagner à ce peuple la faveur des Égyptiens, et quand vous partirez, vous ne partirez pas les mains vides. 22 La femme demandera à sa voisine et à celle qui séjourne dans sa maison des objets d’argent, des objets d’or et des vêtements. Vous les ferez porter à vos fils et à vos filles et vous en dépouillerez les Égyptiens. »

Pouvoir des signes accordé à Moïse.

4 Moïse reprit la parole et dit : « Et s’ils ne me croient pas et n’écoutent pas ma voix, mais me disent : Yahvé ne t’est pas apparu ? » 2 Yahvé lui dit : « Qu’as-tu en main ? — Un bâton, dit-il. — 3 Jette-le à terre », lui dit Yahvé. Moïse le jeta à terre, le bâton se changea en serpent et Moïse fuit devant lui. 4 Yahvé dit à Moïse : « Avance la main et prends-le par la queue. » Il avança la main, le prit, et dans sa main il redevint un bâton.b

b Le v. 5, qui interrompt le récit mais reprend l’idée centrale du développement, vv. 1 et 8-9, pourrait être une addition.

5 « Afin qu’ils croient que Yahvé t’est apparu, le Dieu de leurs pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. »

6 Yahvé lui dit encore : « Mets ta main dans ton sein. » Il mit la main dans son sein, puis la retira, et voici que sa main était lépreuse, blanche comme neige. 7 Yahvé lui dit : « Remets ta main dans ton sein. » Il remit la main dans son sein et la retira de son sein, et voici qu’elle était redevenue comme le reste de son corps. 8 « Ainsi, s’ils ne te croient pas et ne sont pas convaincus par le premier signe, ils croiront à cause du second signe. 9 Et s’ils ne croient pas, même avec ces deux signes, et qu’ils n’écoutent pas ta voix, tu prendras de l’eau du Fleuve et tu la répandras par terre, et l’eau que tu auras puisée au Fleuve se changera en sang sur la terre sèche. »

Aaron interprète de Moïse.

10 Moïse dit à Yahvé : « Excuse-moi, mon Seigneur, je ne suis pas doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu adresses la parole à ton serviteur, car ma bouche et ma langue sont pesantes. » 11 Yahvé lui dit : « Qui a doté l’homme d’une bouche ? Qui rend muet ou sourd, clairvoyant ou aveugle ? N’est-ce pas moi, Yahvé ? 12 Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire. »

13 Moïse dit encore : « Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras. » 14 La colère de Yahvé s’enflamma contre Moïse et il dit : « N’y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite ? Je sais qu’il parle bien, lui ; le voici qui vient à ta rencontre et à ta vue il se réjouira en son cœur. 15 Tu lui parleras et tu mettras les paroles dans sa bouche. Moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous indiquerai ce que vous devrez faire. 16 C’est lui qui parlera pour toi au peuple ; il te tiendra lieu de bouche et tu seras pour lui un dieu. 17 Quant à ce bâton, prends-le dans ta main,c c’est par lui que tu accompliras les signes. »

c Dieu remet à Moïse un bâton (d’où son nom de « bâton de Dieu », cf. v. 20), qui sera l’instrument des prodiges, 7.20b ; 9.22s ; 10.13s, etc. Cf. le bâton d’Élisée, 2 R 4.29.

Départ de Moïse de Madiân et retour en Égypte.d

18 Moïse s’en alla et retourna vers Jéthro, son beau-père. Il lui dit : « Permets que je m’en aille et que je retourne vers mes frères qui sont en Égypte pour voir s’ils sont encore en vie. » Jéthro lui répondit : « Va en paix. »

d L’essentiel de 4.18-31 appartient à la tradition yahviste, mais il y a probablement des éléments de tradition élohiste et d’autres plus tardifs, rédactionnels, surtout aux vv. 21-23, 27-28, 30-31, certains en relation avec les vv. 1-17, puisqu’on y trouve les mêmes idées, notamment l’association d’Aaron à Moïse et les signes de crédibilité.

19 Yahvé dit à Moïse en Madiân : « Va, retourne en Égypte, car ils sont morts, tous ceux qui cherchaient à te faire périr. » 20 Moïse prit sa femme et ses fils, les fit monter sur un âne et s’en retourna au pays d’Égypte. Moïse prit en main le bâton de Dieu. 21 Yahvé dit à Moïse : « Tandis que tu retourneras en Égypte, vois les prodiges que j’ai mis en ton pouvoir : tu les accompliras devant Pharaon, mais moi, j’endurcirai son cœur et il ne laissera pas partir le peuple. 22 Alors tu diras à Pharaon : Ainsi parle Yahvé : mon fils premier-né, c’est Israël. 23 Je t’avais dit : « Laisse aller mon fils, qu’il me serve. » Puisque tu refuses de le laisser aller, eh bien, moi, je vais faire périr ton fils premier-né. »e

e Ces vv. annoncent les plaies d’Égypte v. 21, les neuf premières plaies et l’endurcissement du cœur de Pharaon, cf. 7.3 ; vv. 22-23, la dixième plaie, cf. 11.1.

Circoncision du fils de Moïse.f

24 Et ce fut en route, à la halte de la nuit, que Yahvé vint à sa rencontre et chercha à le faire mourir.

f Récit énigmatique à cause de sa brièveté et de l’absence d’un contexte ; Moïse n’est pas nommé, et l’on ne sait pas à qui se rapportent les pronoms personnels. On peut conjecturer que l’incirconcision de Moïse lui attire la colère divine ; celle-ci est apaisée lorsque Çippora a circoncis réellement son fils et simulé une circoncision de Moïse en touchant son sexe (« ses pieds », cf. Isa 6.2 ; 7.20) avec le prépuce de l’enfant. Sur la circoncision, cf. Gn 17.10.

25 Çippora prit un silex, coupa le prépuce de son fils et elle en toucha ses pieds. Et elle dit : « Tu es pour moi un époux de sang. »

26 Et il se retira de lui. Elle avait dit alors « Époux de sang », ce qui s’applique aux circoncisions.

Rencontre avec Aaron.

27 Yahvé dit à Aaron : « Va à la rencontre de Moïse en direction du désert. » Il partit, le rencontra à la montagne de Dieu et l’embrassa. 28 Moïse informa Aaron de toutes les paroles de Yahvé, qui l’avait envoyé, et de tous les signes qu’il lui avait ordonné d’accomplir. 29 Moïse partit avec Aaron et ils réunirent tous les anciens des Israélites. 30 Aaron répéta toutes les paroles que Yahvé avait dites à Moïse ; il accomplit les signes aux yeux du peuple. 31 Le peuple crut et entenditg que Yahvé avait visité les Israélites et avait vu leur misère. Ils s’agenouillèrent et se prosternèrent.

g Grec a compris « il se réjouit ».